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Izri se figea quand son regard gorgé de haine s’écrasa sur Greg. Celui qu’il avait considéré comme son frère était quasiment nu et tentait vainement de se réchauffer à l’aide d’un vieux plaid qui lui couvrait à peine les épaules. En voyant les deux hommes, il cessa de respirer.

— Je voulais pas que ce salopard crève de froid, précisa Gabriel d’un ton cynique. C’est une mort bien trop douce.

Izri détailla son ancien ami, tout juste s’il pouvait encore le reconnaître. Il avait le visage boursouflé par les coups, un œil qui peinait à s’ouvrir, la lèvre supérieure éclatée. Une méchante balafre coupait son visage en deux. L’œuvre de Tama, songea-t-il.

Ses chevilles et ses tibias, brisés, étaient noirs d’ecchymoses. Une des fractures était ouverte, laissant deviner l’os. Son bras gauche pendait dans le vide, prolongé par une main difforme, complètement écrasée. Une lame s’était profondément enfoncée dans ses chairs meurtries pour inscrire des mots de sang sur son torse imberbe.

Lâche.

Violeur.

Izri tenta de paraître indifférent à cette épouvantable vision. Et même s’il haïssait Greg plus que n’importe qui au monde, il ne put s’empêcher de ressentir une seconde de pitié. Il inspira un bon coup, laissant la haine reprendre ses droits. Planté devant Greg, le dominant de toute sa hauteur, il le fixait sans relâche.

— Surpris de me voir ici, mon frère ?

— Iz… Je sais pas ce que… ce type… t’a raconté, mais…

Greg avait bien du mal à articuler et Izri ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase.

— La vérité, trancha-t-il d’une voix dure. Je sais ce que tu as fait à Tama, je sais ce que tu as fait à Manu… Et à Tayri. Alors, tu sais ce que je vais te faire.

— Iz ! Je t’en supplie ! sanglota Greg.

Pincement au niveau du cœur, visage de marbre. Lorsque Greg se mit à pleurer, Izri ne détourna pas les yeux.

— T’as de la chance que Tama soit encore en vie, ajouta-t-il. Sinon, je t’aurais coupé les couilles et je te les aurais fait bouffer.

— T’es sûr qu’il a des couilles ? ironisa Gabriel.

— Ne me tue p… as ! implora encore Greg.

— On s’occupera de toi cette nuit. Il te reste environ douze heures à vivre, mon frère.

— Bonne journée ! conclut Gabriel en claquant la porte.

Les deux hommes quittèrent l’écurie et restèrent quelques minutes dehors. Ils fumèrent une cigarette au milieu du brouillard, assis sur un vieux banc. Izri était livide.

— Ça ne va pas ? demanda Gabriel.

— Si, ça va. J’ai juste hâte qu’il fasse nuit.

Gabriel trouva que le jeune braqueur mentait très mal. Il était choqué, avait sans doute la nausée.

— Tu vas pas me lâcher au dernier moment ? vérifia-t-il d’une voix tranchante.

Izri le fusilla du regard.

— Pour qui tu me prends ? rétorqua-t-il.

— Je voulais juste en être sûr, dit Gabriel en écrasant sa clope.

* * *

De retour dans la chambre, Izri ne se lassait pas de regarder Tama.

Il ne s’en lasserait plus jamais.

Par moments, la douleur la faisait réagir, plissant son front ou crispant ses mains délicates.

Ses mains, qui lui avaient offert tant de plaisir.

Ses mains, capables de tuer. Capables de défigurer.

Izri admirait la force et le courage dont elle avait fait preuve en sauvant Tayri.

Il admirait son sens du sacrifice.

Jamais encore il n’avait réalisé à quel point elle était belle. Pas seulement son visage ou son corps. Belle, jusqu’aux profondeurs de son âme.

Elle donnait, sans rien exiger en retour. Elle donnait, jusqu’à mettre sa vie en péril.

Elle avait le don de pardonner, de soigner, de consoler.

Et cet extraordinaire pouvoir de résilience… Toutes les épreuves qu’elle avait traversées auraient dû la terrasser. Pourtant, elle se battait encore et toujours.

— Tu es mille fois plus forte que moi, avoua-t-il avec un sourire triste. Mille fois plus forte que n’importe qui.

Il avait hâte de s’immerger dans son regard de braise, hâte d’entendre à nouveau sa voix. Il brûlait de la serrer contre lui, de sentir sa peau frémir sous ses caresses.

Il approcha son visage du sien, respira sa peau, ferma les yeux.

— Maintenant, je ne douterai plus de toi. Plus jamais… Quoi que tu fasses, Tama. Ne me laisse pas, je t’en supplie.

S’il faut mourir pour toi, je n’hésiterai pas une seconde.

Et quand tombera la nuit, je redeviendrai un assassin.

Pour toi, mon amour.

* * *

Dans l’écurie, ils enfilèrent des bottes, des gants, un bonnet.

— Ça m’étonnerait qu’on le retrouve un jour, fit Gabriel, mais vaut mieux être prudent…

Une fois protégés, les deux hommes installèrent une bâche en plastique à l’arrière du pick-up qu’ils étaient allés chercher une heure auparavant. Puis ils retournèrent au fond de l’écurie où Greg n’en finissait plus d’agoniser. Il tenta une dernière fois de demander grâce.

— Iz, je t’en p… rie ! J’aurais pas… tué Tama… tu sais…

Izri se pencha vers lui.

— Tu as fait bien pire que la tuer, fils de pute. Et tu peux me supplier autant que tu veux.

— Pardon, Iz ! gémit Greg.

— Pardon refusé, cingla Gabriel. Après en avoir délibéré, les jurés ont décidé de te condamner à la peine capitale.

Il posa un gros morceau de scotch sur les lèvres de Greg et ils le saisirent chacun sous une aisselle pour le traîner sur le sol. Ils entendaient ses plaintes pathétiques étouffées par le bâillon.

Ils le jetèrent sur le plateau du pick-up, lui arrachant un cri tout juste audible. Puis ils mirent la protection de benne, comme s’ils fermaient le couvercle d’un cercueil.

Gabriel prit le volant, Izri s’assit sur le siège passager. Il ignorait où ils se rendaient, mais lui faisait totalement confiance.

Ce type était tout sauf un débutant ou un amateur.

Ce type était un tueur professionnel. Froid, précis et méthodique.

Mais ce type était aussi celui qui avait risqué sa vie pour sauver Tama. Qui s’était pris une balle dans l’épaule pour Tayri.

Ils quittèrent le hameau et Izri demanda la permission d’allumer une cigarette.

— Permission accordée, répondit Gabriel.

Lorsqu’il baissa la vitre, un froid cinglant fouetta son visage. Ils gardèrent le silence pendant plusieurs kilomètres. Jusqu’à ce qu’ils arrivent non loin de la ferme de Wassila.

— J’ai appris que ta grand-mère était à l’hôpital, dit Gabriel. Comment va-t-elle ?

— Tu connais Wassila ? s’étonna Izri.

— Non. Je l’ai aperçue une ou deux fois au village. Rien de plus.

Izri remonta la vitre avant de répondre. Comme s’il avait peur que ses mots ne se perdent dans cette forêt dénudée mais profonde.

— Elle est morte il y a une semaine.

— Désolé. Je l’ignorais.

— Tama l’aimait beaucoup. Alors, je vais éviter de lui en parler tout de suite. Si elle se réveille…

— Elle va avoir quelques mauvaises nouvelles à encaisser. Elle a tout tenté pour sauver Tayri et je n’ai pas su la protéger.

Izri fronça les sourcils.

— Tu as fait tout ce que tu pouvais, non ?

— Non. Je suis responsable de sa mort. Je n’aurais pas dû la laisser seule. Je pensais avoir fait le nécessaire, je n’ai pas été assez prudent. Greg a été plus malin que moi. Et ça, je ne me le pardonnerai jamais…