— Il gèle, dehors ! la prévint Izri.
— J’ai l’habitude d’avoir froid…
Il ne pouvait rien lui refuser et poussa la porte avec son pied avant de la déposer sur un fauteuil de jardin en rotin.
— Ça faisait longtemps, dit Tama.
— Longtemps que quoi ?
— Que je n’avais pas vu le soleil.
Aujourd’hui, il brillait dans un ciel nettoyé par l’orage. Comme une renaissance, le début d’une nouvelle existence.
Izri s’assit près d’elle et leva la tête à son tour. Lui aussi avait manqué de ciel, de soleil et d’étoiles. Et finalement, ils avaient eu le même geôlier.
— Tu l’as tué comment ?
Izri posa un doigt au milieu de son front.
— Et si les flics le retrouvent ? s’inquiéta Tama.
— Personne ne le retrouvera, assura Gabriel en montant les marches.
Il se joignit à eux, surpris de la voir dehors. Tama récupérait très vite. Sans doute parce qu’elle avait de l’entraînement.
— Merci pour les vêtements, dit-elle.
— De rien. Autant qu’ils servent à quelqu’un.
— Mais votre fille, elle ne voudra pas les récupérer ?
Elle trouva la réponse au fond des yeux de Gabriel. Alors, elle garda le silence.
— Tu veux qu’on reste ? demanda Izri. Des fois que l’autre enfoiré ait donné des ordres…
— Non, répondit Gabriel. Si un de ses potes se ramène, je promets de le recevoir avec tous les égards qu’il mérite !
— Je n’en doute pas !
— Ceci dit, je ne vous chasse pas, ajouta Gabriel.
— Je sais. Mais nous partirons cette après-midi.
Sur le canapé, Tama caressait Sophocle. Ils avaient terminé de déjeuner et l’heure du départ approchait. Même si elle avait envie de retrouver sa vie avec Izri, elle n’était pas pressée. Quelque chose la retenait ici. Elle n’aurait su expliquer cette sensation, ce sentiment. L’impression de quitter un refuge.
Ici, rien ne pouvait leur arriver.
Gabriel ouvrit un tiroir, en sortit le Glock qu’il rendit à Izri.
— Je… Je voudrais te remercier pour tout ce que tu as fait.
Gabriel se contenta de hausser les épaules, ne sachant quoi répondre.
— J’ai pas mal de fric, et…
— Laisse tomber, l’interrompit Gabriel. Je n’ai pas besoin de pognon.
— J’ai une dette envers toi, reprit Izri. Et les dettes, ça se paye. Alors, si un jour tu as besoin de moi, pour n’importe quoi, n’hésite pas. Je serai là.
— C’est noté.
Izri aida Tama à se lever et l’accompagna jusqu’à la porte. Elle arrivait tout juste à marcher mais n’avait pas émis la moindre plainte depuis qu’elle était sortie du coma. Avant de quitter la maison, elle se jeta dans les bras de Gabriel. Un peu embarrassé, il la serra contre lui.
— Je reviendrai, murmura-t-elle.
— Je sais. Vas-y, maintenant.
Izri tendit la main à Gabriel.
— Prends soin d’elle, mon jeune ami. Sinon, t’auras affaire à moi.
— Je ne prendrai pas ce risque ! plaisanta Izri d’une voix nouée par l’émotion. À bientôt.
Gabriel regarda la voiture s’éloigner sur la piste puis disparaître sur la route.
— Mission accomplie, Tayri, murmura-t-il.
124
Des cris, chaque nuit.
Depuis sept jours qu’ils avaient quitté la maison de Gabriel, Tama cauchemardait dès qu’elle s’endormait.
Izri venait de la réveiller pour l’arracher à son tourment. Blottie dans ses bras, le souffle court, elle tremblait.
— Raconte-moi, murmura-t-il. Dis-moi ce qui te fait si peur…
— Greg… je le vois sortir de sa tombe pour venir nous massacrer… Il… Il arrive, il me viole. Tu es juste à côté, pourtant tu ne vois rien…
Izri ferma les yeux, les muscles de son visage se contractèrent douloureusement.
— Mejda est là, aussi… Elle l’encourage, elle dit que je ne mérite que ça…
Elle se mit à sangloter, Izri resserra son étreinte.
— Calme-toi, ma puce. Calme-toi… C’est fini, ce fumier est mort. Il est mort, tu m’entends ? Il ne pourra plus jamais te toucher. Plus jamais…
— Iz, j’étais là quand tu es sorti de prison. J’étais chez Greg.
Elle vit l’inquiétude marbrer le gris de ses yeux.
— J’étais attachée et bâillonnée dans la remise. Je t’ai appelé au secours, mais tu ne pouvais pas m’entendre. Moi, je t’ai entendu.
Izri sentit un choc électrique tétaniser son cœur.
— Tu voulais me tuer.
— Tama… Je croyais que tu m’avais trahi ! Je croyais que tu étais partie avec un homme, que tu m’avais balancé aux flics !
— Je sais tout ça. Mais tu aurais pu m’accorder le bénéfice du doute… Pourquoi as-tu préféré croire Greg plutôt que moi ? Je t’avais prouvé mon amour, pourtant !
Izri mit une éternité à répondre.
— Peut-être parce que… Parce que j’arrive pas à imaginer qu’on peut m’aimer aussi fort que ça… Parce que avant toi, personne ne…
À l’intonation de sa voix, elle comprit qu’il pleurait aussi.
— Depuis que je suis né, j’attends qu’on m’aime…
Elle sécha ses larmes, caressa le visage dévasté d’Izri.
— J’aurais été incapable de te tuer, même si tu avais commis toutes les horreurs inventées par ce salopard ! Tama… Je sais pas si tu pourras me pardonner un jour…
— Je t’ai déjà pardonné, murmura-t-elle. Quand je t’ai vu pour la première fois, je t’ai tout pardonné…
Izri avait raison. Cet endroit me plaît beaucoup. J’ai l’impression qu’il a été créé pour nous, pour que nous puissions recommencer notre vie là où elle s’est arrêtée.
Depuis que nous sommes arrivés dans cette maison, il y a presque deux semaines, Izri ne m’a pas quittée une seule seconde.
Même si je me sens encore faible, je reprends des forces chaque jour. Pourtant, mes nuits sont mouvementées. Elles sont le théâtre de mes peurs, la scène de mes angoisses.
Mais être à nouveau à côté de lui est la plus puissante des thérapies. Alors, je savoure chacun de ces instants, comme si c’était le dernier.
Parce que ce sera peut-être le dernier.
Je n’oublie pas qu’Izri est recherché par la police. J’ai conscience du danger invisible qui nous guette, qui pèse sur nos épaules.
Être séparés, encore.
Je serais bien incapable de le supporter, cette fois.
Nous sommes assis dans le grand canapé d’angle qui fait face à la cheminée. Je contemple les flammes, elles réchauffent nos cœurs endoloris, nos chairs meurtries.
Cette maison ressemble curieusement à celle de Gabriel. Mais il manque Gabriel. Cet homme que je connais à peine, cet homme qui m’a sauvée. Qui m’a permis de retrouver Izri. Je ne sais rien de lui alors que je lui dois tout. J’ignore qui il est, pourtant c’est comme s’il faisait partie de ma famille. Comme s’il était mon ami le plus cher.
En y réfléchissant, je me dis que j’ai eu de la chance, beaucoup de chance dans ma brève existence. J’ai rencontré Vadim, j’ai rencontré Marguerite. J’ai croisé le chemin de Manu, celui de Tayri et celui de Gabriel.
Et puis, Izri.
Quand la peur me saisit, quand les cauchemars menacent de m’engloutir, je pense à eux. À leur bonté, à leur courage ou leurs sourires.
Mais il y a la mort. L’irréversible. Le couperet qui tombe parfois bien trop vite, bien trop tôt. Et sans aucune justice.