Se réenchaîner l’un à l’autre. Redevenir des amants.
Un désir lancinant émergea au creux de son ventre et Tama lui abandonna son corps encore meurtri.
L’envie, aussi forte que la peur.
Cette peur qui ne la quittait pas.
Malgré la faim qui tenaillait ses chairs, Izri s’attarda sur chaque millimètre de sa peau, transformant les cendres tièdes en braises rougeoyantes.
Ce soir, Tama se croyait prête.
Ouvrir une brèche au milieu de la carapace, faire sauter les verrous, les uns après les autres.
Oublier. Se fondre l’un dans l’autre.
Le plaisir se transforma en douleur brutale, son cœur se vrilla sur lui-même, un éclair déchira sa tête.
Le visage de Greg. Ses mains, son regard, son odeur.
Tama repoussa violemment Izri et se recroquevilla sur le canapé. Le front posé sur ses genoux, elle se balançait doucement.
— Tama ?
Izri caressa sa jambe, elle poussa un cri, s’éloignant davantage encore. Il n’osa plus l’approcher et la regarda souffrir, ignorant ce qu’il devait faire. Ce qu’il devait dire.
Quand elle releva enfin la tête, ses yeux étaient remplis d’horreur.
— Excuse-moi, dit-elle. Je peux pas…
Izri se remit debout et fit quelques pas dans le salon. Soudain, il attrapa une chaise et la fracassa contre le mur avec un hurlement bestial.
— Je suis désolée !
Incapable de se contrôler, Izri cassait tout ce qui lui tombait sous la main.
— Calme-toi, Iz ! implora Tama.
Leurs yeux se croisèrent, elle comprit que sa colère n’était pas dirigée contre elle.
Même mort et enterré, Greg les séparait encore.
La petite maison biscornue était toujours entourée d’épaves.
Izri se faufila au milieu des tas de ferraille et son pied heurta violemment un vieux moteur. La douleur remonta le long de sa jambe, il étouffa un juron.
Collé à la façade, il jeta un œil à l’intérieur et aperçut Nico affalé devant sa télévision. Sa main droite faisait l’aller-retour entre sa bouche et un paquet de chips éventré.
Il était seul, certainement ivre ou défoncé.
Une proie facile.
Izri récupéra son fidèle Glock dans la poche de son blouson, vissa un silencieux au bout du canon. Il frappa à la porte et attendit que Nico parvienne à se lever. Trente secondes plus tard, Izri eut la mauvaise surprise de voir un inconnu apparaître sur le seuil.
— Ouais ?
— C’est qui ? hurla Nico depuis le salon.
L’homme venait d’apercevoir le pistolet, Izri n’avait plus le choix. Il leva son bras droit et pressa la détente.
Une balle en pleine poitrine.
Le petit ami de Nico s’effondra vers l’arrière, renversant une vieille sellette et tout ce qu’il y avait dessus.
Boucan de tous les diables.
Izri enjamba le corps mais une main agrippa sa cheville et il tomba à son tour, lâchant le Glock qui glissa sur le carrelage.
— Merde !
Il se redressa aussi vite qu’il le put et tomba nez à nez avec Nico.
Seconde de flottement.
Ils se ruèrent vers l’arme qui fila sous un meuble. Nico était sur Izri, labourant son visage avec ses poings. Il parvint à se dégager et roula sur le côté. Nico tendit le bras, attrapa le Glock. Il ne prit pas le temps de viser, se contenta de tirer. Izri se relevait lorsque la balle lui traversa la cuisse. Il poussa un hurlement, se jeta à nouveau sur son adversaire. Il tenait son poignet et une nouvelle balle fusa du canon pour aller se loger dans le plafond. Izri réussit à lui faire lâcher le pistolet et lui asséna un coup de tête. Le tenant par le col de sa chemise, il lui envoya plusieurs droites dans la mâchoire.
Sonné, Nico ne bougeait plus. Alors Izri se releva, récupéra son arme et pulvérisa le cœur de sa cible.
Dans la cuisine, il trouva un torchon pour se confectionner un garrot. Sa jambe pissait le sang, tout comme son nez.
Du sang, partout.
De l’ADN, partout.
Il quitta la maison en claudiquant et rejoignit sa voiture. Malgré l’intolérable douleur, il démarra aussitôt.
Tama ne dormait pas.
Ce soir, Izri était parti, sans lui préciser où il allait.
Je rentrerai tard, ne m’attends pas.
Elle avait lu pendant des heures, terminant le roman de Gabriel et, désormais, elle guettait le retour de son homme.
Était-il allé voir une autre femme ? Lui donnait-elle en ce moment même ce que Tama était incapable de lui offrir ?
Elle quitta la chambre, se prépara un thé dans la cuisine. L’horloge murale lui indiqua qu’il était déjà 3 heures du matin.
Allait-il découcher ?
Allait-elle le supporter ?
Ses vieux démons refaisaient surface, venant ricaner à son oreille.
Tu veux savoir combien de nanas il a baisées pendant que tu l’attendais bien sagement à la maison ?
Soudain, Tama entendit le bruit de la voiture qui approchait. Elle se posta devant la baie vitrée et vit ralentir la Mercedes. Mais la voiture ne freina pas complètement et alla se planter dans le mur du garage. Tama se précipita à l’extérieur et se heurta à une portière verrouillée.
— Iz, ouvre-moi !
Il trouva la force de tirer sur la poignée et Tama découvrit le carnage. Elle l’aida à descendre, il s’effondra dans ses bras. Emportée par le poids d’Izri, Tama chuta avec lui. C’est là qu’elle vit le linge imbibé de sang qui comprimait sa cuisse. Elle tenta de le relever, mais il était bien trop lourd. Pourtant, elle devait le ramener à l’intérieur avant qu’il ne perde connaissance.
— Aide-moi, je t’en prie ! Lève-toi !
Dans un effort surhumain, il parvint à se redresser et prit appui sur elle. Deux fois, il tomba à genoux et Tama le releva. Ils arrivèrent enfin devant le canapé où Izri put s’écrouler.
Si l’artère fémorale avait été touchée, Izri serait déjà mort.
Alors, ne pas paniquer.
Découper le pantalon, affronter la blessure. Impressionnante.
Désinfecter, stopper l’hémorragie. Enlever le sang qui maculait le visage de l’homme qu’elle aimait.
Serrer sa main, lui parler, le rassurer. Toute la nuit, veiller sur lui.
Toute la vie, veiller sur lui.
126
Ça faisait quatre jours que Gabriel était descendu dans cet hôtel moderne de La Seyne-sur-Mer. Il y avait réservé une chambre par Internet, avait payé avec la carte bleue de Greg et s’était présenté sous son identité. Il avait même emprunté au mort sa BMW.
Deux semaines auparavant, il avait demandé à Lady Ekdikos d’accélérer le mouvement. Elle avait vivement protesté.
Tu prends des risques inconsidérés. Si les meurtres sont trop rapprochés, la police fera le lien.
Mais Gabriel n’avait rien voulu entendre.
Il voulait en finir.
Prouver à Lana qu’il ne l’oubliait pas.
La nouvelle enveloppe contenait la photo d’un homme. Prise au dépourvu, Lady Ekdikos n’avait pas pu lui fournir la moindre indication, sinon son adresse.
Alors depuis quatre jours, Gabriel observait sa cible. En partant, il avait confié à Izri et Tama le soin de s’occuper de ses chevaux et de son chien, il n’était donc pas pressé.
En proie à l’insomnie, Gabriel ouvrit la fenêtre de sa chambre et écouta le chant du mistral qui jouait avec les haubans et les mâts des voiliers, faisant tinter la nuit. À cette furieuse mélodie se mêlait la voix de Tayri.