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Tu es l’esclave de ta vengeance.

Elle avait sans doute raison et si elle était restée en vie, il aurait peut-être renoncé.

Mais elle était morte.

Alors, dans moins de vingt-quatre heures, un homme allait mourir à son tour.

* * *

Izri gare la Mercedes dans un endroit obscur. Nous descendons et avançons main dans la main le long du mur, cherchant l’endroit propice pour l’escalader.

Izri arrive à nouveau à marcher, mais sa jambe le fait encore souffrir. Je n’ai pas eu besoin de lui demander la moindre explication. Il m’a avoué de lui-même qu’il avait tué Nicolas Legrand. Cet homme dont je me souviens à peine. Je sais que Greg m’avait emmenée chez lui, mais j’étais quasiment dans le coma quand je suis arrivée.

En éliminant ces hommes l’un après l’autre, Izri pense peut-être gommer le passé.

Mais le passé ne s’efface jamais.

Il faut tenter de le surmonter, de le dompter.

Ou de le redessiner.

Nous montons chacun notre tour sur un gros container et atterrissons de l’autre côté de l’enceinte.

Nous voici dans le cimetière. Izri allume une lampe torche et nous nous faufilons entre les tombes pour arriver devant celle de Wassila et d’Hachim.

C’est moi qui ai insisté pour venir m’y recueillir. Comme Izri pensait que c’était trop dangereux de le faire en plein jour, nous avons décidé d’attendre la nuit.

Je voulais dire à Wassila qu’elle resterait vivante dans mon cœur et mes pensées, parmi toutes les belles personnes croisées au cours de mon existence.

J’ai beaucoup de peine, beaucoup de regrets. J’avais tant à apprendre d’elle, j’en suis sûre. Mais le temps nous a manqué.

— Tu n’es pas coupable, dis-je en serrant la main d’Izri.

Il ne répond pas, mais je sens que l’émotion le submerge. Il se croit responsable de la mort de sa grand-mère. À moi de le rassurer, une fois encore.

J’ai des choses à dire à Izri. Et je décide de le faire maintenant.

Maintenant que jedda peut en être témoin.

— Iz, je ne veux pas te perdre. Tu prends trop de risques. Tu joues avec le feu et ça finira mal.

— J’ai toujours fait ça.

— S’il t’arrive quelque chose, ça me tuera.

— Arrête, Tama…

— Non. Je veux que tu en sois conscient. Je ne veux pas que tu l’oublies.

Il soupire et lâche ma main. J’ai froid, soudain.

— Je sais que tu veux reconquérir ton empire, mais Manu n’est plus là. Tu es seul, c’est du suicide. Et vivre sans toi, c’est pire que la mort.

Avant, il m’aurait répondu que ça ne me regardait pas. Que je n’avais pas à m’en mêler. Mais ce soir, il ne trouve rien à répondre.

Je dépose les fleurs sur la pierre tombale, ainsi qu’un petit panneau de bois sur lequel j’ai écrit quelques mots à l’encre indélébile.

Vulnerant omnes, ultima necat.

At eae quas ad vos consumpsi me delectaverunt.

— Ça veut dire quoi ? s’étonne Izri.

— Toutes les heures blessent, la dernière tue. Mais j’ai aimé celles passées auprès de vous.

* * *

La BMW était garée le long du trottoir, tous feux éteints. Derrière le volant, Gabriel fumait une cigarette. Il avait enfilé un bonnet, chaussé une paire de lunettes qui lui dévoraient la moitié du visage. Ainsi, personne ne pourrait réaliser son portrait-robot. D’autant qu’à la place de la vitre conducteur brisée, il y avait un film plastique opaque.

Il consulta l’horloge de la voiture, il était 17 h 15. Sa tension artérielle grimpa encore d’un cran.

Chaque soir, Guylain Voulisse quittait son travail à 17 h 30 précises et rentrait à pied jusque chez lui. Son trajet était toujours le même, il n’en déviait pas d’un centimètre.

Voulisse approchait de la retraite. Il avait sagement cotisé pendant quarante-deux annuités et espérait sans doute profiter de quelques années d’un repos bien mérité.

Raté, songea Gabriel.

Il se souvenait de Voulisse en train de témoigner au procès des deux salopards qui avaient violé et tué sa petite Lana. Autant les autres avaient fait profil bas, autant ce lâche s’était permis d’ajouter qu’il n’avait pas pu prendre le risque d’intervenir, étant fragile du cœur.

Ce cœur qui cesserait bientôt de battre.

17 h 35, la cible n’allait pas tarder à apparaître au bout de la rue.

Une rue en sens unique, relativement peu fréquentée, assez mal éclairée. En plein milieu, un passage clouté. Invariablement, Voulisse traversait à cet endroit.

Lorsqu’il le vit, Gabriel mit le contact, mais pas les feux. Voulisse regarda à gauche, mais ne songea pas à vérifier sur sa droite, vu qu’aucune voiture n’arrivait jamais de ce côté. Il s’engagea sur les bandes blanches, Gabriel écrasa la pédale de l’accélérateur, la BMW monta dans les tours. Voulisse tourna la tête et la BMW le percuta de plein fouet, le projetant dix mètres plus loin. Une passante hurla alors que la voiture roulait sur le corps démantibulé et disparaissait à vive allure.

* * *

Après avoir traversé La Grand-Combe, Gabriel s’engagea sur une piste forestière.

Dans la lumière des phares, la calandre de son Hilux se profila. Gabriel rangea la BMW un peu plus loin et rejoignit Izri qui fumait sa cigarette dans le froid humide du sous-bois.

Les deux hommes se serrèrent la main.

— Salut, Izri. J’espère que tu n’attends pas depuis trop longtemps ?

— T’inquiète, répondit le jeune homme.

— Merci de ton aide.

— Je te dois bien ça. Et même plus que ça !

Ils récupérèrent deux bidons d’essence dans la benne du pick-up et aspergèrent la BMW. Izri vit que l’avant du coupé avait morflé, mais ne posa aucune question. Il embrasa une boîte de cubes allume-feu qu’il balança sur le siège avant. Ils attendirent quelques minutes puis montèrent dans le 4 × 4 et reprirent la route en direction de Florac.

— Comment va Tama ?

Izri haussa les épaules.

— Pas trop mal. Mais elle a changé…

— Si tu avais été séquestré par un malade qui te violait tous les jours, tu penses que tu n’aurais pas changé ? rétorqua Gabriel.

— Sans doute…

— Laisse-lui le temps.

En arrivant au hameau, une heure plus tard, Gabriel gara le Hilux près de la Mercedes d’Izri et invita son jeune complice à boire un verre.

Ils se réfugièrent à l’intérieur et Gabriel sortit du bar son fameux whisky japonais.

— Tama voudrait que je prenne moins de risques, fit soudain Izri.

— Elle a survécu dans l’unique but de te retrouver. Elle n’a pas envie de te perdre !

— C’est exactement ce qu’elle m’a dit, soupira-t-il.

— Je la comprends. Mais la vie n’est qu’une série de choix, Izri. À toi de faire les bons.

127

Assis sur la balancelle de la terrasse, nous regardons le soleil se coucher.

— Je ne veux plus jamais qu’on se quitte, murmuré-je.

Izri tourne la tête vers moi et me sourit.

— Pourquoi veux-tu qu’on se quitte ?

— Quoi que tu fasses, je veux être près de toi. À chaque instant.

Il vient de comprendre ce que j’attends de lui. Il réalise ce que cette simple phrase signifie.

— Tama, tu ne peux pas exiger ça de moi…

— Je suis capable de te suivre, où que tu ailles.