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Même si ma vie est tout sauf intéressante.

* * *

Ce soir, alors que tout le monde dort, j’ouvre mon dernier cahier vierge et prends mon vieux stylo presque vide. J’inscris la date sur la page et, ensuite, me mets à réfléchir.

Par où commencer ? Que dire ? Et surtout, à qui le dire ?

Finalement, je n’arrive pas à ordonner mes pensées et renonce. Une autre fois, peut-être.

Je m’allonge sur le matelas et regarde Batoul, assise sur le carton. Maintenant que les Charandon l’ont découverte, elle peut rester dehors. Sa place est à côté de la lampe.

Depuis que Charandon m’a planté un clou au milieu de la main, je n’ai pas eu à subir d’autres châtiments, à part quelques gifles.

Mais les gifles, ce n’est rien, après tout.

Il faut dire que je me suis tenue tranquille, que je n’ai plus posé de questions, ne me suis plus montrée insolente.

Sage comme les images des livres.

Pourtant, j’ai peur. Parce que je sens quelque chose en moi. Un venin qui dort dans mes veines. Mes sentiments envers Charandon, la rage que je ressens contre lui, sont un poison qui se diffuse lentement dans ma tête, dans mon corps. Et parfois, j’ai terriblement envie que ça sorte.

J’ai lu un livre sur les volcans… J’ai l’impression que de la lave incandescente bouillonne au fond de mon ventre et qu’elle va jaillir à la première occasion. L’impression que je vais exploser et tuer tous ceux qui m’entourent.

Je ne dois pas le faire, je le sais. D’autant que Sefana est moins dure avec moi ces derniers temps. Depuis que je lui ai préparé du thé pour la consoler, on dirait qu’elle commence à m’aimer un tout petit peu. Rien qu’un tout petit peu, mais il ne faudrait pas tout gâcher.

Pas maintenant…

31

Quand Gabriel revint chez lui, il était presque midi. La neige avait cessé de tomber. Après avoir terminé de creuser la tombe de sa future victime, il avait marché dans la forêt.

Parenthèse nécessaire avant d’affronter la suite.

Tandis qu’il avançait au milieu des châtaigniers dénudés puis des pins noirs, il avait parlé à Lana. Ça lui arrivait souvent, depuis qu’elle était partie.

Depuis huit longues années.

Il lui avait décrit l’inconnue, avec des mots tendres, des sourires.

Gabriel récupéra une bâche en plastique au fond de l’écurie et la rapporta à l’intérieur de la maison. Il se lava soigneusement les mains dans la cuisine puis jeta un œil à ses mails.

Il n’était pas pressé de la rejoindre.

La rejoindre, une dernière fois.

Après une cigarette, il se décida.

En pénétrant dans la chambre, il vit qu’elle dormait. C’était mieux ainsi, finalement. Elle ne se rendrait compte de rien, ou presque.

Il aurait voulu ne pas l’abîmer mais ne connaissait aucune méthode pour assassiner quelqu’un en douceur.

Pourtant, il les connaissait toutes.

Il récupéra un gros coussin posé sur le fauteuil et s’approcha du lit. Il la contempla un moment encore. Sa respiration était redevenue régulière, elle semblait reposée.

— Désolé, ma belle. Il est temps de se dire au revoir…

Il prit le coussin à deux mains et le plaqua sur le visage de l’inconnue. Au bout de quelques secondes, elle commença à se débattre et Gabriel accentua la pression.

— Ne lutte pas, dit-il. S’il te plaît, ne lutte pas…

32

Dimanche matin, 7 heures. Tama se lève.

Le dimanche, elle peut dormir un peu plus longtemps car il n’est pas nécessaire que le petit déjeuner soit prêt de bonne heure. Même Vadim n’est pas encore réveillé.

Alors Tama en profite pour faire sa toilette. Elle va dans la cuisine, pousse la porte pour ne pas faire de bruit. Puis elle se déshabille et se savonne le haut du corps. Sefana lui a acheté un nouveau savon. Ce n’est pas le même que d’habitude, il a une odeur agréable, une mousse généreuse. Elle lui a aussi donné une bouteille à moitié pleine d’eau de Cologne, ce qui l’a rendue folle de joie.

Après avoir rincé sa peau à l’aide d’un gant, elle passe à sa toilette intime et termine par ses jambes et ses pieds. Ensuite, elle se sèche soigneusement. C’est à ce moment-là qu’elle remarque que la porte de la cuisine est entrebâillée.

Charandon la regarde, ses yeux brillent.

Tama se fige, ses mains se crispent sur la serviette. Depuis combien de temps est-il là, à l’épier ? L’a-t-il déjà fait ?

Le fait-il chaque matin ?

Il entre dans la pièce et, tout en la fixant d’un drôle d’air, il ouvre le frigo pour attraper une bouteille d’eau. Tama n’a pas bougé, incapable du moindre geste face à cet homme quasiment nu.

Charandon lui adresse un de ses sourires abjects et s’approche. Tama bat lentement en retraite vers la buanderie, attrapant au passage son vieux tee-shirt de nuit et sa culotte.

— N’aie pas peur, chuchote Charandon. Ne te sauve pas…

Tama est contre la porte de la buanderie, tétanisée par un mauvais pressentiment.

— Tu sais que tu es très jolie ? ajoute-t-il.

Tama tient toujours sa serviette, seul rempart entre elle et cet homme. Soudain, il lui arrache sa dérisoire protection.

— Oui, vraiment très jolie…

Nouveau pas en arrière. Afaq lui a souvent dit que face à un animal dangereux, il fallait bouger le moins possible.

Mais Charandon est sans doute le plus dangereux des carnassiers.

— Je t’avais dit qu’on se retrouverait…

Tama continue à reculer doucement et sent la machine à laver dans son dos. Impossible d’aller plus loin. Une voix s’interpose entre eux. Sefana se tient juste derrière Charandon.

Regard noir et visage gonflé de sommeil, elle voit la serviette dans les mains de son mari, Tama nue face à lui.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Charandon ne prend même pas la peine de se retourner pour lui répondre.

— J’avais soif, je suis venu prendre de l’eau dans le frigo… Et cette petite pute s’est mise à poil devant moi… Tu le crois, ça ?

— Tama, habille-toi tout de suite ! ordonne Sefana.

Charandon pivote enfin vers son épouse et la fixe droit dans les yeux.

— Je suis sûr qu’elle finira sur le trottoir.

Il quitte la cuisine tandis que Tama enfile ses vêtements à la hâte. Sefana entre dans la buanderie et la toise avec hargne.

— J’étais en train de me laver quand il est arrivé, murmure-t-elle en boutonnant sa blouse.

Sefana lui assène une gifle retentissante.

— Ne recommence jamais ça ! s’écrie-t-elle. Jamais, tu as compris ?

— Mais…

Nouvelle gifle.

— Mon mari n’est pas un menteur !

— Oui, madame.

* * *

Ce dimanche m’a paru interminable. J’ai eu mal au cœur toute la journée. Une nausée persistante, comme si j’avais mangé quelque chose d’avarié, impossible à digérer. Une nouvelle fois, je me suis sentie sale, avec l’impression que quelqu’un avait essuyé ses mains souillées sur ma peau.

Fadila est sortie avec son petit copain, Adina a joué devant son ordinateur. Émilien a fait du skateboard dans la rue et Vadim a dessiné et s’est amusé avec des puzzles. Parfois, le dimanche, les Charandon emmènent leur progéniture au restaurant, mais, aujourd’hui, l’ambiance était morose.