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Jusqu’à ce que je sente une présence dans mon dos. Je me retourne, il est là.

Charandon m’observe avec ce regard bizarre et malsain. Ce regard qui, tant de fois, m’a donné envie de lui crever les yeux.

— Vous voulez quelque chose ? demandé-je.

Il hoche la tête et j’attends, une boule dans l’estomac. Il a un verre de whisky à la main. Il a dû boire la moitié de la bouteille.

Il s’approche, ma respiration s’accélère. Il pose le verre sur la table, ferme la porte de la cuisine. Il vient plus près, toujours plus près.

— Tu es sacrément mignonne pour ton âge, murmure-t-il. On dirait une petite femme…

Mes yeux se baissent, mon cœur se serre. Il attrape mon poignet, m’attire vers lui, caresse ma joue, mon cou. Frisson immonde.

— Si tu es gentille avec moi, je te laisserai appeler ton père, ajoute-t-il à voix basse.

Je relève la tête, ouvre la bouche. Mais quoi dire, quoi faire ?

Appeler mon père, j’en rêve. Et ce pervers le sait.

Il me pousse contre la paillasse, déboutonne ma blouse.

— Laisse-toi faire…

Ma blouse tombe au sol. Je porte encore mon tee-shirt qu’il soulève en passant ses mains dessous. Je me sens si mal que j’ai l’impression que je vais tourner de l’œil.

— Vous ne devriez pas…

— Ferme ta gueule, dit-il sans élever la voix.

Quand sa main entre dans ma culotte, j’arrête de respirer. L’instant d’après, je le repousse et me sauve à l’autre bout de la pièce. Il me fixe, j’affronte son regard.

— Tu ne veux pas appeler ton père ? Tu n’as pas envie de lui parler ?

— Je ne suis pas comme ça ! dis-je.

— Comme quoi ?

— Comme cette femme, dans le garage. Sur le capot de votre voiture…

Le visage de Charandon se transforme, son sourire s’évapore.

— De quoi tu parles ?

— Vous le savez bien ! C’était un dimanche, Madame était partie chez sa cousine et cette femme est venue ici. Elle avait une voiture grise… Je vous ai vus, dans le garage !

Le sourire de Charandon revient.

— Tu nous as regardés baiser, Tama ? Ça t’a fait quoi ?

Il est à nouveau tout près de moi, j’essaie de cacher ma peur.

— Ça m’a dégoûtée !

— Ah oui ? Et pourquoi tu as regardé ?

Il me plaque contre le mur.

— Si vous me touchez, je le dirai à votre femme ! Je lui dirai pour le garage !

— Vas-y, je m’en fous… Dans cette maison, c’est moi qui commande et ma femme ferme sa gueule. De toute façon, tout est à moi, ici. Si elle me fait chier, elle se retrouve à la rue !

J’ignore s’il bluffe ou s’il n’en a vraiment rien à faire. Je viens peut-être de perdre mon arme et n’ai plus rien pour me défendre.

Rien, à part ma voix.

Alors, je me mets à hurler. Aussi fort que je peux. Il me colle une main sur la bouche, mais c’est trop tard. J’ai ameuté toute la maison.

Moins de trente secondes après, Sefana débarque dans la cuisine au moment où son mari en sort. Elle me considère, les jambes nues, tétanisée contre le mur. Elle voit ma blouse par terre, le verre de whisky sur la table. Elle rejoint son mari dans le salon, qui vient de se réinstaller sur le sofa.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demande-t-elle.

— Fous-moi la paix.

— Dis-moi ce qui s’est passé ! insiste Sefana.

Son mari lui assène une gifle violente, je sursaute. Ils s’affrontent du regard un instant puis Sefana abdique. Elle entre dans la cuisine tandis que je remets ma blouse.

— Tu finiras demain, me dit-elle en ouvrant la porte de la buanderie. Va te coucher.

— Merci, murmuré-je.

Je place le dossier de la chaise sous la poignée et m’allonge sur le matelas. Mes mains tremblent, tout mon corps tremble. Je serre Batoul contre moi en fixant le plafond. J’appelle au secours un dieu qui m’a oubliée depuis longtemps.

Dix minutes plus tard, j’entends le pas de mon ennemi dans la cuisine. Charandon tente d’ouvrir la porte, j’arrête de respirer. Je supplie la chaise de tenir, de me sauver la vie.

— Tu es une petite maline, toi… Ouvre !

Je ne réponds rien, incapable du moindre mot.

— Ouvre, bordel ! Je suis chez moi, ici !

Avec plus de force, il tente encore sa chance et je vois vaciller la chaise.

— Quand j’entre t’es morte ! me prévient-il.

Je me ratatine contre le mur, mon cœur s’affole. La chaise finit par céder, la porte s’ouvre. Je hurle à nouveau, de toutes mes forces.

En une seconde, Charandon est sur moi. Il me donne un coup de poing en plein visage, mon crâne percute le mur.

— Ferme ta gueule !

Il continue de me frapper, je parviens encore à crier. Mais plus rien ne peut le stopper.

— T’es méchant, papa…

Charandon s’arrête net et se retourne ; Vadim est à l’entrée de la buanderie, son doudou à la main. Il éclate en sanglots en voyant le sang sur mon visage. C’est alors que Sefana arrive et considère son mari avec un regard que je n’oublierai jamais. Je me recroqueville sur le matelas et me mets à pleurer à mon tour. Vaincu, Charandon bouscule sa femme et disparaît. Sefana prend Vadim dans ses bras, me fixe un instant. Il y a tant de colère dans ses yeux. Elle claque la porte et je me replie sur ma douleur.

Cette nuit, je le sais, je ne trouverai pas le sommeil. Car, bientôt, Charandon me fera payer cet affront. Dès demain, peut-être. Et Sefana ne pourra pas l’en empêcher. Personne ne le pourra.

36

Quand Gabriel entra dans la chambre, l’après-midi touchait à sa fin. Dès qu’elle le vit, la jeune femme se recroquevilla sur le lit.

Il s’approcha, un petit plateau dans les mains, la toisa quelques secondes.

— Tu as faim ?

Elle ne répondit pas, ne tenta pas le moindre mouvement. Il posa le plateau près d’elle, récupéra la clef de la menotte dans sa poche et détacha son poignet. Puis il alla s’asseoir dans son fauteuil, à l’autre bout de la chambre.

Elle contempla l’offrande. Une tasse de thé, des biscuits et une pomme. Elle resta parfaitement immobile.

— Il faut que tu manges. Sinon, tu risques de mourir.

Il venait de dire ça avec un petit sourire qui avait quelque chose de cruel.

— Ce n’est pas empoisonné. Tu peux y aller sans crainte.

Elle se concentra et tenta une phrase.

— Vous… llez… me…

Les mots se télescopaient, les syllabes se superposaient. Incapable de parler normalement, elle se réfugia à nouveau dans le silence.

— Comment tu t’appelles ? demanda Gabriel.

— Je… Je… pas… sais pas je…

Elle porta une main à sa tempe.

— Quel jour on est ?

Elle secoua doucement la tête.

— Commotion cérébrale, en déduisit Gabriel.

Il quitta la chambre, laissant la porte ouverte. Elle songea que c’était le moment de fuir. Mais pour cela, il aurait fallu trouver la force de se mettre debout. Alors qu’elle s’asseyait au bord du lit, le vertige la saisit violemment. Elle prit sa tête entre ses mains, ferma les yeux.

Gabriel revint dans la pièce et déposa un comprimé sur le plateau avant de retourner s’asseoir dans son fauteuil.

— Prends ça, ordonna-t-il.

Elle le dévisageait avec un mélange de méfiance, de colère et de désespoir.

— Il faut que tu manges et que tu dormes. Comme ça, tu retrouveras peut-être la mémoire.