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Ajouta Anthony Walsh, affable.

– Un cadeau ? Et qui serait assez fou pour vouloir de ce genre de cadeau ?

– Sais-tu combien de personnes se disent au cours des derniers instants de leur vie, « si j'avais su, si j'avais pu comprendre ou entendre, si seulement j'avais pu leur dire, s'il savais... » Et puisque Julia restait sans voix, Anthony Walsh ajouta : le marché est immense !

– Cette chose à qui je parle, c'est vraiment toi ?

– Presque ! Disons que cette machine contient ma mémoire, une grande partie de mon cortex, c'est un dis-positif implacable composé deux millions de processeurs, dotés d'une technologie reproduisant la couleur et la tex-ture de la peau, capable d'une mobilité approchant à la perfection la mécanique humaine.

– Pourquoi ? Pourquoi faire ? demanda Julia aba-sourdie.

– Pour que nous disposions de ces quelques jours qui nous ont toujours manqué, de quelques heures de plus volées à l'éternité, simplement pour que toi et moi puissions enfin partager ensemble toutes ces choses que nous ne nous sommes pas dites.

*

Julia avait quitté le canapé. Elle allait et venait dans le salon, admettant par instants la situation à laquelle elle était confrontée, la rejetant à d'autres. Elle alla se chercher un verre d'eau dans la cuisine, le but d'un grand trait et retourna auprès d'Anthony Walsh.

– Personne ne me croira ! dit-elle en brisant le silence.

– N'est-ce pas ce que tu te dis chaque fois que tu imagines l'une de tes histoires ? N'est-ce pas la question qui occupe tout ton esprit, alors que ton stylo s'anime pour donner vie à des personnages ? Ne m'as-tu pas dit, quand je refusais de croire à ton métier, que j'étais un ignorante qui ne comprenait rien aux pouvoirs des rêves ?

Ne m'as-tu pas expliqué maintes fois que des milliers d'enfants entraînaient leurs parents dans les mondes imaginaires que tes amis et toi inventiez sur vos écrans ? Ne m'as-tu pas rappelé que je n'avais pas voulu croire à ta carrière, alors que la profession te décernait un prix ? Tu a donné naissance à une loutre aux couleurs absurdes, et tu as cru en elle. Vas-tu me dire maintenant, parce qu'un personnage improbable s'anime devant tes yeux, que tu refuserais d'y croire parce que ce personnage au lieu d'avoir l'apparence d'un animal étrange revêt celle de ton père ? Si la réponse est oui, alors je te l’ai dit, tu n'as qu'à appuyer sur ce bouton ! conclut Anthony Walsh en désignant la télécommande que Julia avait abandonnée sur la table.

Julia applaudit.

– Ne profite pas que je sois mort pour être insolente, veux-tu !

– S’il me suffit vraiment de cliquer sur ce bouton pour te fermer enfin le clapet, je vais me gêner !

Et alors que sur le visage de son père se dessinait cette expression si familière qu'il trahissait toujours sa colère, ils furent interrompus par deux petits coups de klaxon venant de la rue.

Le cœur de Julia se remit à battre à toute vitesse.

Elle aurait reconnu parmi cent autres le craquement de la boîte de vitesse qui se faisait entendre chaque fois qu'Adam enclenchait la marche arrière. Sans aucun doute, il était en train de se garer en bas de chez elle.

– Merde ! murmura-t-elle en se précipitant à la fenêtre.

– Qui est-ce ? demanda son père.

– Adam !

–Qui ?

– L'homme que je devais épouser samedi.

– Devais ?

– Samedi, il était à son enterrement !

– Ah oui !

– Ah oui… ! Nous en reparlerons plus tard ! En attendant, retourne tout de suite dans ta caisse !

– Pardon ?

– Dès qu'Adam aura réussi son créneau, ce qui nous laisse encore quelques minutes, il va monter. J'ai annulé notre mariage pour assister à tes obsèques, si nous pouvions éviter qu'il ne te trouve dans mon appartement, ça m'arrangerait !

– Je ne vois pas pourquoi entretenir des secrets inutiles. Si c’est celui avec qui tu voulais partager la vie, tu devrais lui faire confiance ! Je peux tout à fait lui expliquer la situation comme je viens de le faire avec toi.

– D'abord, retire cet imparfait, le mariage n'est que remporté ! Quant à tes explications, c'est bien là le problème, j'ai déjà du mal à y croire, ne lui demande pas l'impossible.

– Il est peut-être plus ouvert d'esprit que toi ?

– Adam ne sait pas faire fonctionner un caméscope, alors, en matière d'androïdes, j'ai des doutes. Rentre dans ta boîte, bon sang !

– Permets-moi de te dire que c'est une idée stupide !

Julia regarda son père, exaspérée.

– Oh, ce n'est pas la peine de faire cette tête-là, reprit-il aussitôt. Tu n'as qu'à réfléchir deux secondes. Une caisse fermée de deux mètres de haut au milieu de ton salon, tu ne crois pas qu'il va vouloir savoir ce qu'elle contient ?

Et comme Julia ne répondait pas, Anthony ajouta satisfait : « c'est bien ce que je pensais ! »

– Dépêche-toi, supplia Julia en se penchant à la fenêtre, va te cacher quelque part, il vient de couper le moteur.

– C'est drôlement petit chez toi, siffla Anthony gauche en regardant autour de lui.

– C'est à la taille de mes besoins et dans mes moyens !

– Il faut croire que non. S'il y avait, je ne sais pas moi, un petit salon, une bibliothèque, une salle de billard, ou ne serait-ce qu'une buanderie, je pourrai au moins aller t’y attendre. Ces appartements composés d'une seule grande pièce... Quel drôle de façon de vivre ! Comment veux-tu avoir la moindre intimité ici ?

– La plupart des gens n'ont pas de bibliothèque ou de salle de billard dans leur appartement.

– Parle pour tes amis, ma chérie !

Julia se retourna vers lui et lui lança un regard noir.

– Tu m'as pourri la vie de ton vivant, tu as fait fabri-quer cette machine à trois milliards pour continuer à m'emmerder aussi après ta mort ? C'est ça ?

– Même si je suis un prototype, cette machine comme tu dis, est loin de coûter une somme aussi folle, sinon, tu penses bien que personne ne pourrait se l'offrir.

– Tes amis, peut-être ? répliqua Julia narquoise.

– Tu as vraiment un sale caractère, ma Julia. Bon, cessons de tergiverser puisqu'il semble y avoir urgence à faire disparaître ton père, tout juste réapparu. Qu'est-ce que nous avons à l'étage au-dessus ? Un grenier, des combes ?

– Un autre appartement !

– Habité par une voisine que tu connaîtrais assez pour que j'aille sonner chez elle et lui demander du beurre ou du sel par exemple, le temps que tu nous débarrasses de ton fiancé ?

Julia se précipita vers les tiroirs de la cuisine, qu'elle ouvrit un à un.

– Qu'est-ce que tu cherches ?

– La clé, chuchota-t-elle alors qu'elle entendait la voix d'Adam qui l'appelait depuis la rue.

– Tu as la clé de l'appartement du dessus ? Je te préviens, si tu m'envoies à la cave, il y a toutes les chances que je crois au fiancé dont l'escalier.

– C'est moi la propriétaire de l'appartement du dessus ! Je lai acheté l'an dernier grâce à ma prime, mais je n'ai pas encore les moyens de le retaper, alors c'est un peu le foutoir là-haut !

– Pourquoi, c'est censé être rangé ici ?

– Je vais te tuer si tu continues !

– Au regret de te contredire, c'est désormais trop tard. Et puis si ta maison était vraiment en ordre, tu aurais déjà repéré les clés que je vois pendre à ce clou près de la cuisinière.

Julia releva la tête et se précipita vers le trousseau.

Elle le saisit et le tendit aussitôt à son père.

– Monte et ne fais aucun bruit. Il sait que l’étage est inoccupé !

– Tu ferais bien d'aller t’entretenir avec lui au lieu de me faire la leçon, à force beugler ton prénom dans la rue, il va finir par réveiller tout le voisinage.