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– C’est Bouddha qui a dit cela et ton père était un Irlandais franchement catholique, ma chérie, répondit Adam.

– Un doberman, il vous faudrait un énorme doberman, Adam ! soupira Stanley.

– Mais qu’est-ce que vous avez à vouloir me coller un chien, vous ?

– Rien, laissez tomber !

Le prêtre s’approcha de Julia pour lui dire combien il était désolé d’avoir à conduire ce genre de cérémonie, lui qui aurait tant voulu célébrer aujourd’hui son mariage.

– Vous ne pourriez pas faire d’une pierre deux coups ? lui demanda Julia. Parce que finalement, les invités, on s’en fiche un peu. Pour votre patron c’est l’intention qui compte, non ?

Stanley ne put réfréner un franc éclat de rire tandis que le prêtre s’indignait.

– Enfin, mademoiselle !

– Je vous assure que ce n’était pas si stupide au moins comme ça, mon père aurait assisté à mon mariage !

– Julia ! réprimanda cette fois Adam.

– Bon, alors de l’avis général, c’est une mauvaise idée, concéda-t-elle.

– Vous voulez prononcer quelques mots ? demanda le prêtre.

– Je voudrais tellement, dit-elle en fixant le cercueil.

Vous, peut-être, Wallace ? proposa-t-elle au secrétaire particulier de son père. Après tout, vous étiez son plus fidèle ami.

– Je crois que je n’en serais pas capable non plus, mademoiselle, répondit le secrétaire, et puis, votre père et moi avions l’habitude de nous comprendre en silence.

Peut-être un seul mot si vous me le permettez, pas à lui mais à vous. En dépit de tous les défauts que vous lui attribuiez, sachez que c’était un homme, parfois dur, souvent cocasse, voire farfelu, mais un homme bon, sans aucun doute ; et il vous aimait.

– Et bien, si mes comptes sont exacts, cela nous fait plus d’un mot, toussota Stanley en voyant les yeux de Julia s’embuer.

Le prêtre récita une prière et referma bréviaire. Lentement le cercueil d’Anthony Walsh descendit dans sa tombe. Julia tendit une rose au secrétaire de son père.

Lhomme sourit et lui rendit la fleur.

– Vous d’abord, mademoiselle.

Les pétales s’éparpillèrent au contact du bois, trois autres roses tombèrent à leur tour et les quatre visiteurs du dernier jour rebroussèrent chemin.

Au loin dans l’allée, le corbillard avait cédé sa place à deux berlines. Adam prit la main de sa fiancée et l’entraîna vers les voitures. Julia leva le regard vers le ciel.

– Pas un nuage, du bleu, du bleu, du bleu, partout du bleu, ni trop chaud ni trop froid, pas l’ombre d’un frisson, quelle merveilleuse journée c’était pour se marier.

– Il y en aura d’autres, ne t’inquiète pas, la rassura Adam.

– Comme celle-ci ? s’exclama Julia en écartant grand les bras. Avec un ciel comme ça ? Une température pareille ? Des arbres qui explosent de vert ? Des canards sur le lac ? A moins d’attendre le prochain printemps, j’en doute !

– L’automne sera tout aussi beau, fais-moi confiance, et depuis quand tu aimes les canards ?

– C’est eux qui m’aiment ! Tu as vu combien ils étaient tout à l’heure sur l’étang, près de la tombe de mon père !

– Non, je n’ai pas fait attention, répondit Adam, un peu inquiet de l’effervescence soudaine de sa fiancée.

– Il y en avait des dizaines ; des dizaines de colverts, avec leur nœuds papillons, venus se poser juste là et repartis aussitôt la cérémonie terminé. Ce sont des canards qui avaient décidé de venir à MON mariage, et qui sont venus me rejoindre à l’enterrement de mon père !

– Julia, je ne veux pas te contrarier aujourd’hui, mais je ne crois pas que les canards portent des nœuds papillons.

– Qu’est-ce que tu en sais ? Tu en dessines, toi, des canards ? Moi si ! Alors si je te dis que ceux-là s’étaient mis en costume de cérémonie, je te prie de me croire !

cria-t-elle.

– D’accord, mon amour, tes canards étaient en smo-king, rentrons maintenant.

Stanley et le secrétaire particulier les attendaient près des voitures. Adam entraîna Julia mais elle s’arrêta devant une pierre tombale au milieu de la grande pelouse.

Elle lut le prénom de celle qui reposait sous ses pieds et la date de naissance qui remontait au siècle dernier.

– Tu la connaissais ? demanda Adam.

– C’est la tombe de ma grand-mère. Toute ma famille repose désormais dans ce cimetière. Je suis la dernière de la lignée des Walsh. Enfin, à part quelques centaines d’oncles, tantes, cousins et cousines inconnus qui vivent entre l’Irlande, Brooklyn et Chicago. Pardonne-moi pour tout à l’heure, je crois que je me suis un peu emportée.

– Ce n’est pas très grave, nous devions nous marier, tu enterres ton père, c’est normal que tu sois bouleversée.

Ils avancèrent dans l’allée. Les deux Lincoln n’étaient plus maintenant qu’à quelques mètres.

– Tu as raison, dit Adam en regardant à son tour le ciel, c’est une journée magnifique, ton père nous aura vraiment emmerdés jusqu’à son dernier jour.

Julia s’immobilisa aussitôt et retira brusquement sa main de la sienne.

– Ne me regarde pas comme ça ! supplia Adam, tu l’as dit toi-même au moins vingt fois depuis l’annonce de son décès.

– Oui, moi je peux le dire autant de fois que je le veux, mais pas toi ! Monte dans la première voiture avec Stanley, je prendrai la seconde.

– Julia ! Je suis désolé…– Ne le sois pas, j’ai envie d’être seule chez moi ce soir, et de ranger les affaires de ce père qui nous aura emmerdés jusqu’à son dernier jour, comme tu dis.

– Mais ce n’est pas moi qui le dis, bon sang, c’est toi ! cria Adam alors que Julia montait dans la berline.

– Une dernière chose, Adam, le jour où nous nous marierons, je veux des canards, des colverts, des dizaines de colverts ! ajouta-t-elle avant de claquer la portière.

La Lincoln disparut à la grille du cimetière. Dépité, Adam regagna la seconde voiture et s’installa sur la banquette arrière à la droite du secrétaire particulier.

– Ou un fox-terrier peut-être ! C’est petit mais ça mord bien…, conclut Stanley assis à l’avant en faisant signe au chauffeur qu’il pouvait démarrer.

3.

La voiture qui raccompagnait Julia descendait lentement la 5e Avenue sous une averse soudaine. A l’arrêt depuis de longues minutes, bloquée dans les embouteillages, Julia fixait la devanture d’un grand magasin de jouets à l’angle de la 58e Rue. Elle reconnut dans la vitrine l’immense loutre en peluche au pelage gris-bleu.

Tilly était née un après-midi semblable à celui-ci, où la pluie tombait si fort qu’elle avait fini par former de petits ruisseaux le long des fenêtres du bureau de Julia.

Perdues dans ses pensées, elle y vit bientôt des rivières, les bordures de la fenêtre en bois devinrent les rivages d’un estuaire d’Amazonie et l’amas de feuilles chassée par la pluie, la maison d’un petit mammifère, que le dé-luge allait emporter laissant la communauté des loutres dans le plus grand désarroi.

La nuit suivante fut tout aussi pluvieuse. Seule dans la grande salle informatique du studio d’animation qui l’employait, Julia avait alors esquissé les premiers traits de son personnage. Impossible de compter les milliers d’heure passées face à son écran, à dessiner, colorier, inventer chaque expression et chaque mimique qui donnerait vie à la loutre couleur azur.