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– tu ne vas quand même pas lui obéir au doigt et à l'œil ! Et notre dîner en tête-à-tête ?

– Et toi, tu ne lui obéis pas au doigt et à l'œil ? Rappelle-moi à quelle heure s'envole ton avion pour Mogadiscio ? Tomas, tu me l'as dit cent fois, la carrière avant tout, n'est-ce pas ? Demain tu ne seras plus là, et qui sait pour combien de temps. Prend soin de toi. Si les vents nous sont favorables, mon vie finiront bien par se recroiser dans une ville ou dans une autre.

– Prends au moins les clés de chez moi, viens écrire ton article à la maison.

– Je serai mieux à l'hôtel. Je crois que je pourrais difficilement me concentrer, la tentation de visiter ton palace serait irrésistible.

– il n'y a qu'une pièce tu sais, tu en auras vite fait le tour.

– Tu es vraiment mon idiot préféré, je parlais de te sauter dessus, imbécile. Une prochaine fois, Tomas, et si je changeais d'avis, je me ferai un plaisir de venir te réveiller en sonnant à ta porte. À bientôt !

Marina lui adressa un ciao de la main et s'éloigna.

*

– Tu vas bien ? demanda Knapp alors que Tomas rentrait dans son bureau en claquant la porte.

– Tu es vraiment chiant ! Je viens pour une nuit à Berlin avec Marina, la dernière avant mon départ, et il faut que tu te débrouilles pour me l'enlever. Tu veux me faire croire que tu n'avais personne d'autre sous la main ?

Qu'est ce qu'il y a, bon sang ? Elle te plaît et tu es jaloux ? Tu es devenu tellement ambitieux que plus rien ne compte que ton journal ? Tu voulais que nous passions la soirée ensemble ?

– Tu as fini ? demanda Knapp en reprenant place derrière sa table de travail.

– Avoue que tu es un sacré emmerdeur ! Poursuivit Tomas, furieux.

– Je doute que nous partagions cette soirée. Installe-toi dans ce fauteuil, il faut que je te parle et, compte tenu de ce que j'ai à dire, je préfère que tu sois assis.

*

Le parc de Tiergaten était plongé dans la lumière du soir. Deux vieux réverbères diffusaient leur halo jaunâtre le long de la voir pavée. Julia avança jusqu'au canal. Sur le lac, les bateliers accrochaient les barques unes aux autres. Elle poursuivit son chemin jusqu'à la lisière du zoo. Un peu plus loin, un pont surplombait la rivière. Elle coupa à travers bois, sans avoir peur de s'égarer, comme si chaque sentier, chaque arbre qu'elle croisait lui était familier. Devant elle se dressait la colonne de la victoire.

Elle dépassa le rond-point, ces pas la guidaient vers la porte de Brandebourg. Soudain, elle reconnut l'endroit où elle se trouvait et s'arrêta. Il avait presque vingt ans, au détour de cette allée se dressait un pan du mur. C'était ici que, pour la première fois, elle avait vu Tomas.

Aujourd'hui, un banc sous un tilleul s'offrait aux visiteurs.

– J'étais sûr de te retrouver là, dit une voix derrière elle. Tu as toujours cette même démarche.

Le cœur serré, Julia sursauta.

– Tomas ?

– Je ne sais pas ce que l'on doit faire en pareilles circonstances, se serrer la main, s'embrasser ? dit-il la voix hésitante.

– Je ne sais pas non plus, dit-elle.

– Quand Knapp m'a confié que tu étais à Berlin, sans pouvoir me dire où te trouver, j'ai d'abord pensé à appeler toutes les auberges de jeunesse de la ville, mais il y en a vraiment beaucoup maintenant. Alors j'ai imaginé qu'avec un peu de chance tu reviendrais par ici.

– Ta voix est la même, un peu plus grave, dit-elle avec un sourire fragile.

Il fit un pas vers elle.

– Si tu préfères, je pourrais grimper à cet arbre, je sauterais depuis cette branche, c'est presque la même hauteur que la première fois où je te suis tombé dessus.

Il fit un pas de plus, et la prit dans ses bras.

–Le temps a passé vite, et si lentement à la fois, dit-il en la serrant encore plus fort.

– Tu pleures ? demanda Julia en caressant sa joue.

– Non, c'est juste une poussière, et toi ?

– Sa sœur jumelle, c’est idiot, pourtant il n'y a pas de vent.

– Alors ferme les yeux, lui demanda Tomas.

En retrouvant les gestes du passé, il effleura les lèvres de Julia du bout des doigts avant de poser un baiser sur chacune de ses paupières.

– C'était la plus jolie façon de me dire bonjour.

Julia abandonna son visage au creux de la nuque de Tomas.

– Tu as la même odeur, je n'aurais jamais pu l'oublier.

– Viens, dit-il, il fait froid, tu trembles.

Tomas prit Julia par la main et l'entraîna à la porte de Brandebourg.

– Tu es venue à l'aéroport tout à l'heure ?

– Oui, comment le sais-tu ?

– Pourquoi ne m’as-tu pas fait signes ?

– Je crois que je n'avais pas vraiment envie de dire bonjour à ta femme.

– Elle s'appelle Marina.

– C'est un joli prénom.

– C'est une amie avec qui j'entretiens une relation épistolaire.

– Tu veux dire épisodique ?

– Quelque chose comme ça, ma pratique de ta langue n'est toujours pas parfaite.

– Tu te débrouilles plutôt bien.

Ils quittèrent le parc et traversèrent la place.

Tomas la conduisit à la terrasse d'un café. Ils s'installèrent à une table et restèrent un long moment à se regarder en silence, incapable de trouver les mots à se dire.

– C’est fou comme tu n'as pas changé, reprit Tomas.

– Si, je t'assure qu'en vingt ans j'ai changé. Si tu me voyais au réveil, tu verrais bien que les années ont passé.

– Je n'ai pas besoin de ça, j'ai compté chacune d’elles.

Le garçon déboucha la bouteille de vin blanc que Tomas avait commandée.

– Tomas, pour ta lettre, il faut que tu saches...

– Knapp m'a tout raconter de votre rencontre ton père avait de la suite dans les idées !

Il leva son verre et trinqua délicatement. Devant eux un couple s'arrêta sur la place, émerveillé par la beauté des colonnades.

– Tu es heureuse ?

Julia ne dit rien.

– Où en es-tu de ta vie ? demanda Tomas.

– À Berlin, avec toi, aussi désemparée qu’ il y a vingt ans.

– Pourquoi ce voyage ?

– Je n'avais pas d'adresse où te répondre. Vingt ans pour que ta lettre me parvienne, je ne faisais plus confiance à la poste.

– Tu es mariée, tu as des enfants ?

– Pas encore, répondit Julia.

– Pas encore pour les enfants ou pour le mariage ?

– Pour les deux.

– Des projets ?

– Cette cicatrice sur ton menton, tu ne l'avais pas avant.

– Avant, je n'avais sauté que du haut d’un mur, pas encore sur une mine.

– Tu as un peu forci, dit Julia en souriant.

– Merci !

– C'était un compliment, je te le jure, ça te va très bien.

– Tu mens mal, mais j'ai vieilli, c'est indiscutable.

Tu as faim ?

– Non, répondit Julia en baissant les yeux.

– Moi non plus. Veux-tu que nous marchions ?

– J'ai l'impression que chaque mot que je dis est une connerie.

– Mais non, puisque tu ne m’as encore rien dévoilé sur ta vie, dit Tomas d'un air triste.

– J'ai retrouvé notre café, tu sais.

– Moi je n’y suis jamais retourné.

– Le patron m'a reconnue.

– Tu vois bien que tu n'as pas changé.

– Ils ont détruit le vieil immeuble où nous vivions pour en construire un tout neuf. De notre rue, il ne reste plus que le petit jardin en face.

– C'est peut-être mieux comme ça. Je n'avais pas de bons souvenirs là-bas, à part nos quelques mois ensemble. J’habite à l'ouest maintenant. Pour beaucoup, cela ne signifie plus rien, mais moi, depuis mes fenêtres, j'aper-