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çois encore la frontière.

– Knapp m'a parlé de toi, reprit Julia.

– Qu'est-ce qui t'a dit ?

– Que tu tenais un restaurant en Italie et que tu avais une ribambelle de gamins qui t'aidaient à cuire tes pizzas, répondit Julia.

– Quel crétin... Où est-il allé chercher une chose pareille ?

– Dans les souvenirs du mal que je t'ai fait.

– J'imagine que moi aussi je t'en ai fait puisque tu ne croyais mort...

Tomas regarda Julia en plissant les yeux.

– C'est prétentieux ce que je viens de dire, non ?

– Oui, un peu, mais c'est vrai.

Tomas prit la main de Julia dans la sienne.

– Nous avons chacun suivi notre route, c'est la vie qui en a décidé ainsi. Ton père l'a beaucoup aidé, mais il faut croire que le destin ne voulait pas nous réunir.

– Où il voulait nous protéger... Peut-être aurions-nous fini par ne plus nous supporter ; nous aurions divorcé, tu serais le type que je détesterais le plus au monde et nous ne passerions pas cette soirée ensemble.

– Si, pour discuter de l'éducation de nos enfants ! Et puisil y a des couples qui se séparent et restent amis. Tu as quelqu'un dans ta vie ? Si tu pouvais ne pas évider la question cette fois !

– Éluder !

– Quoi ?

– Tu voulais dire éluder la question, évider ce serait plutôt pour un poisson.

– Tu me donne une idée. Suis-moi !

À la terrasse voisine se tenait un restaurant de fruits de mer. Tomas prit d’assaut une table, sous les regards furieux des touristes qui attendaient leur tour.

– Tu fais des choses comme ça maintenant ? demanda Julia en s'asseyant. Ce n'est pas très civilisé. On va se faire virer !

– Dans mon métier, il faut être débrouillard ! Et puis, le patron est un ami, autant en profiter.

Celui-ci vint justement saluer Tomas.

– La prochaine fois, essaie de faire une arrivée plus discrète, tu vas me brouiller avec ma clientèle, chuchota le propriétaire de l'établissement.

Tomas présenta Julia à son ami.

– Que recommanderait tu as deux personnes qui n'ont pas du tout faim ? lui demanda-t-il.

– Je vais déjà vous apporter un bouquet de crevettes, l'appétit vient en mangeant !

Le patron s’éclipsa. Avant d'entrer en cuisine, il se retourna, leva le pouce et d’un clin d'œil appuyé et fit comprendre à Tomas qu’il trouvait Julia ravissante.

– Je suis devenue dessinatrice.

– Je sais, j'aime beaucoup ta loutre bleue...

– Tu l'as vue ?

– Je te mentirais si je te disais que je ne rate aucun de tes dessins animés, mais comme tout se sait dans ma profession, le nom de sa créatrice est arrivé à mes oreilles. J'étais à Madrid, un après-midi avec un peu de temps devant moi. J'ai remarqué l'affiche, je suis entré dans la salle ; je dois t'avouer que je n'ai pas compris tous les dialogues, l'Espagnol n'est pas mon fort, mais je pense avoir saisi l'essentiel de l'histoire. Je peux te poser une question ?

– Tout ce que tu voudras.

– Tu ne te serais pas inspiré de moi pour créer le personnage de l’ours, par hasard ?

– Stanley me dit que celui du hérisson te ressemble plus.

– Qui est Stanley ?

– Mon meilleur ami.

– Et comment peut-il savoir que je ressemble à un hérisson ?

– Il faut croire qu'il est très intuitif, perspicace, ou que je lui parlais souvent de toi.

– On dirait qu'il a beaucoup de qualités. C'est quel genre d’ami ?

– Un ami veuf avec qui j’ai partagé beaucoup de moments.

– Je suis désolé pour lui.

– Mais, de bons moments tu sais !

– Je parlais du fait qu'il ait perdu sa femme, elle est morte il y a longtemps ?

– Son compagnon...

– Alors je suis encore plus triste pour lui.

– Ce que tu es bête !

– Je sais, c'est idiot, mais je le trouve plus sympathique maintenant que tu me dis qu'il aimait un homme. Et qui t’as inspiré la belette ?

– Mon voisin du dessous, il tient un magasin de chaussures. Raconte-moi cet après-midi où tu es allé voir mon dessin animé, comment était cette journée ?

– Triste, quand la séance s'est achevée.

– Tu m'as manqué, Tomas.

– Toi aussi, bien plus que tu ne peux l'imaginer.

Nous devrions changer de sujet. Il n'y a pas de poussière a culpabilisé dans ce restaurant.

– A accusé ! C'est ce que tu voulais dire.

– Qu'importe. Des journées comme celles vécues en Espagne, j'en ai connu des centaines, ici ou ailleurs et il m'arrive encore parfois de les vivre. Tu vois, il faut vraiment que nous parlions d'autres choses, sinon, c'est moi qui vais culpabilisais de t'ennuyer avec ma nostalgie.

– Et à Rome ?

– Tu ne m'as toujours rien dit de ta vie, Julia.

– Vingt ans, c'est long à raconter tu sais.

– Tu es attendue ?

– Non, pas ce soir.

– Et demain ?

– Oui. J'ai quelqu'un à New York.

– C'est sérieux ?

– Je devais me marier... Samedi dernier.

– Devais ?

– Nous avons dû annuler la cérémonie.

– De son fait ou du tien ?

– Mon père...

– Décidément c'est une manie chez lui. Il a aussi pulvérisé la mâchoire de ton futur époux ?

– Non, cette fois, c'est encore plus surprenant.

– Je suis désolé.

– Non, tu ne dois probablement pas l'être et je ne peux pas t’en vouloir.

– Détrompe-toi, j'aurais bien aimé qu'il casse la gueule de ton fiancé… cette fois, Je suis sincèrement désolé de ce que je viens de te dire.

Julia laissa échapper un rire, un second et le fou rire l’emporta.

– Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?

– Si tu avais vu ta tête, continua Julia en riant, on aurait dit un enfant qui vient de se faire prendre dans l'armoire à confitures avec de la fraise partout autour de la bouche. Je comprends encore mieux pourquoi tu m'as inspiré tous ses personnages. Personne d'autre que toi ne peux faire de pareilles mimiques. Qu'est-ce que tu m'as manqué !

– Arrête de répéter ça, Julia.

– Pourquoi ?

– Parce que tu devais te marier samedi dernier.

Le patron du restaurant arriva à leur table, un grand plat dans les bras.

– J'ai trouvé votre bonheur, lança-t-il enjoué. Deux soles légères, quelques légumes grillés pour les accompagner, une petite sauce aux herbes fraîches, juste ce qu'il faut pour dénouer deux estomacs. Je vous les prépare ?

– Excuse-moi, dit Tomas à son ami, nous n'allons pas rester, apporte-moi la note.

– Qu’est-ce que j'entends ? Je ne sais pas ce qui s'est passé entre vous deux depuis tout à l'heure, mais il n'est pas question que vous partiez de chez moi sans avoir goûté à ma cuisine. Alors engueulez-vous un bon coup, dites-vous tout ce que vous avez sur le cœur, pendant que j'apprête ces deux merveilles et vous ne nous ferez le plaisir de vous réconcilier autour de mes poissons, c'est un ordre, Tomas !

Le patron s'éloigna pour accommoder les sols sur une desserte, sans jamais quitter Tomas et Julia des yeux.

– J'ai l'impression que tu n'as pas le choix, tu vas devoir me supporter encore un peu, sinon, ton ami risque de se mettre très en colère, dit Julia.

– J’en ai bien l’impression moi aussi, dit Tomas en esquissant un sourire. Pardonne-moi, Julia, je n'aurais pas dû...

– Cesse de demander pardon tout le temps, ça ne te va pas. Essayons de manger, et puis tu me raccompagneras, j'ai envie de marcher à tes côtés. Ça, j'ai le droit de le dire ?

– Oui répondit Tomas. Comment ton père a-t-il empêché votre mariage, cette fois ?

– Oublions-le et parle-moi plutôt de toi.

Tomas raconta vingt ans de vie, avec beaucoup de raccourcis et Julia fit de même. À la fin du dîner, le patron leur imposa de goûter à son soufflé au chocolat. Il l’avait préparé spécialement pour eux, il le servi avec deux cuillères, mais Julia et Tomas n'en utilisèrent qu’une seule.