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Julia rangea son portable dans son sac et s'en alla marcher le long des quais. Une demi-heure plus tard, elle rentra chez elle et découvrit une enveloppe scotchée à la porte d'entrée de la maison. Son nom y était griffonné.

Elle la décacheta, intriguée. « J'ai perdu une cliente en m'occupant de votre livraison. La clé est à sa place. PS : sous la onzième marche et non sous la six, sept ou hui-tième ! Bon dimanche ! » Le petit mot se dispensait de signature.

– il aurait dû flécher le parcours pour les cambrio-leurs ! Maugréa-t-elle en grimpant l'escalier.

Et au fur et à mesure qu'elle montait, vers le premier étage, elle se sentit gagnée par l'impatience de découvrir ce que pouvait contenir ce colis qui l’attendait chez elle.

Elle accéléra le pas, récupéra la clé sous le tapis, décidée à lui trouver une nouvelle cachette et alluma en entrant.

Une immense caisse posée à la verticale trônait au beau milieu du salon.

– Mais qu'est-ce que ça peut bien être ? Dit-elle en abandonnant ses affaires sur la table basse.

L’étiquette collée sur le côté, juste sous l'inscription fragile, portait bien son nom. Julia commença par faire le tour du volumineux caisson en bois clair. La chose pesait bien trop lourd pour qu'elle envisage de la déplacer, même de quelques mètres. À moins d'un mois un marteau d'avoir un marteau et un tournevis, elle ne voyait pas non plus comment l’ouvrir.

Adam ne répondait au téléphone, restait son recours habituel, elle composa le numéro de Stanley.

– Je te dérange ?

– Un dimanche soir, à cette heure-là ? J'attendais que tu m'appelles pour sortir.

– Rassure-moi, tu n'aurais pas fait livrer chez moi une stupide caisse de presque deux mètres de haut ?

– De quoi parles-tu, Julia ?

– C’est bien ce que je pensais ! Question suivante, comment ouvre-t-on une stupide caisse de 2 mètres de haut ?

– Elle est en quoi ?

– En bois !

– Avec une scie peut-être ?

– Merci de ton aide, Stanley, je dois avoir ça dans mon sac à main ou dans l'armoire à pharmacie, répondit Julia.

– Sans très être indiscret, qu'est-ce qu'elle contient ?

– C’est ce que j'aimerais bien savoir ! Et si tu veux faire ta curieuse, Stanley, saute dans un taxi et viens me donner un coup de main.

– Je suis en pyjama, ma chérie !

– Je croyais que tu t’apprêtais à sortir ?

– De mon lit !

– Je vais me débrouiller toute seule.

– Attends, laisse-moi réfléchir. Il n'y a pas de poignée ?

– Non !

– Des charnières ?

– Je n'en voie pas.

– C'est peut-être de l'art moderne, une boîte qui ne s'ouvre pas, signé par un grand artiste ? Enchaîna Stanley en ricanant.

Le silence de Julia lui fit comprendre que le moment n'était pas du tout à la plaisanterie.

– As-tu essayé simplement de donner une petite impulsion, un coup sec, comme pour ouvrir certaines portes de penderie ? Une poussée et hop…

Et pendant que son ami poursuivait ses explications, Julia posa sa main sur le bois. Elle appuya ainsi que Stanley venait de lui suggérer et la façade de la caisse pivota lentement.

– Allô ? Allô, s’époumonait Stanley dans le combiné. Tu es là ?

Le téléphone avait glissé de la main de Julia. Ébahie, elle contempla le contenu de la caisse et ce qu'elle découvrit lui sembla à peine imaginable.

La voix de Stanley continuait de grésiller dans l'appareil tombé à ses pieds. Julia se baissa lentement pour ramasser le combiné, sans jamais quitter la caisse du regard.

– Stanley ?

– Tu m'as fait une peur bleue, tout va bien ?

– En quelque sorte.

– Tu veux que j'enfile un pantalon et que je vienne tout de suite ?

– Non, dit-elle d'une voix blanche, ce n'est pas la peine.

– Tu a réussi à l'ouvrir, ta caisse ?

– Oui, répondit-elle absente, je t'appelle demain.

– Tu m'inquiètes !

– Recouche-toi, Stanley, je t'embrasse.

Et Julia coupa la communication.

– Qui a pu m'envoyer une chose pareille ? dit-elle à haute voix, seule au beau milieu de son appartement.

*

À l'intérieur du caisson, une sorte de statue de cire à taille humaine, parfaite réplique d'Anthony Walsh, se tenait debout face à elle. L’illusion était saisissante ; il aurait suffi qu'il ouvre les yeux pour qu'on lui prête vie.

Julia peinait à recouvrer sa respiration. Quelques gouttes de sueur filaient le long de sa nuque. Elle s'approcha pas à pas. La reproduction grandeur nature de son père était prodigieuse, la couleur et l'aspect de la peau d'une authenticité époustouflante.

Chaussures, costumes anthracite, chemise en coton blanc, tous identiques aux vêtements que portait invariablement Anthony Walsh. Elle aurait voulu toucher sa joue, arracher un cheveu pour s’assurer que ce n'était pas lui, mais Julia et son père avait perdu depuis longtemps le goût du moindre contact. Pas la plus petite étreinte, pas un baiser, pas même un frôlement de main, rien qui aurait pu s'apparenter à un geste de tendresse. Le fossé creusé par les années ne pouvait plus se combler et encore moins avec un duplicata.

Il fallait maintenant se résoudre à l'impensable.

Quelqu'un avait eu l'idée terrible de faire réaliser une réplique d'Anthony Walsh, figure pareille à celles que l'on trouvait dans certains musées de cires, à Québec, à Paris comme à Londres, un personnage encore plus criant de réalisme que tout ce qu'elle avait pu voir jusqu'à ce jour. Et crier était exactement ce que Julia aurait rêvé de faire.

Détaillant la sculpture, elle aperçut au revers de la manche une petite note épinglée, sur laquelle une flèche tracée à l'encre bleue pointait vers la poche haute du veston. Julia la décrocha et lut les deux mots griffonnés au verso du papier : « allume-moi. » Elle reconnut aussitôt la calligraphie si singulière de son père.

De cette poche indiquée par la flèche, où d'ordinaire Anthony Walsh glissait une pochette de soie, dépassait l'extrémité de ce qui semblait être une télécommande.

Julia s’en empara.

Elle comportait un seul bouton sur la face, un pous-soir rectangulaire de couleur blanche.

Julia crut s'évanouir. Un mauvais rêve, elle réveille-rait dans quelques instants, en sueur, riant de s'être laissé emporter dans un tel délire.

Elle qui s’était pourtant jurée en voyant le cercueil de son père descendre sous terre, que son deuil était fait depuis longtemps, qu'elle ne pourrait souffrir de son absence quand celle-ci était consommée depuis presque vingt ans.

Elle, qui s’étaient presque enorgueillie d'avoir mûri, se faire piéger ainsi par son inconscient, cela frisait l'absurde et le ridicule. Son père avait déserté les nuits de son enfance, mais pas question que sa mémoire qui vienne hanter celle de sa vie de femme.

Le bruit de la benne à ordures brinquebalant sur le pavé n'avait rien d'irréel. Julia était bien éveillée et, devant elle, une improbable statue aux yeux clos semblait 50

attendre qu'elle décide, ou non, d'appuyer sur le bouton d'une simple télécommande.

Le camion s'éloigna dans la rue, Julia aurait souhaité qu'il ne s'en aille pas ; elle se serait précipitée à la fenêtre, aurait supplié les éboueurs de débarrasser son appartement de cet impossible cauchemar. Mais la rue était à nouveau silencieuse.