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Son doigt effleura la touche, tout doucement, sans trouver encore la force d'y appliquer la moindre pression.

Il fallait en finir. Le plus sage serait de refermer la caisse, chercher sur l'étiquette les coordonnées de la société de transport, les appeler à la première heure du matin, leur donner l'ordre de venir enlever ce sinistre pantin et enfin trouver l'identité de l'auteur de cette mauvaise farce.

Qui avait pu imaginer une pareille mascarade, qui dans son entourage était capable d'une telle cruauté ?

Julia ouvrit grand la fenêtre et inspira à pleins poumons l'air doux de la nuit.

Dehors, le monde était comme elle l'avait laissé en franchissant la porte de sa maison. Les tables du restaurant grec étaient empilées, les lumières de l'enseigne éteintes, une femme traversait le carrefour, promenant son chien.

Son labrador couleur chocolat marchait en zigzag, tirant sur la laisse, tantôt pour aller humer le pied d'un réverbère, tantôt l'allège d'un mur.

Julia retint son souffle. Serrant la télécommande dans sa main. Elle avait beau ressasser l’annuaire de ses connaissances, un seul nom revenait sans cesse, une seule personne susceptible d'avoir imaginé un tel scénario, une pareille mise en scène. Mue par la colère, elle se retourna, traversa la pièce, maintenant décidé à vérifier le bien-fondé du pressentiment qui la gagnait.

Son doigt appuya sur le bouton, un petit déclic se fit entendre et les paupières de ce qui n'était déjà plus une statue se soulevèrent ; le visage esquissa un sourire et la voix de son père demanda :

– Je te demande déjà un peu ?

5.

– Je vais me réveiller ! Rien de ce qui m'arrive ce soir n'appartient à l'univers du possible ! Dis-le-moi avant que je sois convaincue d'être devenue folle.

– Allons, allons, calme-toi, Julia, répondit la voix de son père

il se fit un pas en avant pour sortir de la caisse et s'étira en grimaçant. La justesse des mouvements, même ceux des traits du visage à peine figé, était époustouflante.

– Mais non, tu n'es pas folle, enchaîna-t-il ; juste surprise, et je te l'accorde, en pareille circonstance, c'est plutôt normal.

– Rien n'est normal, tu ne peux pas être là, murmura Julia en secouant la tête, c'est strictement impossible !

– C’est vrai, mais ce n'est pas tout à fait-moi en face de toi.

Julia mit sa main devant la bouche et brusquement éclata de rire.

– Le cerveau est vraiment une machine incroyable !

J'ai failli y croire. Je suis en plein sommeil, j'ai bu quelque chose en rentrant qui ne m’a pas réussi. Du vin blanc ? C'est ça, je ne supporte pas le vin blanc ! Mais quelle idiote, je me suis laissé prendre au jeu de ma propre imagination, poursuivit-elle en arpentant la pièce. Accorde-moi quand même que, de tous mes rêves, celui-ci est de loin le plus dingue !

– Arrête, Julia, demanda délicatement son père. Tu es parfaitement éveillée, et tu as toute sa lucidité.

– Non, ça, j'en doute, parce que je te vois, parce que je te parle, et parce que tu es mort !

Anthony Walsh l'observa quelques secondes, silencieux, et répondit aimablement :

– Mais oui, Julia, je suis mort !

Et comme elle restait là, à le regarder, tétanisée, il posa sa main sur son épaule et désigna le canapé.

– Tu veux bien t’asseoir un instant et m'écoutez ?

– Non ! Dit-elle en se dégageant.

– Julia, il faut vraiment que tu entends ce que j'ai à te dire.

– Et si je ne veux pas ? Pourquoi les choses devraient-elles toujours être comme tu le décides, toi ?

– Plus maintenant. Il te suffit d'appuyer à nouveau sur le bouton de cette télécommande et Je redeviendrais immobile. Mais tu n'auras jamais d'explication de ce qui est en train de se passer.

Julliard regarda l'objet au creux de sa main, elle réfléchit un instant, serra les mâchoires et s'assit à contrec-œur, obéissant à cette étrange mécanique qui ressemblait diablement à son père.

– J'écoute ! murmura-t-elle.

– Je sais que tout cela est un peu déroutant. Je sais aussi que cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas donné de nouvelles.

– Un an et cinq mois !

– Tant que ça ?

– Et vingt-deux jours !

– Ta mémoire est si précises ?

– Je me rappelle encore assez bien la date de mon anniversaire. Tu as fait appeler ton secrétaire pour dire que l'on ne t'attende pas pour dîner, tu devais nous rejoindre en cours de repas, tu n’es jamais venu !

– Je ne m'en souviens pas.

– Moi si !

– De toutes les façons, là n'est pas la question du jour.

– Je n'en avais posé aucune, répondit Julia aussi sec.

– Je ne sais pas très bien par où commencer.

– Il y a un début à tout, c'est l'une de tes sempiternel-les répliques, alors commence par m'expliquer ce qui est en train de se passer.

– Il y a quelques années je suis devenu actionnaire d'une société de haute technologie, puisque c'est ainsi qu'on les nomme. Au fil des mois, leurs besoins finan-ciers ont augmenté, à part en capital aussi, assez pour que je finisse par siéger au conseil d'administration.

– Une entreprise de plus absorbée par ton groupe ?

– Non, cette fois de l'investissement n'était qu'à titre personnel ; je suis resté un actionnaire parmi d'autres, mais quand même un investisseur de poids.

– Et que développe cette société dans laquelle tu avais investi tant d'argent ?

– Des androïdes !

– Des quoi ? s'exclama Julia.

– Tu as très bien entendu. Des humanoïdes, si tu préfères.

– Pour quoi faire ?

– Nous nous ne sommes pas les premiers à avoir envisagé de créer des machines robots a l'apparence humaine, pour nous débarrasser toutes les tâches que nous ne voulons plus accomplir.

– Tu es revenu sur terre pour passer l'aspirateur chez moi ?

– ... Faire les courses, surveiller la maison, répondre au téléphone, fournir des réponses à toutes sortes de questions, cela fait en effet partie des applications possibles. Mais disons que la société dont je te parle à développer un projet plus élaboré, plus ambitieux en quelque sorte.

– Comme ?

– Comme de donner la possibilité d'offrir aux siens quelques jours de présence supplémentaire.

Julia le regardait, interdite, sans véritablement comprendre ce qui lui expliquait. Alors Anthony Walsh ajouta...

– Quelques jours de plus, après sa mort !

– C'est une plaisanterie ? demanda Julia.

– À voir la tête que tu as faite en ouvrant la caisse, ce que tu appelles une plaisanterie es plutôt réussi, répondit Anthony Walsh en se regardant dans le miroir accroché au mur. Je dois dire que je frise la perfection.

Bien que je ne crois pas avoir jamais ses rides sur le front. Ils ont un peu exagéré le trait.

– Tu les avais déjà quand j'étais enfant, à moins que tu ne te soit fait lifter, je ne pense pas qu'elles aient disparu toutes seules.

– Merci ! répondit Anthony Walsh, tout sourire.

Julien se leva pour l'ausculter de plus près. Si ce qu'elle avait devant elle était une machine, il fallait avouer que le travail était remarquable.

– C'est impossible, c'est technologiquement impossible !

– Qu’as-tu accomplis hier devant ton écran d'ordinateur que tu aurais encore juré impossible il y a seulement un an ?

Julia alla s'asseoir à la table de la cuisine et pris sa tête entre ses mains.

– Nous avons investi énormément d'argent pour arriver à un tel résultat, et pour toutes le dire, je suis encore qu'un prototype. Tu es la première de nos clientes, même si pour toi, bien entendu, c'est gratuit. C'est un cadeau !