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Le Mexicain était lancé et Charlotte, captivée, l’écoutait, voyant déjà s’étendre devant elle un merveilleux panorama aux vives couleurs. En outre, son orgueil, fait de l’ambition des Cobourg et de la fierté des Bourbons, lui montrait dans une gloire dorée ce signe fascinant de la toute-puissance : une couronne d’impératrice.

En Maximilien aussi, avide de mener enfin une vie digne de lui, et de ses aspirations, l’espérance et la joie palpitaient mais, plus calme, il n’en montrait rien.

— La proposition, fit-il gravement, ne manque pas d’un certain attrait, mais il me faut des garanties, et aussi une pièce exprimant les desiderata d’une majorité représentative de la nation mexicaine, car jamais un Habsbourg n’a usurpé un trône.

Guttierez Estrada ne cacha pas sa satisfaction. Il nota bien vite les paroles de l’archiduc dans son petit carnet, puis déclara :

— Ces conditions ne soulèveront aucune difficulté, Monseigneur, et je pense revenir bientôt vous apporter ce que vous demandez si légitimement.

Comment en était-on arrivé là ? Par quel chemin un Mexicain était-il venu trouver à Trieste un archiduc autrichien pour lui offrir la couronne de son pays ? C’était en fait une histoire compliquée et un peu folle.

Libéré depuis cinquante ans de la tutelle espagnole, le Mexique éprouvait les plus grandes difficultés à se gouverner : deux partis, représentés par deux hommes, se disputaient le pouvoir : le parti conservateur, qui avait son siège à Mexico et dont la tête était Miramon, et le parti libéral de Veracruz, que menait l’Indien Benito Juarez. On s’entretuait quasi quotidiennement et les pronunciamentos succédaient aux pronunciamentos (deux cent quarante en trente-cinq ans). Mais s’il était libéré de l’Espagne, le Mexique devait à l’Europe des sommes énormes que son anarchie ne lui permettait guère de payer et, parmi ses créanciers, le banquier suisse Jecker se montrait le plus intraitable.

Pour tenter de sauver d’insauvables créances, la France, l’Espagne et l’Angleterre étaient intervenues militairement. Mais Napoléon III, et surtout l’impératrice Eugénie, entrevoyant au Mexique un moyen de battre en brèche l’influence américaine et, peut-être, d’assurer à la France une intéressante zone d’influence, poussés d’ailleurs par les nombreux réfugiés mexicains qu’avait chassés Juarez, envoyèrent un corps expéditionnaire de 20 000 hommes, tandis que l’Espagne et l’Angleterre se retiraient. Les Français prirent Mexico, en accord d’ailleurs avec le président Miramon, et proclamèrent l’Empire, aux acclamations du parti conservateur et au grand soulagement des prêtres dont Juarez avait fermé les couvents et saisi les biens. L’archevêque de Mexico n’était-il pas venu à Saint-Cloud implorer l’empereur des Français de rendre le Christ au Mexique ? Prière que l’Espagnole et pieuse Eugénie n’avait pu entendre sans y mêler la sienne.

L’Empire proclamé, restait à trouver un empereur. C’est alors que l’on avait songé à Maximilien, qui n’avait rien à faire et que Napoléon III connaissait et appréciait. Ce couple impérial, beau et séduisant, soulèverait l’enthousiasme.

Au cours de longs mois, tandis que Charlotte trépignait d’impatience, des courriers s’établirent entre Miramar et Paris. Avec aussi Vienne et Bruxelles. Finalement, Maximilien s’engagea à payer les dettes du Mexique en quelques années, tandis que Napoléon III s’engageait à établir l’empereur sur son trône grâce aux 20 000 hommes qu’il avait là-bas, et à laisser la Légion étrangère six années durant pour affermir le trône. De son côté, François-Joseph leva par volontariat un régiment hongrois, et à Bruxelles, Léopold Ier en faisait autant. Napoléon III, en outre, fournirait encore de l’argent.

Enfin, les tractations prirent fin et le 10 avril 1864, dans la grande salle du trône de Miramar, Maximilien et Charlotte furent proclamés empereur et impératrice du Mexique. L’émotion fut si forte pour le nouvel empereur que le soir même, pris de fièvre, il dut se coucher.

Visites d’adieu

Le samedi 5 mars 1864, la foule se massait aux environs de la gare du Nord autour d’une file de voitures qu’environnait un escadron de dragons de l’impératrice et que surveillait un épais bataillon de policiers, en civil aussi bien qu’en uniforme. Il était un peu moins de seize heures et l’on attendait le train de Bruxelles, qui amenait pour une visite protocolaire le futur couple impérial mexicain : l’archiduc Maximilien et l’archiduchesse Charlotte.

Les travaux de construction de la gare n’étaient pas encore tout à fait terminés mais, sur le quai recouvert d’un long tapis rouge, un officier en grand uniforme, une dame en crinoline attendaient le train princier. L’officier était l’amiral Jurien de la Gravière, aide de camp de l’empereur Napoléon III, et la dame, la comtesse de la Pœze, dame du Palais. Tous deux constituaient le comité de réception chargé d’accueillir les hôtes illustres et de les conduire aux Tuileries. Le choix de ces deux personnes n’était pas dû au hasard. L’amiral de la Gravière avait commandé trois ans plus tôt les forces françaises envoyées au Mexique. Quant à Madame de la Pœze, fille du marquis de la Rochelambert, elle appartenait à l’une des vieilles familles de l’Ancien Régime et ne pouvait qu’être agréable à une archiduchesse d’Autriche, fille du roi des Belges Léopold Ier, et petite-fille de Louis-Philippe Ier, roi des Français. C’était une jeune femme très mince, très petite, et d’allure si aérienne que les bonnes langues de la cour impériale l’avaient surnommée « le Rideau flottant ».

À l’heure dite, avec une belle exactitude, le train entrait en gare et peu après les nobles voyageurs posaient le pied sur le sol parisien. Partis à dix heures du matin, ils n’avaient guère mis que six heures pour couvrir la distance entre Bruxelles et Paris, ce qui était pour l’époque une assez jolie performance.

Les futurs souverains du Mexique formaient incontestablement un beau couple. Ils étaient jeunes, ils étaient sympathiques, et le peuple de Paris ne leur ménagea pas les acclamations. On criait : « Vive Madame l’archiduchesse » ou : « Vive le Mexique » avec beaucoup de chaleur. Le couronnement n’étant pas encore intervenu, les jeunes gens n’avaient pas droit au titre impérial.

La suite des princes n’était pas nombreuse. Elle se composait du comte et de la comtesse Zichy, née Metternich, de la comtesse Paula Kollonitz, du baron de Pont, du marquis Corio, du comte de Lutzow et du chevalier Schertzenlechner. Tout le monde s’engouffra dans les calèches et l’on prit le chemin des Tuileries, où l’empereur et l’impératrice attendaient leurs invités sur l’escalier d’honneur. L’accueil fut chaleureux. L’impératrice Eugénie offrit aussitôt à Maximilien une médaille d’or de la Madone en formant le vœu qu’elle lui portât bonheur. À Charlotte, elle réservait une mantille de dentelle espagnole et un éventail en bois de santal filigrane d’or qu’elle s’était fait envoyer tout exprès pour la circonstance par sa sœur Paca, la gracieuse duchesse d’Albe. Le temps était à l’euphorie. L’empereur et l’impératrice voyaient en ce jeune couple les sauveurs du malheureux Mexique déchiré par l’anarchie, et aussi les payeurs à venir de créances en suspens depuis longtemps.

Les organisateurs de la visite officielle des archiducs avaient eu un moment d’émotion. À Bruxelles, Maximilien s’était senti souffrant et, tout de suite, le bruit courut que, non seulement il ne viendrait pas en France, mais encore qu’il renoncerait à la couronne du Mexique. Il n’en était rien. Au jour dit, à l’heure dite, il s’était jembarqué à Calais pour l’Angleterre où il allait assister au baptême du fils du prince de Galles et séjourner pendant un mois. Le comte de Flahaut devait représenter la France au royal baptême.