Mais la fête qui dansait dans toutes les rues de la ville pavoisée ne leur assura pas pour autant une nuit confortable : le vieux palais était vraiment très vieux, et la vermine y pullulait au point que, las de lutter contre elle, Maximilien s’en alla finalement coucher gur le billard.
Une autre chose avait rendu inconfortable le sommeil de l’empereur. Dans le palais, sur le lit même qui l’attendait, il avait trouvé, apporté là par une juain mystérieuse, le texte de la proclamation que Juarez le rebelle, retranché à Chihuahua, avait fait parvenir aux gens de Veracruz :
— « Je suis encore vivant, hommes de la côte, moi qui vous ai toujours menés à la guerre contre les tyrans… »
Quelle menace contenue dans ces quelques mots ! pourtant, Maximilien ne s’en offusqua pas.
— J’estime un homme qui entend mener son combat jusqu’au bout, dit-il à sa femme. Est-ce que tu en as peur, toi ?
— Auprès de toi, je ne crains rien et je crois que nous n’avons rien à craindre. Notre premier devoir est d’essayer de ramener ce rebelle à nous. Je suis sûre que nous y parviendrons.
Confiante dans le charme de son mari, et aussi dans le sien propre, Charlotte ignorait encore que l’on ne ramène pas à soi un homme comme Juarez, parce que le vieux sang aztèque, opprimé mais non asservi en trois siècles par les Espagnols, coulait dans ses veines. Juarez ne vivait que pour la liberté et pour la vengeance.
Le palais national étant décidément inhabitable, le couple impérial se transporta dès le lendemain au château de Chapultepec, construit sur une colline un peu en dehors de la ville, et s’y installa avec sa suite. Puis, sans perdre un instant, on se mit à l’œuvre. L’empereur nomma des ministres, tandis que Charlotte, redevenue Carlotta, se choisissait une vingtaine de dames d’honneur parmi les femmes de la meilleure société. Et la fameuse étiquette entra en jeu.
Bâti sur un rocher de basalte et de porphyre, Chapultepec, avec sa forêt, son étang de cristal, son merveilleux panorama dominant Mexico et le plateau des volcans, était un endroit fort agréable. Ami des jardins, Maximilien les voulut enchanteurs, tandis que sa femme s’activait à instaurer aussitôt un mode d’existence destiné à charmer la bonne société. On donna des fêtes, des bals, des soupers et des concerts.
Et les choses commencèrent d’aller mal.
Plein de bonne volonté, Maximilien souhaitait sincèrement s’attacher à son peuple et s’efforçait de vivre à sa manière. Il était fasciné surtout par les Indiens, ces êtres doux, silencieux, dont il s’efforçait en vain de saisir l’âme. Et, pour les séduire, il instaura une nouvelle politique qui eut le don de lui aliéner aussitôt la plus grande partie de ses partisans.
En effet, au lieu de s’appuyer sur le parti conservateur qui l’avait choisi et sur l’Église qui l’avait béni, Maximilien se tourna vers les libéraux et refusa de rendre à l’Église et sa prépondérance passée et ses biens confisqués par les hommes de Juarez. C’était une lourde faute car, très pieux pour la plupart, les Mexicains ne comprirent rien à cette attitude.
Autre faute : Charlotte se fit un ennemi de Bazaine, devenu maréchal de France tout dernièrement et qui était le seul avec ses troupes, à représenter une barrière solide contre les soldats du rebelle.
Elle ne pouvait souffrir cet homme, de modeste naissance et dont l’orgueil lui était odieux. Entre eux, les querelles étaient fréquentes.
— Pourquoi ne pas le renvoyer en France et demander à Napoléon un autre général ? s’écria un jour Charlotte exaspérée. Je ne peux plus le souffrir…
Maximilien quitta son bureau et vint entourer de ses bras les épaules de sa femme. Elle était plus jolie que jamais ces derniers temps. Le climat lui convenait. Mais pourquoi était-elle toujours si nerveuse ? Sans doute, cette maternité qui ne venait pas et semblait lui être à jamais interdite agissait-elle sur les nerfs fragiles de Carlotta.
— Je ne peux faire cela, mon cœur. Bazaine, même s’il est déplaisant, n’en est pas moins fort populaire, surtout depuis son mariage avec une fille du pays. De plus, ses soldats l’adorent et nous ne pouvons nous permettre de nous passer du corps expéditionnaire.
— Pourquoi ne pas faire ce qu’il te conseille, et former une armée locale ?
— Je le voudrais bien, mais je ne le peux pas. Les hommes d’ici montrent une certaine répugnance, dont je ne doute pas de venir à bout avec le temps. Mais pour le moment, il faut garder Bazaine, sinon il pourrait nous arriver malheur.
Passionnément, Charlotte se pendit au cou de son mari.
— Tant que nous serons unis, Maxl, rien ne pourra nous arriver. Notre amour nous protégera contre le mauvais sort, j’en suis certaine.
Cette belle confiance fit sourire l’empereur, mais sa tranquillité d’esprit était trop entamée pour jamais être rétablie. Il y avait l’argent qui commençait à manquer… et cela, il évitait d’en parler.
La situation, en effet, se désagrégeait rapidement. Non seulement, Maximilien était bien incapable de rembourser les dettes du Mexique, mais il réclamait sans cesse de l’argent à Napoléon III. Celui-ci commençait à trouver que cette histoire lui coûtait très cher et tournait fort mal. Le parlement et le peuple français étaient de plus en plus hostiles à l’aventure : on parlait de millions dépensés par centaines, de vies humaines inutilement sacrifiées. En outre, les États-Unis, débarrassés de la guerre de Sécession par la victoire du Nord, commençaient à s’intéresser au Mexique et, fort mécontents, de l’implantation française, se mettaient à aider Juarez en sous-main, cependant qu’une imposante offensive diplomatique était déclenchée vers Napoléon lit.
Celui-ci dont s’envenimaient les relations avec la Prusse, envisageait déjà le rappel de ses troupes, dont il pourrait bien avoir besoin avant longtemps.
Excédé de tant de tracas, Maximilien s’en alla passer quelque temps dans sa résidence d’été de Cuernavaca, à 85 kilomètres de Mexico, un petit paradis au bord d’un étang où poussaient à foison les bougainvillées rouges, les jacarandas mauves et les tama-rindos rose orangé. Le malheur voulut qu’il s’y éprit d’une belle Indienne, la femme de son chef-jardinier… que celle-ci fut peu farouche… et que Carlotta fut très vite au courant…
— Voilà donc pour qui tu as trahi la foi que tu m’avais jurée ? s’écria Charlotte. Une Indienne, une misérable Indienne… Tu ne nieras pas, j’ai là une lettre de toi. Des mots d’amour… des mots d’amour comme tu ne m’en as jamais écrit.
Il était impossible de nier et Maximilien ne parvenait pas à comprendre comment son billet doux était tombé entre les mains de sa femme. Il voulut tenter de la calmer : cette voix aiguë qu’elle avait depuis quelque temps lui crispait les nerfs.
— Chérie, fit-il doucement, nous ne nous sommes jamais quittés, je n’avais pas à t’écrire. Tu ne devrais pas te formaliser d’une fantaisie… une folie qui ne compte pas et que je regrette déjà.
Mais Charlotte ne voulut rien entendre.
— Si tu m’aimais comme je t’aime, tu n’aurais jamais regardé une autre femme. Mais tu as regardé celle-là. Notre amour est mort, Maximilien, mort à jamais… et maintenant, le mauvais sort pourra s’abattre sur nous.