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Tout en parlant, elle avait fait avec agitation plusieurs tours dans la pièce puis, virant sur elle-même, se dirigeait vers la porte.

— Où vas-tu ? cria l’empereur.

Sur le seuil, elle se détourna, considéra son mari avec une grande dignité :

— Je retourne à Mexico et je te laisse à tes fleurs… à ton Indienne. Ne faut-il pas qu’au moins l’un de nous règne, si l’autre n’en est pas capable ?

Ces derniers mots blessèrent au vif Maximilien dans son orgueil d’homme. Furieux, il laissa Charlotte regagner sans lui la capitale et demeura encore prisonnier des jardins de Cuernavaca et des yeux de gazelle d’une jolie fille.

Entre les deux époux, la situation fut désormais tendue. Charlotte, déçue à la fois dans son amour et dans ses espoirs de maternité, s’aigrissait de plus en plus, se renfermait en elle-même.

Parce qu’à ce couple impérial, il fallait un héritier, ils avaient adopté, quand il fut admis que l’impératrice ne pourrait jamais concevoir, un petit garçon d’une très noble famille mexicaine, les Iturbide. Mais en regardant le petit Augustin jouer dans les jardins de Chapultepec, Charlotte sentait bien qu’il serait impuissant à remplir le vide affreux de son cœur. Un vide né du désespoir et qui l’envahissait peu à peu. De longues nuits se passaient sans sommeil, à demeurer immobile, les yeux grands ouverts sur la claire et somptueuse nuit mexicaine où passait si souvent le son lointain d’une guitare.

Mais au fond de sa douleur même, Charlotte trouvait du courage. Elle avait véritablement l’âme d’une princesse et s’était juré d’aider son mari tant qu’il lui resterait un peu de force. Libre à lui d’être infidèle. Elle, Charlotte, demeurerait inébranlablement fidèle au serment prononcé sous les voûtes de Sainte-Gudule et à son devoir d’impératrice.

Et comme Napoléon III rappelait ses troupes, qu’il refusait d’envoyer le moindre argent et que les relations avec Bazaine étaient désormais si tendues que le maréchal ne venait même plus au palais et s’occupait de faire embarquer ses hommes, Charlotte prit une héroïque décision. Laissant Maxl à ses amours et à ses fleurs, elle s’en irait en Europe, elle irait trouver Napoléon, François-Joseph et le Pape même, qui refusait toujours de signer un concordat avec le Mexique à cause des idées de Maximilien. Elle ramènerait de l’or, des hommes, le concordat. Elle sauverait le Mexique et le seul homme qu’elle eût jamais aimé. Après quoi, elle pourrait mourir si Dieu le voulait. Elle serait sans regrets.

Le 9 juillet 1866, Charlotte quittait Mexico, escortée de Maximilien, qui l’accompagna jusqu’à Ayoda, un village situé à deux kilomètres de la capitale. Là, les adieux furent pénibles. Les dernières rancœurs amassées après l’incident de Cuernavaca s’évanouirent pour ne laisser place qu’au chagrin de se quitter pour la première fois depuis dix ans. Charlotte pleura dans les bras de son mari, mais s’en arracha courageusement et monta en voiture avec la seule dame d’honneur qu’elle emmenait, la marquise Del Barrio (depuis longtemps, les dames autrichiennes avaient regagné l’Europe). Et tandis que la voiture s’éloignait sur la pénible route de Veracruz, Maximilien rentrait à Chapultepec et se mettait à écrire à sa mère, l’archiduchesse Sophie.

« Les mots ne peuvent exprimer ce qu’il m’en coûte de me séparer d’elle, mais il faut faire de grands sacrifices pour obtenir de grands résultats. Je prie Dieu de veiller sur elle et de nous réunir un jour… »

Le 10 août, après un voyage particulièrement pénible, au cours duquel la pauvre impératrice, déjà épuisée par la route mexicaine, avait été cruellement victime du mal de mer, elle arriva à Paris dans un assez triste état. De plus, aigrie jusqu’à l’âme, elle n’était guère en mesure de se montrer bonne diplomate. De fâcheuses circonstances firent le reste.

Le malheur voulut que la délégation chargée d’accueillir l’impératrice se trompât de gare, allât l’attendre à la gare d’Orléans (Austerlitz), alors qu’elle arrivait à Montparnasse. Elle en fut ulcérée, dut prendre des fiacres avec sa suite… et trouva visage de bois aux Tuileries. Le palais était fermé, l’empereur Napoléon III ayant interrompu sa cure à Vichy pour revenir à Saint-Cloud et faire face aux événements. Elle alla se loger au Grand Hôtel et, s’irritant, réclama orgueilleusement une entrevue avec Napoléon III.

Celui-ci étant souffrant, l’impératrice Eugénie se déplaça et vint visiter Charlotte à son hôtel pour tenter d’éviter à son époux une conversation nécessairement pénible. Mais l’impératrice du Mexique ne voulait rien entendre. Elle déclara que si l’on n’acceptait pas de bon gré de la recevoir, elle « ferait irruption ». Vaincue, Eugénie consentit à sa venue à Saint-Cloud.

L’entrevue fut pénible, mais Napoléon III resta ferme. Il ne pouvait faire autrement : il était pris entre le mécontentement des Français, les menaces des États-Unis et ses propres difficultés diplomatiques avec la Prusse. Il n’était plus possible pour lui de distraire ni un écu ni un homme en faveur du Mexique, quelque regret qu’il en eût. Il dut répéter ces mots cruels en rendant sa visite à Charlotte au Grand Hôtel.

Charlotte avait pâli jusqu’aux lèvres à cet énoncé froid et parfaitement clair.

— Ainsi, dit-elle, il nous faudra abdiquer ?

Elle n’en pensait pas un mot, et la réponse de Napoléon III l’atterra :

— Soit, dit-il, abdiquez. C’est la sagesse… Alors, elle se déchaîna. Prise d’une colère aveugle, elle jeta à la face de Napoléon tous ses griefs, le traita en valet indélicat, et hurla :

— Comment ai-je pu oublier qui je suis et qui vous êtes ? J’aurais dû me souvenir que le sang des Bourbons coule dans mes veines et ne pas déshonorer ma personne en m’humiliant devant un Bonaparte, en traitant avec un aventurier.

Napoléon III se leva alors, puis, après un bref salut, quitta l’hôtel, laissant Charlotte en proie à une terrible crise nerveuse que l’on eut bien du mal à maîtriser. La manie de la persécution s’emparait d’elle et, comme à Saint-Cloud, on lui avait offert des rafraîchissements, elle hurlait que l’on avait voulu l’empoisonner.

Quand elle fut un peu plus calme, sa suite jugea prudent de lui faire quitter Paris. On avait d’abord pensé qu’elle se dirigerait sur Bruxelles, mais le roi Léopold Ier était mort l’année précédente. Son fils aîné, frère de Charlotte, régnait. Hélas ! Léopold II, les yeux fixés sur l’Afrique, ne s’intéressait nullement à l’aventure mexicaine. Il était donc inutile, si paradoxal que ce fût, d’aller à Bruxelles. Ainsi du moins pensait Charlotte, qui d’abord alla passer quelques jours à Miramar, puis se dirigea sur Rome. C’est là qu’allait éclater le drame.

Reçue au Vatican par le pape Pie IX avec beaucoup de bonté et de pitié, elle le trouva aussi inflexiblement attaché à ses positions : il ne pouvait faire passer le bien de l’Église avant l’intérêt d’un couple, si désireux fût-il de demeurer sur un trône et, doucement, tenta de faire comprendre à Charlotte que la partie était perdue, que s’obstiner serait de la folie, comme d’ailleurs l’estimait aussi l’empereur François-Joseph, et que la sagesse était de revenir tranquillement à Miramar en attendant qu’un poste digne de lui fût offert à Maximilien.

Charlotte écouta sans protester, regagna calmement son hôtel mais, le lendemain matin, comme le pape prenait son petit déjeuner, il vit soudain l’impératrice du Mexique, blanche comme un linge, les yeux exorbités, faire irruption chez lui, se jeter à ses pieds en criant qu’elle avait peur, que l’on voulait l’empoisonner. Après quoi, elle se jeta sur le chocolat pontifical et l’avala en femme qui n’avait rien pris depuis la veille. La senora del Barrio, qui avait suivi sa malheureuse maîtresse, expliqua du mieux qu’elle put l’étrange état dans lequel se trouvait Charlotte.