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Trois jours plus tard, c’était le triomphe. Alix avait bien voulu se laisser convaincre.

« Une magnifique et inoubliable journée, celle de mes fiançailles avec ma bien-aimée et incomparable Alix… »

L’événement fit l’effet d’un coup de tonnerre et du coup, le mariage d’Ernest-Louis en l’honneur duquel tout ce monde s’était rassemblé passa au second plan. Alix, fort adulée, acquit un gros prestige, non seulement à ses propres yeux (ce qui n’était pas difficile car elle s’était toujours attribué une grande valeur), mais aux yeux de l’Europe entière.

La reine Victoria était naturellement enchantée, mais dans la famille impériale russe, les opinions étaient fortement divisées. Ainsi, l’impératrice déclarait-elle avec une entière franchise qu’elle n’était pas satisfaite de ce mariage. Hormis la sœur d’Alix, les grandes-duchesses n’éprouvaient aucune sympathie pour la fiancée. En outre, beaucoup redoutaient que sa venue en Russie amenât une désagréable ingérence anglaise dans les affaires de l’État, d’autant plus regrettable que – c’était encore un secret, sauf pour l’immédiat – santé d’Alexandre III donnait de très graves inquiétudes.

Or, si l’Empereur mourait avant le mariage de l’héritier du trône ou immédiatement après, la princesse ne passerait par aucune étape intermédiaire avant de devenir impératrice et n’aurait pas le temps de se préparer à ce rôle écrasant. En effet, Alix ne parlait, par exemple, qu’anglais et allemand mais ni le russe ni le français, les deux langues de la cour impériale.

Les deux fiancés passèrent l’été en Angleterre, auprès de Victoria. Ce fut là qu’Alix s’initia, par le truchement du père Yanischev, confesseur du tsar, à ce qui allait être sa nouvelle religion et elle finit par s’y attacher à un point qui, plus tard, friserait le fanatisme. Ce fut la aussi qu’elle se découvrit amoureuse de son fiancé.

À son tour, elle écrivit :

« J’ai rêvé que j’étais aimée, je me réveillai et je trouvai que c’était vrai. J’en ai remercié Dieu à genoux. Le véritable amour est un don que Dieu nous a fait, chaque jour plus profond, plus complet, plus pur… »

Ces quelques semaines anglaises furent une période grisante. Environnée d’hommages et de flatteries, Alix voyait affluer les cadeaux fastueux qui arrivaient pour elle de Russie : fabuleux bijoux, dentelles précieuses, fourrures plus précieuses encore. Toute sa vie, elle avait désiré ce luxe qu’elle ne pouvait s’offrir et que sa famille était bien incapable de lui procurer. Et voilà qu’il la comblait !

Elle l’acceptait comme un dû. Bientôt, car il ne faisait plus de doute à présent que le tsar déclinait rapidement, elle serait la toute-puissante impératrice, un être quasi divin dont le jugement et les idées seraient infaillibles. Aussi ne voyait-elle aucune raison de se montrer seulement aimable envers ceux qui l’approchaient, surtout quand ils étaient russes, car elle considérait son futur peuple comme attardé, quelque peu sauvage et en grande partie dépravé.

D’ailleurs, il lui fallut bientôt gagner la Russie. La santé d’Alexandre III exigeait que l’on hâtât les choses, et le 5 octobre, accompagnée d’une seule dame d’honneur, Alix de Hesse quittait son pays pour rejoindre à Livadia, en Crimée, celui qui allait prochainement devenir son époux et qu’elle connaissait encore si mal.

Il était temps qu’elle arrivât : une semaine plus tard, le 20 octobre, l’empereur mourait. Le fiancé, devenu le tsar Nicolas II, écrivait :

« Mon Dieu ! Mon Dieu ! Quelle journée ! Le Seigneur a rappelé à lui notre père bien-aimé, adoré ! La tête me tourne sans arrêt… »

Le lendemain, la fiancée impériale recevait pour la première fois la communion selon le rite orthodoxe. Elle cessa du même coup de porter le nom qui avait été le sien jusqu’alors : Alix de Hesse était morte. Seule subsistait Alexandra Fédorovna.

Puis ce fut le retour, avec le corps du défunt tsar, vers Saint-Pétersbourg et l’église Saints-Pierre-et-Paul, tombeau des empereurs. Le 2 novembre, le mariage du nouveau tsar était célébré en grande pompe, mais parmi la foule dévote et superstitieuse qui se pressait sur la route du cortège, plus d’un se signa en voyant paraître la fiancée, idéalement belle sans doute, mais qui semblait ne pas savoir sourire. On murmurait :

« Elle est venue ici derrière un cercueil. Elle ne nous portera pas bonheur… »

Le jour du couronnement à Moscou allait renforcer cette impression pessimiste : une tribune s’effondra sous le poids de la foule, tuant un millier de personnes.

Cela eut lieu le 14 mai 1896. Mais déjà l’empereur s’était fermé le cœur d’une partie de ses sujets et l’impératrice, en se retranchant du monde avec lui autant qu’elle le pouvait, s’était aliéné la plus grande partie de la noblesse russe…

Un paysan venu de Tobolsk

Dans les années qui suivirent son mariage, les choses ne s’arrangèrent pas pour Alexandra Fedorovna. Elle possédait des idées très arrêtées sur les formes de gouvernement qui convenaient à la Russie et rejetait la pensée même de toute réforme pouvant conduire le pays à ce qui aurait pu être l’ombre d’une monarchie constitutionnelle. Elle était fermement convaincue qu’il fallait maintenir l’autocratie et partait en guerre dès qu’il était question de diminuer certains des privilèges impériaux. Malheureusement, ses affirmations trouvaient en Nicolas II un écho des plus complaisants.

S’enfermant avec son époux dans un cercle étroit, elle avait soulevé l’hostilité de toute la famille impériale, jusques et y compris sa propre sœur et le mari de celle-ci, le grand-duc Serge qui cependant avaient été ses meilleurs soutiens lors du mariage.

Des enfants étaient venus renforcer le petit cercle si étroit où se complaisait l’impératrice. Quatre filles étaient nées d’abord, quatre filles dont les naissances avaient été, chaque fois, saluées par des crises de larmes et de désespoir car elles n’étaient justement que des filles, et Alexandra souhaitait éperdument donner un fils à son époux et à la Russie.

Elles étaient cependant toutes charmantes, toutes jolies, les petites grandes-duchesses : Olga, Tatiana, Maria et Anastasia, et leur mère, malgré les déceptions successives qu’elles avaient représentées, les aima sincèrement. Mais quand, le 12 août 1904, naquit à Peterhof le petit garçon qui devenait le tsarévitch Alexis, plus rien n’exista au monde aux yeux de sa mère éperdue, plus rien que lui. Cet amour, presque excessif, allait amener à la cour et jusque dans l’intimité du tsar, là où n’entraient plus que quelques rares privilégiés, l’un des êtres les plus étranges et les plus controversés de toute l’Histoire des hommes.

Tout commença un soir de l’hiver 1911, à Saint-Pétersbourg, dans le grand palais où régnait, depuis trois jours, ce silence particulier annonciateur des grandes catastrophes. Car, depuis trois jours et trois nuits, l’impératrice, abîmée dans une prière qui ne finissait pas demeurait agenouillée au chevet de son fils.

L’enfant, en effet, était hémophile et, en dépit de la surveillance constante dont on l’entourait, il était tombé, un matin, en courant dans le parc. Depuis, un épanchement de sang se produisait dans son genou qui, peu à peu, enflait, se violaçait, sans que l’on pût espérer arrêter l’hémorragie interne. Les médecins étaient impuissants, et pour tous, la tsarine se trouvait aux portes de la folie car le petit Alexis était son souci constant et son grand amour.

Elle passait auprès de lui le plus clair de son temps, négligeant même ses filles, uniquement attachée à l’enfant qu’elle s’était juré de guérir envers et contre tout…

En raison même de cette absence d’espoir, elle avait fait interdire, quand avait été décelé chez l’enfant la présence de ce mal héréditaire, que la nouvelle fût ébruitée. À aucun prix le peuple russe ne devait savoir qu’elle, Alexandra qu’il n’aimait pas beaucoup, avait transmis à son fils cette grave maladie qui atteint les hommes mais est transmise par les femmes. Son amour-propre et son orgueil maternel lui rendaient insupportable la seule idée de la pitié des gens du commun s’attachant au tsarévitch, à l’héritier de l’immense empire russe, à son fils, à elle !