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« Frantz » disparu de sa vie, Sophie, qui ne cachait pas le mépris que lui inspiraient les débordements conjugaux de Marie-Louise l’ex-impératrice des Français, n’avait plus vécu que pour ses fils et assurer à l’aîné, François-Joseph, la couronne impériale qu’elle aurait pu coiffer elle-même.

Son fils, qu’elle adorait, avait été élevé, dressé même, pour cette tâche écrasante, dont Sophie ne se dissimulait pas le poids et les impératifs astreignants. Voilà pourquoi, une fois venu le temps de lui choisir une épouse, elle s’était tournée vers l’aînée de ses nièces, cette Hélène dont mieux que personne elle savait avec quel soin elle avait été élevée, elle aussi, en vue du trône.

Le cœur de François-Joseph, en choisissant l’exquise mais sauvage Élisabeth, aucunement préparée à une tâche aussi rude, avait jeté par terre tous les plans maternels. Sophie, bien sûr, s’était inclinée : comment une mère accepterait-elle de voir souffrir son fils ? Mais si elle acceptait l’inévitable, elle n’en avait pas renoncé pour autant à donner, à l’Autriche, une véritable souveraine, à son fils, une épouse vouée uniquement à le rendre heureux. En un mot, un peu brutal peut-être, elle avait décidé de faire avec ce qu’on lui donnait. Le malheur fut qu’elle n’y mit sans doute pas assez de diplomatie et de doigté.

Consciente d’avoir affaire à une enfant, elle traita sa belle-fille en gamine plutôt irresponsable, qui avait grand besoin d’être élevée convenablement. Et cette femme qui, sur le trône, eût peut-être été une seconde Marie-Thérèse, se trouva ravalée par l’Histoire au rang de belle-mère tortionnaire, reproche qu’on ne lui aurait peut-être pas adressé, si le malheur n’avait voulu que sa belle-fille fût la plus ravissante et la plus romantique des femmes de son temps. François-Joseph eût-il épousé un quelconque laideron couronné, personne n’aurait songé à rompre la moindre lance pour elle contre Sophie. Mais allez donc vous attaquer à une héroïne de roman !…

Dans les jours qui suivirent son mariage, Sissi eut l’impression d’être installée dans une espèce de couvent à la règle sévère, un couvent dont la supérieure eût été Sophie et la maîtresse des novices sa dame d’honneur personnelle, la peu aimable comtesse Esterhazy. Les réceptions officielles surtout lui semblaient insupportables.

— Tiens-toi droite !… Il faut saluer plus aimablement !… Tu n’as pas fait attention à cette dame, en revanche tu as été trop aimable avec ce monsieur !… etc. etc.

C’était tellement crispant que, le quatrième jour, Son Impériale Majesté décida de se mettre en grève.

Non, elle ne donnerait pas audience ! Non, elle ne se rendrait à aucune réception ! Elle voulait avoir la paix et rester tranquille. Qui avait jamais entendu parler d’une lune de miel bâtie sur ce modèle ?

L’archiduchesse tenta bien de la faire revenir sur sa décision, mais s’aperçut, pour la première fois, que cette gracieuse enfant pouvait avoir une volonté de fer. D’ailleurs, pour une fois, son époux lui donna raison. Lui aussi souhaitait un peu de calme et de tête à tête… Et les jeunes époux, montant en voiture, s’en allèrent tranquillement se promener au Prater…

Malheureusement, ce ne fut qu’un intermède dans une lune de miel décidément bien étrange. Installée à Laxenbourg, Sissi s’aperçut bientôt que ladite lune se passerait bien plus souvent en compagnie de sa belle-mère que de son époux car, consciente de ses obligations, l’archiduchesse avait suivi le jeune couple dans ce château de la banlieue viennoise… et François-Joseph, comme un bon fonctionnaire, rejoignait Vienne tous les matins pour effectuer son travail d’empereur.

Entièrement livrée aux contraintes du protocole durant la journée, Élisabeth s’en consolait auprès de ses animaux familiers, dont elle avait emmené une partie de Possenhofen. Ainsi, passait-elle de longues heures devant sa volière ou encore dans sa chambre, à écrire des vers. Occupation qui, bien sûr, ne déchaînait pas l’enthousiasme de l’archiduchesse, obstinée, dans les meilleures intentions du monde, à vouloir tirer une imposante souveraine de cette petite fille rétive.

Un jour, lasse de voir son cher Frantz partir sans elle pour la Hofburg, Sissi manifesta l’intention de l’accompagner. Alors, Sophie :

— Il ne convient pas à une impératrice de courir après son mari et de trotter à droite et à gauche comme un petit lieutenant !

La jeune femme passa outre mais, le soir, au retour, il fallut essuyer une mercuriale qui effaçait beaucoup du plaisir de la journée.

— Je suis l’impératrice ! La première dame du pays ! déclara-t-elle, furieuse, à sa belle-mère.

— Alors, conduis-toi en conséquence ! Nul ici ne songe à te contester ton rang, Sissi… dès l’instant où tu feras en sorte de l’occuper pleinement. Une impératrice, ma chère petite, a malheureusement bien plus de devoirs et d’obligations que de droits. Je crains fort que nous n’ayons beaucoup de peine à te faire comprendre cela.

Comble de malchance : alors que le printemps viennois est, en général, délicieux, celui-là fut affreux. Durant tout le mois de mai, il plut à plein temps, transformant le parc de Laxenbourg en marécage ou en prairie détrempée, et comme il s’agissait d’un palais d’été aux moyens de chauffage plutôt réduits, le séjour tourna bientôt à la catastrophe. Sissi prit froid, se mit à tousser, et François-Joseph n’affola.

— Elle ne peut pas rester ici, déclara-t-il un soir à sa mère. Je ne supporte pas l’idée de la savoir seulement souffrante. Je vais l’envoyer à Ischl, où sa mère pourra venir la rejoindre.

L’archiduchesse Sophie haussa les épaules.

— Essaie toujours, mais cela m’étonnerait que tu y arrives. Ce n’est pas de Laxenbourg que Sissi refusera de se séparer, c’est de toi. Elle se plaint de ne pas te voir suffisamment. Et comme tu ne peux pas accompagner.

— Que faire alors ?

— Pourquoi pas ce voyage en Bohême et en Moravie que tu dois à tes sujets pour leur présenter leur nouvelle souveraine ? Cela lui changerait les idées… et à moi aussi ! Tu n’as pas l’air de t’en douter, mon cher Franz, mais Sissi est la personne du monde la plus difficile à surveiller.

On partit le 9 juin par un temps radieux. Et ce fut vraiment un merveilleux voyage, plein de gaieté, de couleurs et de fêtes dans lesquelles le pittoresque des costumes jouait un grand rôle et enchantait la jeune impératrice, dont la beauté faisait d’ailleurs merveille et séduisait tous les cœurs.

Pour la première fois, peut-être, Élisabeth trouva plaisir à son rôle de souveraine. Le peuple tchèque l’enchantait, et aussi cet encens d’adoration qu’elle sentait monter jusqu’à elle. Et puis, elle se trouvait continuellement avec son cher époux, loin de Sophie : c’était un avant-goût du paradis.

Hélas ! il fallut bien finir par rentrer à Laxenbourg, seule d’ailleurs, car des manœuvres retinrent François-Joseph en Bohême. Mais Sissi trouvait moins de plaisir, depuis quelques jours, à ce voyage. Elle éprouvait une lassitude sournoise, de vagues dégoûts…

Cela déboucha, naturellement, sur ce que l’on imagine : le 29 juin, l’archiduchesse Sophie écrivant à son fils l’informait que l’impératrice attendait un heureux événement. Mais fidèle à ses chers principes, elle en profitait pour faire savoir à l’empereur qu’il eût, dans les semaines à venir, à « ménager » sa jeune épouse. Quant à celle-ci, elle devrait elle aussi réformer sa conduite sur un autre plan.