Il est clair que c'était à une femme de l'envelopper de ruses. Moi, son ennemi depuis longtemps, j'étais suspect. Maintenant, à l'aide de ses richesses, je tenterai de commander aux Argiens. Celui qui n'obéira pas, je le dompterai rudement comme un jeune étalon furieux et rebelle au frein. La faim unie aux ténèbres horribles le verra bientôt apaisé.
Pourquoi, dans ton lâche cœur, n'as-tu pas tué seul cet homme? C'est sa femme, souillure de cette terre et de nos dieux, qui l'a tué. Orestès ne voit-il point la lumière quelque part, et, par une fortune favorable, ne reviendra-t-il point dans sa patrie pour vous châtier tous deux?
Puisque tu agis et parles ainsi, tu vas savoir…
Allons, chers compagnons! le combat est proche.
Allons! que chacun tienne en main l'épée hors la gaîne.
Voici mon épée nue! Moi aussi, je ne fuirai pas la mort.
Tu dis que tu acceptes la mort? Prenons donc la fortune pour juge!
Ô le plus cher des hommes, ne causons pas de nouveaux malheurs! Cette lamentable moisson n'a été que trop abondante. Assez de calamités, ne nous baignons plus dans le sang. Allez, vieillards, mettez-vous à l'abri dans vos demeures avant d'être frappés. Nous avons fait ce qu'il fallait faire, selon la nécessité des choses. Certes, s'il faut expier notre action, c'est assez que nous subissions la colère terrible des dieux. Telle est la pensée d'une femme, si quelqu'un a souci de la connaître.
Ainsi, ils m'outrageraient de leur langue insensée, ils invoqueraient contre moi la colère des daimônes, et, sans nulle prudence, ils braveraient leur maître!
Ce ne serait point agir en Argiens que de flatter un pervers.
Mais moi, je te châtierai quelque jour.
Non! si un dieu excite Orestès afin qu'il revienne.
Je sais que les exilés se repaissent d'espérances.
Engraisse-toi! Viole la justice, puisque cela t'est permis.
Sache que tu seras châtié de cette insolence.
Glorifie-toi, comme le coq auprès de la poule!
Laisse-les aboyer en vain. Toi et moi nous commanderons dans ces demeures, et nous mettrons l'ordre partout.
Les Khoèphores
Hermès souterrain, qui tiens de ton père cette puissance, sois mon sauveur, aide-moi, je t' en supplie! Voici que je reviens dans ce pays, après un long exil, et je parle à mon père sur le tertre de sa tombe, afin qu'il m'entende et qu'il m'exauce. Cette tresse de cheveux est pour Inakhos qui m'a nourri, et cette autre est une offrande douloureuse.
Que vois-je? Quel est ce rassemblement de femmes vêtues de robes noires? Qu'est-il arrivé? Quelle calamité nouvelle est tombée sur cette demeure? Viennent elles apporter à mon père les libations qui apaisent les morts? C'est cela, et non autre chose. Il me semble voir, en effet, Èlektra, ma sœur, qui s'avance, chargée d'un grand deuil. Ô Zeus! donne-moi de venger le meurtre de mon père! Aide-moi, sois-moi propice! Pyladès, sortons du chemin, afin que je sache sûrement quelle est cette supplication de femmes.
Strophe I.
Envoyée de la demeure, je porte des libations en me frappant cruellement de mes mains. Ma joue est ensanglantée des déchirures récentes que mes ongles y ont faites. Mon cœur se repaît sans cesse de lamentations; et, dans les transports de mes douleurs, je mets en lambeaux mes vêtements, ce péplos noir qui couvre la poitrine de celles qu'afflige une destinée mauvaise.
Antistrophe I.
Voici que la terreur, qui hérisse les cheveux, qui se révèle par les songes, soufflant la colère dans le sommeil, brusquement, pendant la nuit, terrible, a éveillé des cris au fond des demeures, en pénétrant dans la chambre des femmes. Les divinateurs des songes, sous l'étreinte des dieux, ont dit que ceux qui habitent sous la terre étaient indignés et enflammés de fureur contre les meurtriers.
Strophe II.
Ô terre, terre! Cette femme impie m'a envoyée, cherchant par une expiation vaine à détourner le malheur; mais je crains de parler. En effet, peut-on racheter le sang répandu? Ô lamentable foyer! Ô écroulement de ces demeures! Plus de lumière! Les ténèbres odieuses aux mortels ont enveloppé cette maison à la mort de ses maîtres!
Antistrophe II.
L'auguste respect, autrefois invincible, tout-puissant, inébranlable, qui entrait dans les oreilles et dans l'esprit, a maintenant disparu. Qui n'est point épouvanté? La félicité est déesse parmi les mortels, et plus que déesse; mais la justice rapide frappe les uns en plein jour, ou, plus tardive, atteint les autres au seuil des ténèbres. D'autres, enfin, sont engloutis dans la nuit éternelle.
Épôde.
Quand la terre nourricière a bu le sang, la souillure vengeresse devient ineffaçable. Le remords terrible travaille le coupable. La virginité une fois violée, il n'y a plus de remède. Les fleuves réuniraient leurs eaux qu'ils ne laveraient point la main qu'a souillée le meurtre. Pour moi, les dieux m'ont enveloppée dans la calamité de ma ville: ils m'ont jetée dans la servitude, loin des toits paternels. Il appartient à ceux qui sont, par la violence, les maîtres de ma vie d'être, comme il leur convient, justes ou injustes. Il me faut réprimer l'amère indignation de mon cœur. Voici que, dans ma douleur cachée, je baigne mes vêtements de larmes sur la triste destinée de mes maîtres.
Femmes esclaves, servantes des demeures, qui m'accompagnez dans cette supplication, conseillez-moi sur ceci. En versant les libations funèbres sur ce tombeau, quelles paroles propices prononcerai-je? Comment prier mon père? Dirai-je que je viens à l'époux bien-aimé de la part de la chère épouse, de ma mère? Jamais je ne l'oserai, et je ne sais que dire en versant cette libation sur le tombeau de mon père. Lui dirai-je qu'il doit rendre le mal pour le mal, comme c'est la coutume parmi les hommes qui offrent des présents à ceux qui leur en font? Ou bien, muette et sans nul honneur, puisque mon père a été égorgé, me retirerai-je, après avoir versé les libations comme pour l'expiation d'un crime, et jeté le vase derrière moi, en détournant les yeux? Ô amies! conseillez-moi, car nous avons toutes la même haine dans ces demeures. Ne cachez donc rien, par crainte, au fond de votre cœur, car ce que la destinée a décidé arrive pour l'homme libre comme pour celui qui subit le joug d'une puissance étrangère. Parle donc, si tu as quelque chose de mieux à conseiller.