Antistrophe III.
La langue des hommes ne sera plus enchaînée. Le peuple est affranchi, et il peut parler librement, puisque le joug de la force est brisé!
L'île d'Aias, entourée des flots et souillée de sang, a englouti la puissance des Perses!
Amis, quiconque a souffert n'ignore pas ceci: Quand le flot de l'adversité s'est rué sur les hommes, ils ont coutume de s'épouvanter de tout; quand ils ont une heureuse fortune, ils sont certains que ce vent propice soufflera toujours. Voici que tout m'épouvante; mes yeux ne voient que la haine des dieux, et le bruit qui emplit mes oreilles n'est pas un chant de victoire, tant le trouble que me causent ces maux agite mon esprit. C'est pourquoi je reviens de mes demeures sans mon char et sans éclat, apportant ces douces libations au père de mon fils: le lait blanc d'une vache sans tache, le miel brillant de l'abeille qui suce les fleurs, les eaux vives d'une source limpide, et cet enfant pur d'une mère agreste, délices de la vigne antique, et la jaune olive, doux fruit de l'arbre dont les feuilles ne tombent jamais, et ces tresses de fleurs, filles de la terre qui produit tout. Mais, ô amis, chantez les hymnes des libations aux morts, évoquez le divin Daréios! Moi, je répandrai sur la terre qui les boira ces libations aux dieux souterrains.
Ô reine, femme vénérable aux Perses, envoie tes libations sous la terre. Nous, nous prierons en chantant des hymnes pour que les maîtres souterrains des morts nous soient favorables.
Ô vous, sacrés daimônes souterrains, Gaia, Hermès, et toi, roi des morts, envoyez d'en bas l'âme de Daréios à la lumière! Si, en effet, nous devons subir encore d'autres maux, seul, il peut nous dire quelle sera la fin de nos misères.
Strophe I.
Le bienheureux, le roi égal aux dieux, m'entend-il pousser en langue barbare mille cris divers, amers, lamentables? Je crie vers lui mes plaintes lugubres. M'entend-il d'en bas?
Antistrophe I.
Et toi, Gaia! et vous, maîtres des morts, ô daimônes! Laissez l'âme illustre du dieu des Perses, né dans Sousis, sortir de vos demeures. Envoyez en haut celui dont la terre Persique n'a jamais contenu le semblable!
Strophe II.
Ô cher homme! ô cher tombeau! car ce qu'il contient nous est cher. Aidôneus! ramène-le, envoie-le en haut! Aidôneus! envoie-nous Daréios, un tel roi! hélas!
Antistrophe II.
Certes, jamais il ne fit périr nos guerriers en des guerres désastreuses. Les Perses le disaient sage comme un dieu, et il était en effet sage comme un dieu, car il conduisait heureusement l'armée, hélas!
Strophe III.
Ô roi, vieux roi, viens, apparais sur le faîte de ce tombeau, soulevant la sandale pourprée de ton pied et montrant la splendeur de la tiare royale. Viens, ô père, ô excellent Daréios! hélas!
Antistrophe III.
Apparais-nous, afin d'apprendre des calamités nouvelles, inattendues, ô maître de notre maître! Une nuée Stygienne nous a enveloppés, et voici que toute notre jeunesse a péri. Viens, ô père, ô excellent Daréios, hélas!
Épôde.
Malheur! malheur! Ô toi qui es mort tant pleuré par ceux qui t'aimaient, ô roi, ô roi, pourquoi cela? Pourquoi ce double désastre sur ton royaume, sur ton royaume tout entier? Les nefs à trois rangs d'avirons ont péri! Nos nefs! Plus de nefs!
Ô fidèles entre les fidèles, qui êtes du même âge que moi, ô vieillards Perses, de quel malheur la ville est-elle affligée? Le sol a été secoué, il a gémi, il s'est ouvert! Je suis saisi de crainte en voyant ma femme debout auprès de mon tombeau, et je reçois volontiers ses libations. Et vous aussi, auprès de mon tombeau, vous pleurez, poussant les lamentations qui évoquent les morts et m'appelant avec de lugubres gémissements. Le retour à la lumière n'est pas facile, pour bien des causes, et parce que les dieux souterrains sont plus prompts à prendre qu'à rendre! Cependant, je l'ai emporté sur eux, et me voici; mais je me suis hâté, afin de n'être point coupable de retard. Mais quel est ce nouveau malheur dont les Perses sont accablés?
Je crains de te regarder, je crains de te parler, plein de l'antique vénération que j'avais pour toi.
Puisque je suis venu du Hadès, appelé par tes lamentations, ne parle point longuement, mais brièvement. Dis, et oublie ton respect pour moi.
Je crains de t'obéir, je crains de te parler. Ce que je dois dire ne doit pas être dit à ceux qu'on aime.
Puisque votre antique respect pour moi trouble votre esprit, toi, vénérable compagne de mon lit, noble femme, cesse tes pleurs et tes lamentations, et parle-moi clairement. La destinée des hommes est de souffrir, et d'innombrables maux sortent pour eux de la mer et de la terre quand ils ont longtemps vécu.
Ô toi qui as surpassé par ton heureuse fortune la félicité de tous les hommes! Tandis que tu voyais la lumière de Hèlios, envié des Perses, tu as vécu prospère et semblable à un dieu! Et maintenant, tu es heureux d'être mort avant d'avoir vu ce gouffre de maux! Tu apprendras tout en peu de mots, ô Daréios! La puissance des Perses est détruite. J'ai dit.
De quelle façon? Est-ce la peste ou la guerre intestine qui s'est abattue sur le royaume?
Non. Toute l'armée a été détruite auprès d'Athèna.
Lequel de mes fils conduisait l'armée? Parle.
Le violent Xerxès. Il a dépeuplé tout le vaste continent de l'Asia.
Est-ce avec une armée de terre ou de mer que le malheureux a tenté cette expédition très insensée?
Avec les deux. L'armée avait une double face.
Et comment une nombreuse armée de terre a-t-elle passé la mer?
On a réuni par un pont les deux bords du détroit de Hellè, afin de passer.
Il a fait cela? Il a fermé le grand Bosphoros?
Certes, mais un dieu l'y a sans doute aidé.
Hélas! quelque puissant daimôn qui l'a rendu insensé!
On peut voir maintenant quelle ruine il lui préparait!
De quelle calamité ont-ils été frappés, que vous gémissiez ainsi?
L'armée navale vaincue, l'armée de terre a péri.