Salut, ô héraut, envoyé de l'armée Akhaienne!
Je suis heureux, et dussé-je mourir, je n'en voudrais point aux dieux.
Le regret de ta patrie te tourmentait donc?
Tellement, que la joie du retour emplit mes yeux de larmes.
Donc, vous connaissiez ce doux mal?
Comment? Instruis-moi du sens de tes paroles.
Tu étais en proie au regret de ceux qui te regrettaient?
Dis-tu que la patrie et l'armée se regrettaient l'une l'autre?
Combien je soupirais du fond de mon cœur attristé!
D'où venait votre triste inquiétude pour l'armée?
Depuis longtemps le remède à mon mal est le silence.
Qui redoutiez-vous donc en l'absence de vos maîtres?
Maintenant, selon ta parole, le meilleur est de mourir.
Certes, car les choses ont eu une heureuse fin. Ce qui arrive dans un long espace de temps amène tantôt des biens, tantôt des revers. Qui, si ce n'est les dieux, peut passer tout le temps de la vie sans malheur? En effet, si je voulais rappeler nos misères, les accidents des nefs, les relâches rares et dangereuses, quel jour n'aurions-nous pas souffert et gémi? Sur terre, des maux encore plus grands nous ont assaillis. Nos lits étaient sous les murailles ennemies; les rosées de l'Ouranos et de la terre nous mouillaient, calamité de nos vêtements, et faisaient nos cheveux se hérisser. Et si quelqu'un vous parlait de l'hiver, tueur des oiseaux, et que la neige ldaienne nous rendait intolérable, ou de la chaleur, quand la mer, à midi, quittée par le vent, s'endormait immobile dans son lit! Mais pourquoi se lamenter sur tout cela? La peine est passée; elle est passée aussi pour ceux qui sont morts et qui, jamais, ne se soucieront plus de se relever. A quoi sert de compter les morts? A quoi sert aux survivants de se plaindre? Il faut plutôt se réjouir d'avoir échappé à ces malheurs. Pour nous, qui sommes saufs, dans l'armée Akhaienne, le bien l'emporte et le mal ne peut lutter contre. Glorifions-nous, à la lumière de Hèlios; certes, cela est juste, après avoir tant souffert sur terre et sur mer. Troia est prise, et la flotte des Argiens a consacré ces dépouilles aux dieux qui sont honorés dans Hellas, et les a suspendues dans leurs demeures, comme un trophée antique. Ceci entendu, il faut glorifier la ville et les chefs, et honorer Zeus qui a fait cela. Tu sais tout.
Tes paroles m'ont vaincu, je ne le nie pas. Le désir de tout apprendre est toujours éveillé chez les vieillards. C'est à cette demeure royale et à Klytaimnestra qu'il convient, à la vérité, de se réjouir; mais je veux aussi prendre ma part de leur joie.
Depuis longtemps j'ai fait éclater ma joie, dès que le nocturne messager de flamme nous eut annoncé la prise et la ruine de Troia. Alors, on m'a dit, en me blâmant: – Penses-tu, sur la foi de ces torches enflammées, que Troia soit maintenant saccagée? Être ainsi soudainement transportée de joie est bien d'une femme!’ – Selon de telles paroles, certes, j'étais insensée. Cependant, je fis des sacrifices, et, de toutes parts, dans la ville, des voix joyeuses, à la façon des femmes, élevaient des actions de grâces dans les temples des dieux, et chantaient à l'instant où s'assoupit la flamme odorante de l'encens consumé. Maintenant, est-il nécessaire que tu me racontes le reste? J'apprendrai tout du roi lui-même. Je vais me hâter de recevoir pour le mieux l'époux vénérable qui revient dans sa patrie. En effet, quel jour plus doux pour une femme que celui où, un dieu ramenant son mari sain et sauf de la guerre, elle lui ouvre les portes? Va dire à mon époux qu'il vienne promptement, selon le désir des citoyens, et qu'il retrouvera dans ses demeures sa femme fidèle, telle qu'il l'a laissée, chienne de la maison, docile pour lui, mauvaise pour ses ennemis, semblable à elle-même en tout le reste et n'ayant violé aucun sceau, pendant un si long temps. Je ne connais pas plus les plaisirs et les entretiens coupables avec un autre homme, que je ne connais la trempe de l'airain.
Une telle louange de soi-même, quand elle est pleine de vérité, peut être honorablement prononcée par une noble femme.
Ainsi, elle vient de t'apprendre toute sa pensée, en paroles claires, afin que tu la connaisses. Mais, parle, héraut, dis-moi si Ménélaos revient avec vous, sain et sauf de la guerre, lui, ce roi cher aux Argiens.
Je ne vous donnerai point de nouvelles heureuses, mais fausses; amis, vous n'en jouiriez pas longtemps.
Puisses-tu nous donner des nouvelles heureuses, mais vraies! les faussetés se découvrent aisément.
Ce héros a disparu de l'armée Akhaienne; lui et sa nef ont disparu. Je ne dis point de mensonges.
S'est-il séparé de vous ouvertement en partant d'Ilios, ou bien une tempête, dont tous ont souffert, l'a-t-elle entraîné loin de l'armée?
Tu as touché le but, comme un habile archer. Tu as raconté brièvement une grande calamité.
Que dit-on de lui parmi les autres marins? Qu'il est vivant ou qu'il est mort?
Nul ne le sait, nul ne peut en donner de nouvelles certaines, si ce n'est Hèlios d'où vient la force génératrice de la terre.