Promètheus! ne sais-tu pas que les paroles sont les médecins de la colère, cette maladie?
Si toutefois le cœur s'apaise; si on ne heurte pas ainsi le gonflement furieux de l'esprit.
Mais quel danger peut résulter d'un effort, d'une tentative hardie? Dis-le-moi.
Peine très inutile, simplicité stupide.
Laisse-moi courir ce danger. Ne point sembler sage est d'une sagesse très avantageuse.
Ta faute me serait imputée.
Par ce discours, maintenant, tu me chasses.
Prends garde que ta pitié pour moi n'excite la haine contre toi.
Est-ce la haine de celui qui a récemment conquis le trône tout-puissant?
Crains que son cœur s'irrite jamais!
Promètheus! ta destinée sera ma leçon.
Va! hâte-toi! Pense toujours ainsi.
Je me hâte à ta voix. Voici que le quadrupède ailé traverse le large chemin de l'aithèr, plein du désir de se reposer dans l'étable accoutumée.
Strophe I.
Promètheus! Je gémis sur ta destinée déplorable. J'arrose mes joues de larmes qui coulent de mes yeux délicats, comme des sources humides. Zeus, qui a décrété ces maux lamentables, se glorifie de sa puissance dominatrice sur les dieux anciens.
Antistrophe I.
Déjà toute cette région retentit lugubrement. On pleure ton antique gloire et la grandeur de tes frères. Tous ceux qui habitent la terre de la sainte Asia, dans un long gémissement, pleurent avec toi sur tes misères:
Strophe II.
Les habitantes de la terre de Kolkhôs, les Vierges intrépides au combat, et la multitude des Skythes qui hantent, aux extrémités de la terre, le marais Maiotide;
Antistrophe II.
Et la fleur belliqueuse de l'Arabia, et tous ceux qui habitent la citadelle près du Kaukasos, foule guerrière, frémissante de lances aiguës.
Épôde.
J'ai vu un seul autre Titan, avant toi, accablé des mêmes maux et de cet éternel outrage par les dieux, Atlas qui, toujours doué d'une immense vigueur, soutient de ses épaules le lourd pôle Ouranien. Le bouillonnement marin résonne en se heurtant. Le gouffre frémit. Le noir abîme souterrain du Hadès tremble. Les sources des fleuves au cours sacré pleurent sur ce supplice lamentable!
Ne croyez pas que je me taise par mépris ou par insolence; mais je me mords le cœur en pensée, quand je me vois aussi outrageusement torturé. Pourtant, quel autre que moi a distribué leurs honneurs à ces dieux nouveaux? Mais je me tais sur ceci. Je ne vous dirais pas ce que vous savez. Apprenez plutôt les maux qui étaient parmi les vivants, plein d'ignorance autrefois, et que j'ai rendus sages et doués d'intelligence. Non que je leur reproche rien, mais, en parlant de ce que je leur ai donné, je prouve mon amour pour eux.
Au commencement, ils regardaient en vain et ne voyaient pas; ils écoutaient et n'entendaient pas. Pendant un long espace de temps, semblables aux images des songes, ils confondaient aveuglément toutes choses. Ils ne connaissaient ni les maisons faites de briques et exposées au soleil, ni la charpente. Ils habitaient sous terre au fond des ténébreux réduits des antres, comme les fourmis longues et minces. Ils ne savaient rien, ni de l'hiver ni du printemps fleuri, ni de l'été fructueux. Ils vivaient sans penser, jusqu'au jour où je leur enseignai le lever certain des astres et leur coucher irrégulier. Pour eux je trouvai le nombre, la plus ingénieuse des choses, et l'arrangement des lettres, et la mémoire mère des Muses. Le premier, j'unis sous le joug les animaux destinés à servir, afin qu'ils pussent remplacer les hommes dans les plus rudes travaux. Je conduisis au char les chevaux porteurs de freins, ornements des riches. Nul que moi ne trouva ces autres chars des navigateurs, fendant la mer, volant avec des voiles. Malheureux! Après avoir inventé ces choses pour les vivants, je ne trouve rien maintenant pour me délivrer moi-même de mon supplice.
Tu souffres un supplice indigne. Tu erres, troublé dans ton esprit. Mauvais médecin, ta pensée est malade, et tu n'y trouves aucun remède qui puisse te guérir.
Si tu veux écouter le reste, tu admireras combien d'arts et de ressources j'ai inventés. Voici le plus grand:
Si quelqu'un, autrefois, tombait malade, il n'y avait aucun remède, aucune nourriture, aucun baume, ni rien qu'il pût boire. Ils mouraient par le manque de remèdes, avant que je leur eusse enseigné les mixtures des médicaments salutaires qui, maintenant, chassent loin d'eux toutes les maladies. J'instituai les nombreux rites de la divination. Le premier, je signalai dans les songes les choses qui devaient arriver, et j'expliquai aux hommes les révélations obscures. J'ai précisé aux voyageurs les hasards des chemins et le sens assuré du vol des oiseaux aux ongles recourbés, ceux qui sont propices, ceux qui sont contraires, le genre de nourriture de chacun, leurs haines, leurs amours et leurs réunions. J'enseignai aussi l'aspect lisse des entrailles et leur couleur qui plaît aux daimones, et la qualité favorable de la bile et du foie, et les cuisses couvertes de graisse. En brûlant les longs reins, j'ai enseigné aux hommes l'art difficile de prévoir. Je leur ai révélé les présages du feu, qui, autrefois, étaient obscurs. Telles sont les choses. Et qui peut dire avoir trouvé avant moi toutes les richesses cachées aux hommes sous la terre: l'airain, le fer, l'argent, l'or? Personne. Je le sais certainement, à moins de vouloir se vanter vainement. Écoute enfin un seul mot qui résume: tous les arts ont été révélés aux vivants par Promètheus.
Ne dédaigne pas ta propre douleur, puisque tu as aidé les hommes plus qu'il ne convenait. J'espère que tu échapperas alors de tes chaînes, et que tu ne seras pas moins puissant que Zeus.
L'inévitable Moire n'accomplira point les choses ainsi. La fatalité en a décidé. Je serai consumé de misères infinies et de malheurs, jusqu'à ce que je sois délivré de mes chaînes. La science est beaucoup trop faible contre la nécessité.