Выбрать главу
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Strophe I.

Pourquoi ce présage qui vole constamment autour de mon cœur comme un pressentiment, cette divination non invoquée et dont la voix n'est point payée? Pourquoi, le repoussant comme un songe obscur, la sûre confiance ne peut-elle s'asseoir dans mon esprit? Il est loin le temps où les nefs étaient amarrées par les câbles à ce rivage d'où la flotte est partie pour Ilios.

Antistrophe I.

De mes yeux je vois son retour, j'en suis le témoin, et je n'ai ni espérance, ni confiance, et mon esprit chante, mais non sur la lyre, la lamentation d'Érinnys! Le cœur ne trompe pas, agité du pressentiment de l'expiation certaine. Je prie les dieux qu'une part de mes terreurs soit démentie et ne s'accomplisse pas!

Strophe II.

La meilleure santé aboutit à d'inévitables douleurs, car la maladie habite à côté et n'est séparée d'elle que par un même mur. La destinée de l'homme, courant tout droit, se heurte toujours à un écueil caché; mais, si la prudence fait jeter à la mer un peu du riche chargement, toute une maison ne périt pas, lourde de malheurs, et la nef n'est point submergée. Certes, l'abondance qui vient de Zeus, les moissons qui naissent annuellement des sillons guérissent de la famine.

Antistrophe II.

Mais quelle incantation rappellera jamais le sang répandu sur la terre, le sang noir d'un homme égorgé? Zeus ne foudroya-t-il point autrefois le très savant qui tentait de faire revenir les morts du Hadès? Si la Moire divine ne me défendait d'en dire plus, mon cœur, devançant ma langue, eût tout révélé. Mais il frémit dans l'ombre, impatient de colère, et n'espérant point, consumé d'inquiétudes, parler jamais à temps.

KLYTAIMNESTRA.

Entre aussi, toi, Kasandra! Puisque Zeus bienveillant veut que, dans cette demeure, tu prennes ta part des soins communs, avec de nombreux serviteurs, devant l'autel domestique, descends de ce char et renonce à l'orgueil. On dit que le fils d'Alkmèna aussi fut vendu et contraint de subir le joug. Quand la nécessité réduit à cette fortune, c'est encore un grand bonheur de tomber aux mains de maîtres depuis longtemps opulents. Ceux qui, n'en ayant jamais eu l'espérance, viennent de faire une riche moisson, sont durs en toutes choses pour leurs serviteurs et sans équité. Tu auras auprès de nous tout ce qu'il faut.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Elle t'a parlé clairement. Si tu étais prise dans les rets fatals, certes, tu obéirais. Obéis donc. Ne le veux-tu pas?

KLYTAIMNESTRA.

A moins que, semblable à l'hirondelle, elle ait un langage inconnu et barbare, mes paroles entreront dans son esprit, et je la persuaderai.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Consens. Elle te conseille ce qu'il y a de mieux dans l'état des choses. Obéis. Ne reste pas assise dans ce char.

KLYTAIMNESTRA.

Je n'ai pas le loisir de l'attendre devant les portes, car les brebis qui vont être égorgées et brûlées sont rangées devant le foyer, au milieu de la demeure, puisque nous avons une joie que nous n'espérions plus jamais. Pour toi, si tu veux faire ce que j'ai dit, ne tarde pas; mais, si tu n'as point compris mes paroles, réponds-moi par gestes, comme les barbares.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Certes, l'étrangère a besoin d'un interprète. Elle a les façons d'une bête fauve récemment prise.

KLYTAIMNESTRA.

Certes, elle est en démence, elle obéit à un esprit insensé, cette femme qui, ayant quitté sa ville conquise d'hier, esclave, est venue ici. Elle ne s'accoutumera point au frein qu'elle ne l'ait souillé d'une écume sanglante. Mais je ne veux pas subir l'affront de lui parler encore.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Moi, la pitié me saisit, je ne m'irrite point. Va, ô malheureuse, quitte ce char, cède à la nécessité, fais l'apprentissage de la servitude.

KASANDRA.

Strophe I.

Ô dieux! dieux! ô terre! ô Apollôn! ô Apollôn!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Pourquoi cries-tu vers Loxias? Ce n'est point un dieu qu'on invoque par des lamentations.

KASANDRA.

Antistrophe I.

Ô dieux! dieux! ô terre! ô Apollôn! ô Apollôn!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Elle invoque de nouveau par des cris désespérés le dieu qui n'écoute point les lamentations.

KASANDRA.

Strophe II.

Apollôn! Apollôn! toi qui m'entraînes! vrai Apollôn pour moi! tu m'as perdue de nouveau!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Elle semble prédire ses propres maux. L'esprit des dieux est resté en elle, bien qu'elle soit esclave.

KASANDRA.

Antistrophe II.

Apollôn, Apollôn! toi qui m'entraînes! vrai Apollôn pour moi! où m'as-tu menée? vers quelle demeure?

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Vers la demeure des Atréides. Si tu ne le sais pas, je te le dis, et c'est la vérité.

KASANDRA.

Strophe III.

Demeure détestée des dieux! Complice d'innombrables meurtres et pendaisons! Égorgement d'un mari! Sol ruisselant de sang!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

L'étrangère semble sagace comme un chien chasseur. Elle flaire les meurtres qu'elle doit découvrir.

KASANDRA.

Antistrophe III.

Certes, j'en crois ces témoins, ces enfants en pleurs, égorgés, et ces chairs rôties mangées par un père.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Certes, nous savions que tu étais divinatrice; mais nous n'avons nul besoin de divinateurs.

KASANDRA.

Strophe IV.

Hélas! dieux! Que se prépare-t-il? Quel grand et nouveau malheur médite-t-on dans ces demeures, affreux pour des proches, et sans remède? Le secours est trop loin!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Je ne comprends point ceci. Quant aux autres prophéties, je les connais; toute la ville les répète.

KASANDRA.

Antistrophe IV.

Ah! misérable! Feras-tu cela? Tu vas laver dans le bain celui qui a partagé ton lit! Comment dirai-je le reste? La chose arrivera bientôt. Elle allonge le bras et saisit de la main!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.