Éveille, éveille celle-ci! – Éveille-toi! – Tu dors? – Debout! – Éveillons-nous, et, le sommeil secoué, voyons si nous viendrons à bout de ceci.
Strophe I.
Hélas! hélas! ô dieux! Voici un grand malheur, mes amies! Certes, nous avons inutilement beaucoup travaillé. Hélas! ceci est un grand malheur, un malheur insupportable! La bête s'est échappée des rets! Domptées par le sommeil, nous avons perdu notre proie!
Antistrophe I.
Ah! fils de Zeus, tu es le voleur! Jeune dieu, tu as outragé de vieilles déesses en protégeant ton suppliant, cet homme funeste à celle qui l'a conçu. Toi qui es un dieu, tu nous as arraché celui qui a tué sa mère! Qui dira que cela est juste?
Strophe II.
J'ai entendu un reproche dans mes songes. Il a pénétré dans mon flanc, dans le cœur, dans le foie! Je ressens le coup du flagellateur, du terrible bourreau. C'est une profonde horreur!
Antistrophe II.
C'est ainsi que ces dieux plus jeunes que nous usent de la puissance suprême et agissent contre la justice en faveur de ce caillot de sang qui dégoutte de la tête aux pieds! On permet que le nombril de la terre abrite cet impie souillé de sang par un meurtre effroyable!
Strophe III.
Divinateur! tu as souillé ton propre sanctuaire de la présence de ce suppliant que tu as excité et appelé toi-même, protégeant ainsi les hommes contre la loi des dieux et outrageant les Moires antiques!
Antistrophe III.
Le dieu m'a outragée, mais il ne sauvera point cet homme, même quand il s'enfoncerait sous terre, et il ne serait point délivré! Là encore, ce suppliant souillé par le meurtre trouverait un autre vengeur qui s'appesantirait sur sa tête!
Hors d'ici! je le veux. Sortez promptement de ce temple! Disparaissez du sanctuaire fatidique, de peur que je t'envoie le serpent à l'aile d'argent jailli de l'arc d'or! Alors tu rejetterais de douleur ta noire écume prise aux hommes, tu vomirais ces caillots de sang que tu as léchés dans les égorgements! Il ne vous convient pas d'approcher de cette demeure, mais il vous faut aller là où l'on coupe les têtes, où l'on crève les yeux, où sont les tortures, les supplices, où l'on retranche les organes de la génération, où les lapidés et les empalés gémissent! Vous écoutez ces cris comme s'ils étaient des chants joyeux et vous en faites vos délices, ô déesses en horreur aux dieux! C'est là que votre face effroyable sera la bienvenue. C'est l'antre du lion altéré de sang qu'il vous faut habiter, mais vous ne devez pas souiller le sanctuaire des oracles. Allez vagabonder sans pasteur dans vos pâturages, car aucun des dieux ne se soucie d'un tel troupeau!
Roi Apollôn! écoute-moi à ton tour. Tu n'es pas seulement le complice de ces crimes accomplis, mais c'est toi seul qui as tout fait, et tu es le plus grand coupable!
Et comment? Dis clairement toute ta pensée.
Tu as ordonné à ton hôte, par ton oracle, de tuer sa mère!
J'ai décidé qu'il vengerait son père. Pourquoi non?
Et que tu le défendrais après le sang versé.
Et j'ai voulu qu'il se réfugiât, en suppliant, dans ce temple.
Et tu nous outrages, nous qui l'y poursuivons!
Il ne vous convient pas d'approcher de cette demeure.
Mais c'est notre tâche.
Quelle tâche? Voyons! quelle est donc cette tâche illustre?
Nous chassons des demeures ceux qui tuent leurs mères.
Quoi donc! Le meurtrier d'une femme qui a égorgé son mari?
Le sang qu'elle a versé de sa main n'était pas celui de sa propre race.
Certes, tu dédaignes et réduis à rien ces promesses des époux consacrées par la nuptiale Hèra et par Zeus! Kypris, qui donne aux hommes leurs plus grandes joies, est ainsi dépouillée de ses honneurs. Le lit que partagent le mari et la femme, gardé par la justice, est plus sacré qu'un serment. Si tu es clémente quand les époux s'égorgent l'un l'autre, si tu ne leur demandes aucune expiation, et si tu ne les regardes point avec colère, je dis que tu poursuis Orestès sans droit. En effet, pour le premier crime tu es pleine d'indulgence, et, pour celui-ci, je te vois enflammée de colère! Mais la divine Pallas jugera l'une et l'autre cause.
Jamais je ne lâcherai cet homme!
Poursuis-le donc et accrois tes fatigues.
Cesse d'outrager mes honneurs par tes paroles.
Je n'en voudrais pas, si tu me les offrais.
Certes, les tiens sont plus grands et tu t'assieds près du trône de Zeus. Pour moi, car le sang versé d'une mère demande vengeance, je poursuivrai cet homme comme ferait une chasseresse!
Et moi, je défendrai et protégerai mon suppliant, car elle serait terrible pour moi, parmi les hommes et les dieux, la colère du suppliant que j'aurais volontairement livré!
Reine Athéna, je viens à toi, envoyé par Loxias. Reçois avec bienveillance un malheureux qui n'est plus souillé, dont le crime est expié, qui est entré déjà dans de nombreuses demeures et qui s'est purifié en d'autres temples. J'ai traversé les terres et les mers, obéissant aux ordres que Loxias m'a donnés par son oracle, et je viens vers ta demeure et ton image, ô déesse, et j'y resterai, attendant que tu me juges.
Bien! ceci est une trace manifeste de l'homme! suis l'indice de ce guide muet. Comme le chien sur la piste du faon blessé, nous suivons celui-ci aux gouttes de son sang. Que de fatigues pour cet homme! ma poitrine en est haletante. En effet, j'ai passé par tous les lieux de la terre, j'ai volé sans ailes à travers la mer, en le poursuivant, et non moins rapide que sa nef. Et, maintenant, il est là, blotti quelque part. L'odeur du sang humain me sourit! Regardons! regardons encore! Regardons partout, de peur qu'il prenne la fuite, impuni, le meurtrier de sa mère! Il a trouvé de nouveau un refuge; il entoure de ses bras l'image de la déesse ambroisienne, voulant être jugé à cause de son crime. Mais cela ne se peut pas. Ô dieux! le sang d'une mère, une fois versé, est ineffaçable. Il coule et il est absorbé par le sol. Il te faut expier ton crime, il faut que je boive à ton corps vivant la rouge et horrible liqueur; et, après t'avoir ainsi épuisé, je t'entraînerai sous terre, afin que tu sois châtié du meurtre de ta mère. Et tu verras alors ceux qui ont outragé ou les hommes, ou les dieux, ou leur hôte, ou qui ont méprisé leurs chers parents, frappés chacun d'un juste châtiment. Car Aidès est le grand juge des mortels, et il se souvient de tout, et il voit tout sous la terre.
Certes, je suis instruit par mes maux, et je sais de nombreuses purifications, et quand il faut parler et quand il faut se taire. J'ai appris d'un savant maître ce que je dois dire ici. Le sang s'est assoupi et s'est effacé de ma main et la souillure du meurtre de ma mère a disparu. Elle était récente encore quand, à l'autel du divin Phoibos, elle a été enlevée par les purifications, les porcs expiatoires une fois égorgés. Mon récit serait long si je disais tous les hommes vers qui je suis allé depuis et à qui ma présence n'a fait aucun mal. Le temps détruit tout en vieillissant. Et, maintenant, je supplie avec une bouche pure Athèna, reine de cette terre, afin qu'elle me vienne en aide. Elle se rendra ainsi, sans combat, et moi-même et la terre et le peuple des Argiens, fidèles et dévoués. Soit qu'aux pays Libyens, vers les bords du Tritôn, son fleuve natal, visible ou invisible elle vienne en aide à ceux qu'elle aime, soit qu'aux plaines de Phlégra, elle passe en revue son armée, comme un chef courageux, qu'elle vienne! Car un dieu entend de loin! et qu'elle m'affranchisse de mes maux!