La cause est trop grande pour qu'aucun mortel puisse la juger. Moi-même, je ne puis prononcer sur un meurtre dû à la violence de la colère; surtout, parce que, ton crime accompli, tu n'es venu, en suppliant, dans ma demeure, que purifié de toute souillure. Puisque tu as ainsi expié le meurtre, je te recevrai dans la ville. Cependant, il n'est pas facile de rejeter la demande de celles-ci. Si la victoire leur était enlevée dans cette cause, elles répandraient en partant tout le poison de leur cœur sur cette terre, et ce serait une éternelle et incurable contagion. Certes, je ne puis renvoyer ou retenir les deux parties sans iniquité. Enfin, puisque cette cause est venue ici, j'établirai des juges liés par serment et qui jugeront dans tous les temps à venir. Pour vous, préparez les témoignages, les preuves et les indices qui peuvent venir en aide à votre cause. Après avoir choisi les meilleurs parmi ceux de ma ville, je reviendrai avec eux, afin qu'ils décident équitablement de ceci, en restant ainsi fidèles à leur serment.
Strophe I.
Maintenant, voici le renversement de l'antique justice par des lois nouvelles, si la cause de ce meurtrier de sa mère est victorieuse. Tous les hommes se plairont à ce crime, afin d'agir avec des mains impunies. En vérité, d'innombrables calamités menaceront désormais les parents de la part des enfants!
Antistrophe I.
En effet, il n'y aura plus d'yeux dardés sur les hommes, plus de colère qui poursuive les crimes. Je laisserai tout faire. Chacun saura, en gémissant sur les maux qu'il souffrira de ses proches, qu'il n'y a plus ni relâche, ni remèdes à de telles misères, ni refuge contre elles, ni consolations même illusoires.
Strophe II.
Que personne, une fois accablé par le malheur, ne pousse ce cri: – ô justice! ô trône des Érinnyes! – Bientôt, un père ou une mère, en proie à une calamité récente, gémira avec des lamentations, après que la demeure de la justice se sera écroulée!
Antistrophe II.
Il en est que la terreur doit hanter inexorablement, comme un surveillant de l'esprit. Il est salutaire d'apprendre de ses angoisses à être sage. Qui, en effet, ou ville, ou homme, s'il n'a dans le cœur une vive lumière, honorera désormais la justice?
Strophe III.
Ne désirez ni une vie sans frein, ni l'oppression. Les dieux ont placé la force entre les deux, ni en deçà, ni au delà. Je le dis avec vérité: l'insolence est certainement fille de l'impiété; mais de la sagesse naît la félicité, chère à tous et désirée de tous.
Antistrophe III.
Je te recommande par-dessus tout d'honorer l'autel de la justice. Ne le renverse pas du pied dans le désir du gain. Le châtiment ne tarde pas, et il est toujours en raison du crime. Que chacun ait le respect de ses parents et fasse un bienveillant accueil aux hôtes qui se dirigent vers sa demeure.
Strophe IV.
Celui qui est juste sans y être contraint ne sera point malheureux, et il ne périra jamais par les calamités; mais je sais que l'impie persévérant, qui confond toutes choses contre la justice, sera contraint par la violence, quand viendra le temps, et que la tempête brisera ses antennes en déchirant ses voiles.
Antistrophe IV.
Au milieu de l'inévitable tourbillon, il invoquera les dieux qui ne l'entendront point. Les daimones rient de l'homme arrogant, quand ils le voient enveloppé par l'inextricable ruine, sans qu'il puisse jamais surmonter son malheur. Sa première prospérité s'est enfin brisée contre l'écueil de la justice; il périt non pleuré et oublié!
Allons, héraut! contiens la multitude. Que la trompette Tyrrhènienne, emplie d'un souffle viril, pénètre les oreilles d'une clameur sonore et parle au peuple! Puisque cette assemblée est réunie, que tous se taisent! Ceux-ci appliqueront désormais mes lois dans toute la ville, et vont juger équitablement cette cause.
Roi Apollôn! commande en ce qui t'appartient. En quoi ces choses te regardent-elles? Que t'importe ceci? Dis-le-moi.
Je viens porter témoignage. Cet homme est mon suppliant, il s'est assis dans ma demeure et je l'ai purifié de ce meurtre; mais je suis en cause aussi, l'ayant excité à tuer sa mère. Toi, Athèna, appelle la cause et ouvre la contestation!
C'est à vous de parler les premières. J'appelle la cause. L'accusateur doit commencer et dire ce dont il s'agit.
Nous sommes nombreuses à la vérité, mais nous parlerons brièvement. Toi, réponds-nous, parole pour parole. Avant tout, dis, as-tu tué ta mère?
Je l'ai tuée, je ne le nie pas.
Dans cette lutte te voilà tombé une fois sur trois!
Tu te vantes avant de m'avoir terrassé.
Réponds encore. Comment l'as-tu tuée?
Je réponds: de ma main je lui ai enfoncé cette épée dans la gorge.
Par qui as-tu été poussé et conseillé?
Par les oracles de ce dieu. Il m'en est témoin ici.
Le divinateur t'a poussé à tuer ta mère?
Jusqu'ici je ne me repens pas de cela.
Condamné, tu parleras autrement.
J'ai bon espoir. Mon père m'aidera du fond de sa tombe.
Tu te fies aux morts, après avoir tué ta mère!
Elle était souillée de deux crimes.
Comment? Dis-le à tes juges.
Elle a tué son mari et elle a tué mon père.
Tu vis, et par sa mort elle a expié ce crime.
Mais, pendant qu'elle vivait, l'avez-vous poursuivie?
Elle n'était pas du sang de l'homme qu'elle a tué.
Et moi, étais-je du sang de ma mère?
Quoi! ne t'a-t-elle point porté sous sa ceinture, ô tueur de ta mère! Renieras-tu le sang très cher de ta mère?
Sois-moi témoin, Apollôn! Ne l'ai-je point tuée légitimement? Car je ne nie pas que je l'aie tuée. Penses-tu que son sang ait été légitimement versé? Parle, afin que je le dise à ceux-ci.