Tu souffres un supplice indigne. Tu erres, troublé dans ton esprit. Mauvais médecin, ta pensée est malade, et tu n'y trouves aucun remède qui puisse te guérir.
Si tu veux écouter le reste, tu admireras combien d'arts et de ressources j'ai inventés. Voici le plus grand:
Si quelqu'un, autrefois, tombait malade, il n'y avait aucun remède, aucune nourriture, aucun baume, ni rien qu'il pût boire. Ils mouraient par le manque de remèdes, avant que je leur eusse enseigné les mixtures des médicaments salutaires qui, maintenant, chassent loin d'eux toutes les maladies. J'instituai les nombreux rites de la divination. Le premier, je signalai dans les songes les choses qui devaient arriver, et j'expliquai aux hommes les révélations obscures. J'ai précisé aux voyageurs les hasards des chemins et le sens assuré du vol des oiseaux aux ongles recourbés, ceux qui sont propices, ceux qui sont contraires, le genre de nourriture de chacun, leurs haines, leurs amours et leurs réunions. J'enseignai aussi l'aspect lisse des entrailles et leur couleur qui plaît aux daimones, et la qualité favorable de la bile et du foie, et les cuisses couvertes de graisse. En brûlant les longs reins, j'ai enseigné aux hommes l'art difficile de prévoir. Je leur ai révélé les présages du feu, qui, autrefois, étaient obscurs. Telles sont les choses. Et qui peut dire avoir trouvé avant moi toutes les richesses cachées aux hommes sous la terre: l'airain, le fer, l'argent, l'or? Personne. Je le sais certainement, à moins de vouloir se vanter vainement. Écoute enfin un seul mot qui résume: tous les arts ont été révélés aux vivants par Promètheus.
Ne dédaigne pas ta propre douleur, puisque tu as aidé les hommes plus qu'il ne convenait. J'espère que tu échapperas alors de tes chaînes, et que tu ne seras pas moins puissant que Zeus.
L'inévitable Moire n'accomplira point les choses ainsi. La fatalité en a décidé. Je serai consumé de misères infinies et de malheurs, jusqu'à ce que je sois délivré de mes chaînes. La science est beaucoup trop faible contre la nécessité.
Qui donc gouverne la nécessité?
Les trois Moires et les Erinnyes qui n'oublient rien.
Zeus leur est-il soumis?
Certes. Il ne peut échapper à ce qui est fatal.
Qu'y a-t-il de fatal pour Zeus, si ce n'est de commander toujours?
Ne recherche pas cela. N'insiste point.
Sans doute elle est sacrée, cette chose que tu caches?
Parle d'autre chose. Ce n'est point le temps de révéler celle-ci. Il me faut la taire absolument. Si je la garde pour moi, je serai délivré de ces chaînes ignominieuses et de ce supplice.
Strophe I.
Puisse Zeus, maître de toutes choses, ne jamais opposer sa puissance à ma volonté! Que je ne cesse jamais d'honorer les dieux et d'assister aux festins sacrés où sont égorgés les bœufs, auprès de l'intarissable cours du père Okéanos! Que je ne les offense jamais de mes paroles! Que ce désir demeure en moi et ne s'efface jamais!
Antistrophe I.
Il est doux de mener une longue vie pleine de certitude et d'espérance, et de nourrir son cœur d'une joie lumineuse! J'ai horreur de te voir accablé de maux infinis. Tu n'as pas assez respecté Zeus. Sûr de ta sagesse, tu as trop aimé les mortels, ô Promètheus!
Strophe II.
Ô ami, vois combien la suite en est funeste! Quel secours, quelles protection attends-tu des éphémères? Ne vois-tu pas l'inerte imbécillité, semblable au sommeil, qui étreint la race aveugle des mortels? Jamais la volonté des hommes ne troublera l'ordre voulu par Zeus.
Antistrophe II.
J'ai reconnu cela lorsque j'ai contemplé ton supplice, ô Promètheus! Que l'harmonie était différente qui caressait mes oreilles, quand autour de tes bains et de ton lit je chantais selon le rite nuptial, au temps où, l'ayant persuadée par tes présents, tu épousais Hèsiona, la fille de mon père!
Quelle est cette terre? Quelle est cette race? Quel est celui-ci, ainsi lié à ce rocher tempétueux par ces chaînes? Pour quel crime es-tu châtié? Ah! ah! ah! voici que le taon me pique de nouveau, malheureuse! Lui! Le spectre d'Argos, fils de Gaia! Fuis, ô terre! Je vois, ô terreur! le bouvier aux yeux innombrables qui me regarde! Il approche avec son œil rusé. Bien que mort, la terre ne le cache point. Échappé du Hadès, il me poursuit, malheureuse, affamée, vagabonde, à travers les sables marins!
Strophe.
La syrinx enduite de cire fait entendre le chant du sommeil. Hélas, hélas, hélas! où ces longues courses me poussent-elles? Ô fils de Kronos, pourquoi m'as-tu liée à ces misères? Pourquoi exciter ainsi par la terreur ma fureur et ma démence? Consume-moi par le feu, engloutis-moi sous la terre, ou jette-moi en pâture aux bêtes de la mer! Ne te refuse pas à ce désir, ô roi! Mes courses vagabondes m'ont exténuée. Je ne sais comment ni où je serai délivrée de mes maux.
N'entends-tu point la voix de la vierge aux cornes de vache?
Comment n'entendrais-je point la jeune vierge harcelée par le taon, la fille d'Inakhos? Elle a brûlé d'amour le cœur de Zeus, et voici qu'elle est violemment éprouvée, en ces longues courses, par la haine de Hèra.
Antistrophe.
Pourquoi as-tu prononcé le nom de mon père? Dis-le à une malheureuse. Qui es-tu? Qui es-tu donc, ô malheureux! toi qui sais mon nom, toi qui nommes le mal envoyé par les dieux, ce mal qui me dessèche et me mord de furieux aiguillons? Hélas! Je suis venue en bondissant, excitée par les brûlures de la faim, domptée par la volonté haineuse de Hèra. Hélas! Quels malheureux subissent les maux qui m'accablent? Mais dis-moi clairement ce qui me reste à souffrir, dis-moi s'il est un soulagement ou un remède à mon mal. Si tu le sais, parle, dis-le à la malheureuse vierge vagabonde.
Ce que tu désires, je te le dirai clairement, sans te cacher rien, simplement, comme il convient entre amis. Tu vois Promètheus, celui qui a donné le feu aux vivants.
Ô toi qui t'es révélé pour le commun salut des hommes, malheureux Promètheus! pour quelle cause souffres-tu ainsi?
A peine ai-je cessé de déplorer mes misères.
Tu ne me feras donc point cette grâce?
Parle, que demandes-tu? Tu sauras tout de moi.
Dis-moi qui t'a lié à cette roche escarpée.
La volonté de Zeus et les mains de Hèphaistos.
Mais de quels crimes subis- tu le châtiment?
Je ne puis te répondre que cela seulement.