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IÔ.

Apprends-moi le terme de mes courses et ce que durera mon mal.

PROMÈTHEUS .

Il vaut mieux pour toi l'ignorer que le savoir.

IÔ.

Ne me cache rien de ce que je dois souffrir.

PROMÈTHEUS .

Je ne te refuse pas ce service.

IÔ.

Que tardes-tu donc? Dis-moi tout.

PROMÈTHEUS .

Ce n'est point mauvaise volonté. Je crains de troubler ton esprit.

IÔ.

Cela me plaît. Ne considère rien au delà.

PROMÈTHEUS .

Puisque tu le désires, il me faut parler. Écoute donc.

LE CHŒUR DES OKÉANIDES.

Non, pas encore. Accorde-moi une part de joie. D'abord, sachons d'elle-même sa fatale destinée et son mal. Tu lui diras ensuite le reste de ses misères.

PROMÈTHEUS .

Il t'appartient, Iô, de les satisfaire. Après tout, elles sont les sœurs de ton père. Il est doux de déplorer sa propre destinée et d'exciter les larmes de qui nous écoute.

IÔ.

Je ne sais comment je pourrais vous refuser. Vous saurez clairement ce que vous demandez, bien qu'il me soit amer de raconter comment mon esprit a été troublé par un dieu, et comment j'ai été misérablement transformée.

Sans cesse des apparitions nocturnes erraient dans ma chambre virginale et me caressaient de douces paroles: – Ô bienheureuse jeune fille, pourquoi gardes-tu si longtemps la virginité, quand de si belles noces te sont possibles? Zeus brûle par toi, sous le trait du désir. Il veut posséder Kypris avec toi. Ô jeune fille, ne repousse pas le lit de Zeus! Va dans la profonde prairie de Lerna, où sont les enclos et les étables de ton père, afin que l'œil de Zeus ne brille plus de désirs.’ – Et pendant toutes les nuits, malheureuse! j'étais harcelée de tels songes, jusqu'à ce que j'eusse osé raconter à mon père ces apparitions nocturnes. Et lui, il envoya de nombreux messagers à Pythô et à Dôdônè, afin d'apprendre ce qu'il devait faire qui fût agréable aux dieux. Et ils revenaient, rapportant des oracles ambigus et des paroles obscures et inintelligibles. Enfin la révélation fut clairement manifestée à Inakhos qu'il eût à me chasser de ma demeure et de ma patrie, pour que je fusse vagabonde aux extrémités de la terre. La foudre flamboyante de Zeus devait venir, s'il n'obéissait pas, et anéantir toute notre race. Contre son gré, malgré moi, persuadé par cet oracle de Loxias, il me chassa hors de ses demeures. L'ordre de Zeus l'y forçait. Il fut contraint de le faire. Et aussitôt mon aspect et mon esprit furent transformés et je courus, d'un bond furieux, cornue comme tu vois, piquée par l'aiguillon mordant du taon, vers le doux rivage de la source Kerkhnéia, dans la vallée de Lerna. Le bouvier Argos, né de Gaia, me suivait plein de colère, épiant mes traces de ses yeux innombrables. Brusquement, la destinée le priva de la vie. Moi, furieuse toujours sous l'aiguillon divin, je courus de terre en terre. Tu sais tout. Si tu peux dire quelles seront mes misères futures, dis-les-moi. Dans ta pitié ne me flatte point par des paroles mensongères. Le mensonge, je pense, est un mal très honteux.

LE CHŒUR DES OKÉANIDES.

Tais-toi, tais-toi! cesse! hélas! jamais, jamais je n'ai pensé qu'un tel récit viendrait à mes oreilles, ni que des maux si tristes à voir et si tristes à subir, de telles expiations, de telles épouvantes, glaceraient mon cœur d'un double aiguillon!

PROMÈTHEUS .

Tu gémis et tu es terrifiée trop tôt. Attends que tu saches le reste.

LE CHŒUR DES OKÉANIDES.

Parle, apprends-le-lui. Il est doux aux malades de savoir sûrement d'avance ce qu'ils souffriront encore.

PROMÈTHEUS ,

Ce que vous avez demandé, vous l'avez aisément obtenu de moi, ayant voulu l'entendre, avant tout, raconter ses propres misères. Maintenant sachez le reste, les maux que cette jeune vierge doit subir par la volonté de Hèra. Toi, fille d'Inakhos garde mes paroles dans ton esprit, afin de connaître le terme de ta course.

Tournée vers le lever de Hèlios, tu iras d'abord par les plaines non labourées. Tu parviendras ainsi jusqu'aux Skythes nomades qui, sous leurs toits d'osier tressé, habitent, dans les hautes régions, leurs chars aux roues solidement construites, armés d'arcs qui lancent au loin les flèches. Je te conseille de n'en point approcher. Va plus loin en courant le long des rochers battus par la mer. A gauche habitent les Khalybes qui travaillent le fer. Il faut te garder d'eux. Ils sont farouches et inabordables aux étrangers. Et tu parviendras au fleuve Hybristès, qui est bien nommé. Ne tente point de le passer, car cela n'est pas facile, avant que tu sois parvenue au Kaukasos lui-même, la plus haute des montagnes, là où le fleuve verse la violence de ses eaux, au faîte du mont. Il faut faire ton chemin par-dessus les cimes élevées, vers le midi. Tu rencontreras la foule des Amazones qui méprisent les mâles et qui habiteront un jour Thémiskyra, auprès du Thermodôn, où s'ouvre l'âpre mâchoire de la mer Salmydèsienne, funeste aux marins et marâtre des nefs. Elles t'indiqueront très volontiers ta route. Tu arriveras à l'Isthme Kimmérien, aux embouchures étroites de la mer. Laisse-le et passe courageusement les détroits Maiotiques. Et ce sera une grande renommée parmi les mortels que celle de ton passage, d'où viendra le nom de Bosphoros. Puis, ayant abandonné la terre d'Eurôpè, tu aborderas le continent d'Asia. En tout ceci, le tyran des dieux ne vous semble-t-il pas toujours également violent? Le dieu a voulu s'unir à cette mortelle, et il l'a accablée de ces afflictions. Ô jeune fille, tu as trouvé un fiancé cruel, car tu n'as entendu que le commencement de tes misères.

IÔ.

Ah! Malheur à moi! hélas!

PROMÈTHEUS .

Tu pleures et gémis de nouveau? Que feras-tu quand tu entendras le reste de tes maux?

LE CHŒUR DES OKÉANIDES.

As-tu donc encore des malheurs à lui annoncer?

PROMÈTHEUS .

Toute une mer tempêtueuse de cruelles douleurs.

IÔ.

A quoi me sert donc de vivre? Et que ne me précipite pas brusquement de ce rocher rugueux, afin, me brisant dans ce sentier, de m'affranchir de toutes mes peines! Mieux vaut mourir soudainement que d'être en proie à une destinée mauvaise pendant tous les jours de la vie!

PROMÈTHEUS .

Tu subirais plus cruellement mes douleurs, à moi qui ne puis mourir! Ce serait, en effet un refuge à mes maux. Mais il n'est aucun terme à mon supplice, avant que Zeus tombe de la tyrannie.

IÔ.

Arrivera-t-il, un jour que Zeus cesse de commander?

PROMÈTHEUS .

Tu te réjouirais, je pense, de voir une telle chute.

IÔ.

Comment non, moi qui suis si cruellement torturée par Zeus?

PROMÈTHEUS .

Certes, cela arrivera. Sache-le de moi.

IÔ.

Par qui sera-t-il dépossédé du sceptre tyrannique?

PROMÈTHEUS .

Par sa propre démence.

IÔ.

De quelle façon? Parle, à moins qu'il n'y ait danger.

PROMÈTHEUS .

Il célébrera des noces par lesquelles il gémira.

IÔ.

Divines ou mortelles? Parle, s'il est permis.

PROMÈTHEUS .

Pourquoi me le demander? Il ne m'est point permis de le dire.

IÔ.

Et par cette épouse il tombera du trône?

PROMÈTHEUS .

Elle enfantera un fils plus puissant que son père.

IÔ.

Et il ne peut fuir cette destinée?

PROMÈTHEUS .

Non, pas avant que je sois délivré de ces chaînes.

IÔ.