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Je fis signe au serveur de nous apporter l'apéritif d'un roulement de mains, tout en gardant une oreille-satellite plaquée contre le portable.

« Exactement ! Ce n'est pas fini… Deuxième point, nous avons détecté dans l'eau une quantité importante de silicates d'alumine phylliteux, autrement dit, du granit rose dissous. J'ai déjà fait une partie de votre boulot en interrogeant Frédéric Foulon, un expert en minéraux. Il affirme qu'une telle concentration granitique ne peut pas s'obtenir de façon naturelle, par un processus normal d'érosion. Le granit ne vient pas de l'écoulement d'une rivière ou du simple ruissellement d'eaux de pluie sur des parois granitiques. La cause est ailleurs.

— Et il vous a donné des pistes, cet expert ?

— Deux solutions. Ou le tueur a dissous le granit lui-même, ou le granit se trouvait déjà dans l'eau quand il l'a collectée. Dans ce dernier cas, il est très probable que la roche se soit déposée dans une flaque sous forme de poussière.

— Un lieu où l'on travaillerait le granit rose ? Comme une entreprise ?

— Oui, mais œuvrant à l'extérieur, dans un endroit propice à la rétention d'eau de pluie et au développement d'algues. Comme une carrière, par exemple. Le problème, c'est que des carrières de granit rose, il en existe un sacré paquet… En Bretagne bien sûr, en Alsace au niveau de la faille d'effondrement, dans les Alpes, les Pyrénées et autres massifs montagneux. Sans oublier qu'il pourrait aussi s'agir de l'artisan qui construit ses pierres tombales dans un coin de son jardin avec des blocs de granit importés. Et alors, ça compliquerait franchement votre affaire ! Bon courage, commissaire. Tenez-moi au courant… »

Sa voix disparut derrière le déclic du téléphone. Posant le cellulaire sur la table, je sortis un carnet de ma veste pour noter les points clés de notre conversation.

« Du nouveau, dirait-on », s'intéressa Serpetti en buvant une gorgée de Martini rose.

Je m'assis et m'hydratai d'une bière pression, une Leffe brune. « En effet. Ce que m'a dit le légiste est bluffant, absolument bluffant… » Je me passai une main de l'arrière du crâne jusqu'au front. « Il l'a forcée à avaler cette eau croupissante… A quoi cela peut-il bien rimer ?

— De quoi parles-tu ? C'est quoi, cette histoire d'eau ?

— Je préfère ne pas t'en dire plus, Thomas. Ne m'en veux pas… »

Serpetti bascula la tête vers l'arrière et s'envoya une double gorgée d'alcool italien, avant de jeter : « La science m'impressionnera toujours… Je n'aimerais pas être un assassin de nos jours. Avec vos techniques, le type ne peut même plus péter tranquillement sur le lieu du crime, parce que vous seriez capables de récupérer les molécules du pet, d'en déduire l'âge et la couleur du tueur et de dire ce qu'il avait mangé avant de commettre le crime ! »

Ayant liquidé le reste de son verre, Thomas reprit : « Bien, cessons de plaisanter ! L'appel de ton légiste m'a coupé dans ma lancée. Je confirme, un cryptage est caché à l'intérieur de la photo. Mais avec ta bécane, on ne peut rien en tirer. C'est un veau, il lui faudrait des mois avant de reconstituer le message original. Les ingénieurs du SEFTI sont sur le coup ?

— Oui, ils planchent sur le courrier électronique et la photo depuis ce matin. Ils disposent de machines de la taille d'un meuble, enfermées dans une salle réfrigérée. Ce devrait aller beaucoup plus vite… En espérant que cela nous conduise quelque part.

— Je te l'ai dit, le processus de déchiffrement risque d'être très long. La puissance des processeurs fera gagner du temps, certes, mais je crains que nous n'obtenions pas la réponse avant une semaine ou deux.

— Nous verrons bien… De toute façon, nous n'avons pas d'autres pistes pour le moment que cette image… Il faut être fortiche en informatique pour faire ça ?

— Chiffrer ou déchiffrer ? Tu parles ! Un enfant de huit ans pourrait le faire ! Comme envoyer des mails. »

Une éclipse d'anxiété chassa le sourire de Thomas. « La mère de la femme assassinée a reçu la lettre ?

— Malheureusement… L'assassin l'avait glissée directement sous la porte au cours de la nuit… La mère a été emmenée en cellule psychologique à l'hôpital de la Pitié. Elle a essayé de se suicider à coups de Temesta… »

Après avoir quitté Thomas, je m'usai les neurones à comprendre le pourquoi de la signature chimique dans l'estomac de Martine Prieur. Le lieutenant Sibersky avait sans doute raison ; l'assassin cherchait peut-être à nous défier, nous, les policiers, les criminologues, les biologistes et psychologues. Peut-être souhaitait-il que nous entrions dans son jeu pour mieux nous observer, nous juger, nous jauger comme des rats de laboratoire. Peut-être allions-nous devenir les cobayes de ses sordides expérimentations.

Pour aller jusqu'à lui, je ne voyais qu'une solution, retrouver le lieu originel de cette eau…

*

Un vivarium aseptisé. Voilà à quoi me faisaient penser les locaux de la police scientifique et technique qui s'étiraient sur le quai de l'Horloge. S'y mouvaient les espèces les plus rares et omniscientes d'homo sapiens masqués, lunettes, gantés, décapés au désinfectant.

En cet endroit hivernal, se côtoyaient une bonne partie des termes en « gie » du dictionnaire, biologie, toxicologie, morphologie, anthropologie et autres… Sur les écrans des ordinateurs constamment allumés, circulaient des signatures vocales numérisées, des enchevêtrements violacés de filigranes, des tortuosités digitales, des visages virtuels rapiécés de réel, avec des nez, des yeux, des bouches qui se superposaient tour à tour pour former des combinaisons de faciès. Une batterie technologique à la recherche de l'invisible, à la conquête du rien qui contient le tout.

Thierry Dussolier, responsable du service de dactyloscopie, passa me chercher à l'accueil. À l'identique de ses clones, il portait une blouse en coton trop longue qui volait derrière lui comme une cape. « Suivez-moi, commissaire.

— Qu'a donné l'analyse de la lettre envoyée par l'assassin ?

— Rien du tout », répondit l'ingénieur. « L'ESDA, autrement dit, l'Electro-Static Document Analyser, n'a révélé aucune impression involontaire. L'échec de ce côté-là. »

Au détour d'un dédale de couloirs, l'ingénieur et moi-même pénétrâmes dans une pièce sans fenêtre, aménagée comme une chambre coquette ; lit en pin, cadres sur les murs, lampe de chevet, romans éparpillés sur une petite commode, téléviseur et chaîne hifi. Je me retrouvais face au mobilier de Martine Prieur, déplacé, consigné et agencé de la même façon, pour reconstituer, en laboratoire, l'environnement du crime. L'ingénieur ferma la porte et nous plongea dans une obscurité d'attente, de celles qui font saliver.

« Allons-y, commissaire… » Une lumière noire de Wood aux dominantes violacées gicla du plafond. L'invisible apparut, se grava sur mes rétines. Des centaines d'empreintes digitales, essaimées aléatoirement sur les meubles telles des pattes de chat et blanchies au cyanoacrylate, dansaient dans un ballet luminescent. Cette pièce dévoilait des histoires secrètes, des emballées nocturnes mises à jour comme une violence de plus perpétrée sur la femme. Mais, sous la nuée des étoiles digitales, se cachait peut-être un astre particulier, plus sombre que les autres, un magma de crêtes, de bifurcations, d'îlots et de lacs constituant l'empreinte de l'assassin.

Le scientifique m'exposa les éléments principaux, accompagnés d'une riche gestuelle. « L'assassin portait des gants en latex poudrés puisqu'on a relevé des traces de lactose sur les bords du lit, de la commode et… vous verrez dans un instant…

— À quoi sert cette poudre ?

— L'amidon, le carbonate de calcium ou le lactose, à l'intérieur des gants, facilite leur enfilage et accroît l'adhérence des doigts au latex. Lorsqu'on les enlève et les remet plusieurs fois, de la poudre se dépose sur la surface extérieure des gants, d'où les traces.