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« La plus grande caractéristique de ce meurtre, comme des éléments photographiés sur la deuxième femme, demeure l'aspect sadique, manifesté par une cruauté extrême tant physique que mentale. Le sadique trouve l'exaltation au travers de la durée de l'acte. Il gardera sa victime vivante le plus longtemps possible, l'utilisera comme un objet destiné à satisfaire ses fantasmes. À ses yeux, elle ne représente rien et il s'en débarrassera avec autant de remords qu'un mouchoir en papier usagé. »

Elle plaqua ses mains à plat sur le bois lisse de la table.

« D'ordinaire, ce type de torture est accompagné d'actes sexuels qui, s'ils ne s'expriment pas par une pénétration, ressortent au travers de la mutilation des organes génitaux, seins tranchés, vagin prélevé ou déchiré. Dans sa lettre, il précise clairement, je cite, qu'il ne l'a pas baisée, mais qu'il aurait pu. Par cette précision, il veut prouver qu'il n'est pas impuissant, mais que l'acte sexuel ne revêt qu'un aspect secondaire dont il peut se passer sans aucune difficulté. Il en résulte un comportement atypique par rapport à la majorité des tueurs en série, qui, pour la plupart, ont des rapports sexuels post mortem. De plus, en général, on note des points communs entre le physique des victimes ; couleur ou longueur de cheveux, tailles ou plastiques semblables. Ici, je n'en ai relevé aucun. La première victime était blonde, celle des photos châtains. L'une assez grande, l'autre plutôt petite. Sans oublier Rosance Gad, qui, s'il l'a effectivement tuée, présente un physique encore différent. »

Elle se servit de l'eau dans un gobelet de plastique et s'humecta les lèvres. « N'hésitez pas à m'interrompre si je vais trop vite… Le tueur est un joueur, il aime prendre des risques et cherche par des moyens détournés à se faire remarquer. Provocations envers la police, lettre détaillée, photographies de ses victimes… Par ces biais, il trouve le moyen de prolonger son acte, ce qui peut lui permettre de se satisfaire lorsqu'il ne tue pas… Il veut absolument nous faire partager ses sensations, sans pour autant nous donner plus d'informations sur son identité. Ce type de personnage aime suivre le déroulement de l'enquête criminelle, ce qui traduit un besoin de contrôle qui progresse. A priori, il connaît monsieur Sharko, puisqu'il lui a adressé en premier lieu ce courrier. Gardez donc un œil sur toutes vos relations, journalistes, indics, agents d'entretien et même livreurs de pizzas, ainsi que les anciens suspects ou coupables qui sont passés entre vos mains. »

Ses propos sortaient naturellement, comme si les pensées de l'assassin et de ses victimes s'étalaient devant ses yeux et qu'elle se contentait de les interpréter.

« La scène du crime, organisée, signifie que le meurtre a été scrupuleusement préparé, sans doute des semaines, voire des mois à l'avance. Ce type de tueur ne laisse rien au hasard ; victime isolée, plein d'essence toujours fait, voiture entretenue pour préserver sa fuite. Il ne connaît pas forcément ses victimes, de façon personnelle je veux dire, mais s'attache à étudier attentivement leur environnement, leurs habitudes, les lieux où elles se rendent, qui elles fréquentent. Le meurtre, perpétré durant la nuit, et les tortures infligées à la deuxième femme dans une durée pouvant s'étaler sur plusieurs jours, portent à penser que le tueur est célibataire, que son métier lui permet d'accorder du temps à l'étude ainsi qu'à, pardonnez-moi le terme, l'entretien de ses victimes. »

Œil scrutateur dans l'assemblée : « La façon dont il l'a ligotée est une technique appelée bondage. Cela vous dit quelque chose ? »

Neuf personnes moi y compris, sur la quinzaine présente, levèrent la main. Elle reprit. « Cela vaut donc le coup que j'explique. Cette science du ligotage nous vient du Japon. Elle représente, à Porigine, un art sur corps à base d'entraves. Sachez que certains bondageurs japonais sont aussi célèbres que de grands sportifs ; les places pour leurs séances de ligotage se monnaient à prix d'or et ils ont pour public des chefs d'entreprise, des avocats ou des cadres frustrés du nœud. Bien entendu, cet art originel s'est vite dégradé lorsqu'il s'est répandu dans les milieux sadomasochistes. Le bondage propose un panel impressionnant de techniques, un peu comme le Kâma Sûtra qui évolue de la position simpliste du missionnaire jusqu'à des combinaisons beaucoup plus évoluées, genre la brouette japonaise ou renfoncement du clou. »

Des rires plus francs dégivrèrent l'atmosphère. « Ici, la technique employée s'appelle le Shibari : bras ligotés à l'équerre dans le dos, entraves pressant les seins, chevilles attachées et repliées sous les cuisses, corps paraissant encoconné dans une toile d'araignée. L'une des techniques les plus complexes, elle ne s'improvise pas. Le tueur sera peut-être abonné à des revues pornographiques, disposera de nombreuses cassettes vidéo, écumera les milieux sados ou sera adepte d'un club japonais. Parlons un peu des statistiques du FBI, dressées parmi des tueurs en série interrogés pour le programme VICAP, dont, bien entendu, nous ne trouvons pas d'équivalent en France vu le nombre très réduit de tueurs en série manifestes. Ce type de personnage a un quotient intellectuel supérieur à la moyenne, au-dessus de 110, pour un âge compris entre 25 et 40 ans. Sa mine inspire confiance, il est propre et bien habillé. Ses préférences sexuelles tournent autour de la pornographie, du fétichisme, du voyeurisme ou du sadomasochisme dans plus de 70 % des cas. Selon le VICAP, 85 % sont de race blanche, 75 % possèdent un emploi stable et, dans les deux tiers des cas, tuent dans un endroit proche de leur lieu d'habitation… Finalement, tous se disent incapables d'arrêter de tuer et d'ailleurs, ils n'en voient pas l'intérêt… Nous savons donc à quoi nous attendre… »

Une question fusa.

« Vous parlez de tueurs en série depuis le début. Vous pensez réellement que l'assassin de Martine Prieur en est un ?

— À l'évidence, oui. Pour toutes les raisons que je vous ai exposées précédemment… Le tueur classique ou de masse ne se vanterait pas de ses exploits, ne chercherait pas à provoquer. Et les scènes de crimes seraient beaucoup, beaucoup moins élaborées. N'oublions pas, de surcroît, que nous avons deux victimes potentielles et un meurtre effectif, ce qui est le facteur le plus convainquant…

— Mis à part les statistiques, disposons-nous d'éléments concrets, de certitudes qui s'appliqueraient à notre tueur ? » interrogea Leclerc.