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Elle répondit avec discipline. « Il est droitier…

— Comment ça ?

— Les nœuds de corde sont tous faits de la même façon, l'extrémité droite passe dans la boucle constituant le nœud. Un gaucher procéderait à l'envers… Ce point n'était pas signalé dans le dossier, mais je suppose que vous l'aviez remarqué, non ? »

Bouches cousues dans l'assemblée.

« On ne peut pas dire que le fait qu'il soit droitier élimine beaucoup de monde », intervint avec un rire jaune Thornton. « Dites-moi, mademoiselle Williams, il me semble que les meurtriers en série ont un modus operandi qui n'évolue jamais d'un meurtre à l'autre.

Dans ce cas, pourquoi aurait-il essayé de faire passer pour un accident le meurtre de Rosance Gad, si cela en est effectivement un ? Et pourquoi ne le revendiquer que maintenant ? »

L'eunuque du cerveau, pour une fois, se risquait à frôler la barre haute de l'intelligence.

Sans se laisser désarçonner, elle déclara : « Considérons l'aspect temporel des événements. Les deux dernières manifestations du tueur demeurent très rapprochées, voire simultanées ; toutes deux, des scènes de souffrances extrêmes. Les meurtriers en série en sont rarement à leurs premiers délits lorsque débute la série. Certains ont déjà tué dans leur adolescence, d'autres se servent d'animaux pour assouvir leurs fantasmes, un peu comme un terrain d'entraînement. Il est fort possible qu'il ait entretenu des rapports particuliers avec Rosance Gad qui ont réveillé des pulsions endormies au plus profond de lui. Puis, sur le coup, la peur d'être découvert l'a fait maquiller le crime en accident. Mais à présent, la chrysalide est devenue papillon et, comme ces individus aiment à le faire, il revendique ce meurtre, tel un trophée oublié qu'il faut ressortir du grenier. »

Thornton se recala au fond de sa chaise, le stylo entre les mâchoires. Calmé, apparemment.

« Votre avis sur la tête tranchée ? Les yeux extraits puis replacés dans leur orbite ? » questionnai-je en agitant la main.

« Difficile de vous parler de l'ensemble de mes conclusions, sinon la réunion durerait la journée… Vous lirez mon rapport. Cependant, je vais répondre à votre question maintenant que vous l'avez posée. Le tueur cherche à atteindre un but, l'exaltation suprême dans l'acte de tuer, qui, ici, se traduit par un rituel sanglant. Le rituel lui permet de retirer une profonde satisfaction de l'acte de torture en lui-même. En lui ôtant la tête, il s'approprie sa victime. Le plus étonnant reste cette expression du visage de Prieur, une bouche tordue de douleur, des yeux suppliants dirigés non pas vers le plafond, mais au ciel. Il a travaillé cette face comme un sculpteur modèle sa pierre. Il veut nous transmettre un message et, croyez-moi, je planche dessus en m'orientant notamment sur la piste religieuse. Mais je préfère ne pas vous en dire plus, car l'étude est loin d'être aboutie. Rien d'autre ? » Elle envoya une œillade circulaire. « Très bien. Merci de votre attention, messieurs… »

La salle se vida dans une nuée de chuchotements et de regards bas. Le discours s'était érigé à la hauteur de mes attentes et une bonne partie de mes interrogations avait trouvé réponse.

« Joli exposé ! » envoyai-je à la psycho-criminologue alors qu'elle s'apprêtait à partir. « Vous avez chassé le scepticisme de certains à grands coups de phrases marteau.

— Monsieur Sharko… Il me semble avoir déjà vu votre visage bien avant aujourd'hui, mais je ne me souviens plus où.

— J'ai assisté à presque toutes vos conférences.

— Vous avez une très bonne approche dans vos rapports. Vos analyses sont pointues et précises. Elles m'ont grandement facilité le travail.

— Je vous offre un café ?

— J'ai un rendez-vous important, commissaire, et je suis déjà en retard. Une autre fois, très certainement… A bientôt… »

Thornton m'interpella avant que j'entre dans mon bureau.

« Assez scolaire comme analyse, non ?

— Pardon ?

— Le monologue de Williams. On dirait du rabâchage de bouquin sur les tueurs en série. N'importe qui aurait pu faire la même chose.

— Certainement pas vous, en tout cas. »

Il s'adossa contre un mur, pieds croisés et observa le bout de ses ongles manucurés. « J'ai appris que vous aviez insisté pour… comment dire… m'écarter de vos plates-bandes.

— En effet. Et alors ?

— Alors, il semblerait que vous ayez échoué. » Il s'engagea dans la descente d'escalier. « Je crois que nous serons amenés à nous revoir souvent, commissaire ! Plus souvent que vous ne l'espériez ! »

*

Alors que je dévorais le rapport d'Élisabeth Williams, Sibersky débarqua dans mon bureau, des feuilles brandies au-dessus de la tête.

« Je crois savoir d'où vient l'appareil stéréotaxique de la photo ! »

Je levai le museau : « Annonce ! Et vite !

— J'ai interrogé les labos de vivisection possédant ce type d'appareil. L'un d'entre eux, en banlieue, s'est fait attaquer par le FLA, Front de Libération des Animaux, voilà quelques mois. Les loustics lui ont piqué son matos.

— En route ! »

Une soixantaine de kilomètres à l'ouest de Paris. Le laboratoire d'Huntington Life Science, HLS, dressait ses flancs de béton au bout de la zone industrielle A de Vernon, au cœur d'une étendue herbeuse taillée à l'anglaise. Un bâtiment haut de gamme, à la pointe du modernisme avec ses toits en forme d'ailes delta et ses vitres fumées en plexiglas. Au poste de garde, avant l'accès au parking privé, un molosse roux qui avait tout d'un épagneul déraciné de sa niche, jugea bon de se mettre au travers de notre chemin, comme si la barrière abaissée ne suffisait pas.

« Je peux voir votre badge ? » aboya-t-il.

« Pas de badge », rétorquai-je. Je passai par la fenêtre la carte colorée. « On a appelé le directeur dans l'après-midi. Il est d'accord pour nous recevoir.

— Ne bougez pas, s'il vous plaît…

— Il a un beau pelage, vous ne trouvez pas ? » marmonna Sibersky avec un sourire évocateur.

Le chien de garde échangea quelques mots dans son émetteur-récepteur avant de lever la barrière. « Circulez !

— T'es un bon toutou… » lança à voix basse mon collègue lorsque nous roulâmes au pas devant le gardien, avant d'ajouter : « Je me demande comment on peut travailler là-dedans. Ça ressemble à une gigantesque chambre de torture… »

Je pensais plutôt à un camp d'extermination aux apparences de paquebot de luxe, où chaque cabine renfermait un piège de métal, froid et inondé d'aboiements désespérés, de douleur gratuite ou de total irrespect pour la race animale. Tout cela dans l'unique but d'embellir des thons par le biais du maquillage…

Un assistant nous guida dans un labyrinthe de couloirs poinçonnés d'éclats crus de lampes au néon. Chaque porte close rappelait la porte précédente, chaque pas en avant semblait nous laisser sur place, comme si le bâtiment lui-même n'était qu'une succession de blocs identiques reproduits à l'infini et encastrés les uns derrière les autres. Pas de fenêtres.

Juste le hurlement du silence, palpable et lourd comme un brouillard de glace. Encore des escaliers, devant. Puis d'autres couloirs… Finalement, l'assistant nous abandonna dans le bureau du directeur.

Trapu sous sa blouse de scientifique, l'homme de l'ombre parcourait un rapport massif dont je saisis le titre avant qu'il ne le pose, face cachée, sur son bureau : Techniques de débarking au laser de classe A.

« Débarking, ça veut dire désaboiement », me glissa Sibersky à l'oreille. « Un moyen moderne d'éviter que les chiens gueulent trop… »

« Avancez, je vous prie », nous lança d'une voix coulée dans le marbre l'individu à la mèche de cheveux rebelle. Tout de suite, je l'identifiai comme la réincarnation humaine d'un animal à sang froid, un reptile aux yeux de jade, à la peau rocailleuse, dépourvu de la notion de bien ou de mal. Ce type ne pouvait tenir d'autre place que celle qu'il occupait, directeur d'un laboratoire de vivisection.