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Le directeur rejeta sa mèche sur le côté d'un coup de tête, puis répondit : « Vous savez pertinemment que les opposés s'attirent… Vous trouverez leur bâtiment à trois kilomètres d'ici, en continuant le long de la route par laquelle vous êtes arrivés. » Sourire niais : « Pourquoi, vous allez porter plainte contre nous pour outrage à animaux ? »

À l'extérieur, Sibersky nargua le gardien, l'Épagneul, en faisant mine de lui jeter un os, puis me questionna : « Je n'ai pas bien compris pour la SPA. Pourquoi voulez-vous qu'on se rende là-bas ?

— Que JE me rende là-bas. Je te dépose au commissariat de Vernon. Collecte un maximum de renseignements. Peut-être nos collègues se sont-ils efforcés, en grands passionnés… », je lui décochai un sourire, « de retrouver ces types du FLA. Tu te feras raccompagner au 36 par l'un des brigadiers. Après, va faire un tour au quai de l'Horloge et donne aux techniciens une copie des cassettes. Ils pourraient découvrir des détails qui nous ont échappé. Il ne faut rien négliger…

— OK. Mais pour la SPA, vous ne m'avez toujours pas éclairé.

— Pour taire une intuition… Tu te souviens de la vieille Black, ma voisine ?

— La femme aux beignets de morue ?

— Oui. Elle pense avoir un certain don pour… deviner les choses… Elle me parle à chaque fois de chiens qui hurlent, qui gémissent dans ses pensées… » Je m'arrêtai de justesse à un feu rouge auquel je n'avais pas prêté attention. « Lorsque nous avons entendu ces cris, tout à l'heure, ça a fait comme un tilt. L'origine de ces hurlements vient de la souffrance qu'endurent les bêtes sous l'effet de la torture, aussi moderne soit-elle… La torture, comme celle infligée à cette femme sur les photographies. Tu sais quoi ? J'ai le sombre pressentiment que le tueur s'est entraîné sur des chiens avant de passer à l'acte grandeur nature… »

La SPA de Vernon abritait sous son arche plus de quarante-sept chiens et quelque soixante-douze chats. Le vétérinaire qui m'accueillit était un Sénégalais aux lèvres impressionnantes, tels des quartiers de pamplemousse. La peau aride de son visage peluchait au niveau des pommettes et du front, et ses yeux, au blanc plutôt cireux, laissaient penser qu'il avait attrapé une maladie fiévreuse, genre malaria.

Le cabinet sentait le mélange des races, une odeur de poils et d'oreilles infectées, imprégnée dans l'espèce de moquette faisant office de tapisserie. D'épais blocs de verre translucides constituant une vitre, permettaient à la chevelure verte des cyprès de s'exprimer dans une espèce de flou artistique.

« Qu'est-ce qui se passe, monsieur le policier ? » me lança le praticien avec un accent pas si lointain de celui de Doudou Camélia. Il avait la fâcheuse manie de glisser des w à la place des r.

« J'aimerais savoir si vous disposez d'un fichier regroupant les disparitions d'animaux de compagnie.

— Bien sûr. Le fichier national, qui recense les animaux perdus, abandonnés ou disparus. Comme vous vous en doutez, il ne prend en compte que les chiens tatoués.

— Et vous avez moyen de l'interroger ? »

Il se glissa derrière son ordinateur, un Macintosh dernier cri avec la pomme croquée à l'arrière de l'écran.

A voir ses lèvres et son front de la taille d'un terrain de football, je l'aurais imaginé avec des doigts énormes, mais ils étaient ciselés tels les instruments tactiles d'une jeune couturière et volaient avec aisance sur les touches du clavier.

« Annoncez-moi votre requête ! »

Un vent léger ballottait les feuillages des cyprès et la masse verte ondoyait au travers des pavés vitrés. Je me plaçai côté écran.

« Indiquez-moi les chiens et chats disparus dans le coin, entre le premier mai et aujourd'hui.

— Chiens ou chats ? Je dois choisir !

— Chiens…

— Chiens… Localisés à Vernon, sur un rayon de… disons trente kilomètres… Trente kilomètres, ça vous va ?

— Parfait. »

L'ordinateur moulina quelques secondes, la mémoire vive se chargea avant de rendre le verdict.

« Cent seize chiens disparus.

— Vous pouvez regrouper par ville et trier par ordre décroissant ?

— Attendez… F8… Voilà… »

Pas de flagrance. Au maximum quatre chiens disparus par ville ou village, sur des périodes de temps échelonnées et non ponctuelles. Aucun point commun. Rien.

« Vous pouvez essayer sur les chats ?

— C'est parti… »

Résultat pire encore. Inexploitable… Quelque chose me poussa à insister : « Vous pouvez refaire la requête avec les chiens, mais en étendant sur un rayon de soixante kilomètres ?

— On peut », répliqua le praticien. « Mais là, on commence à taper sur Paris et il risque d'y en avoir un sacré paquet… Je peux me permettre une remarque, monsieur le vénérable policier ? »

Ce type avait-il été battu par les flics dans une vie antérieure pour entretenir le culte de la crainte à ce point ? Ou alors les voyait-il comme des êtres suprêmes, des espèces de dieux moustachus débarqués sur Terre dans un panier à salade bleu ? Je m'exclamai : « Mais bien sûr, allez-y ! »

Il bascula sur l'écran précédent en pressant la touche F3.

« Je ne sais pas exactement ce que vous recherchez, mais si c'est un endroit à forte concentration de disparitions de chiens, c'est visible comme le nez au milieu de la figure ! Et je peux vous dire que mon nez se voit ! »

Mon cœur se souleva. « Montrez-moi ! »

Il pointa le doigt à quatre endroits différents sur l'écran.

« Quatre villages ou petites villes, séparés de pas plus de cinq kilomètres les uns des autres à une vingtaine de kilomètres d'ici, au sud. »

Des noms de bleds que je ne connaissais même pas. Il poursuivit, du feu dans son regard de braise. « Et… quatorze chiens disparus ! Sur une période de… qui commence le onze juin et qui se termine le deux juillet, soit moins d'un mois ! Quatorze chiens, moins d'un mois, dix kilomètres de rayon, ça fait beaucoup, non ? » A gros nez, flair exceptionnel. Je lui fis remarquer : « Vous auriez fait un flic remarquable ! »

Il s'embrasa : « Ne bougez pas, j'ai peut-être mieux à vous proposer… un point commun entre les races disparues ! »

La liste défila : Labrador… Labrador… Cocker… Labrador… Des chiens de bonne taille, doux et conciliants, à caractère naïf et faciles à maîtriser. Je demandai en considérant l'écran : « Savez-vous ce que sont devenus ces chiens ? Certains d'entre eux ont-ils été retrouvés ?

— Vous savez, monsieur le très vénérable policier, les gens ne nous consultent que lorsqu'ils perdent leurs chiens. Quand ils les récupèrent, par contre, ils omettent bien de nous le signaler. Nous n'avons aucun suivi sur ce qu'ils deviennent. Ce fichier national se transforme en une poubelle parce qu'il n'est jamais purgé.

— Une dernière question, vous qui avez l'air de connaître ce coin comme votre poche. Y a-t-il des laboratoires sur les animaux dans ces environs ? Des rabatteurs qui pourraient enlever ces chiens pour effectuer des expériences ?

— Non, pas à ma connaissance. Hormis HLS, le premier labo de cosmétiques se trouve à Saint-Denis. HLS ne travaille qu'avec des élevages de beagles. Et puis, les rabatteurs animaliers ne traquent pas ce genre de chiens, sauf si, bien entendu, ils en ont l'opportunité. Ils s'intéressent surtout aux bâtards des rues, à ces sacs à puces dont la disparition arrange plus qu'elle ne perturbe…

— Merci, monsieur N'Guyen. On peut dire que vous m'avez été d'un secours capital. Je peux récupérer les adresses des personnes qui ont porté plainte ? »

Il lança l'impression du rapport. « Pour me remercier, vous ne prendriez pas un petit chat ? J'ai huit euthanasies à pratiquer avant la fin de la semaine. C'est un peu comme si je tuais ma propre âme.