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Un officier de la police scientifique, Georges Limon, entra dans la pièce. « Nous en avons terminé », dit-il en prenant un gobelet en plastique. « Le légiste attaque son expertise. Vous pouvez le rejoindre.

— Alors ?

— On a de belles empreintes de pied. Du quarante-deux. On peut affirmer à présent qu'il s'agit d'un homme. On a aspiré la poussière du couloir souterrain et de la salle confinée pour analyses au labo. Nous avons récupéré des cheveux, des morceaux d'ongles et de fibres synthétiques, ainsi que quelques empreintes digitales. Ajoutez à cela la flèche anesthésiante qu'il n'a pas pris la peine de ramasser. Probablement expédiée par un pistolet vétérinaire, compact et puissant… On vous tient au courant.

— Et les chiens mutilés ? »

Une onde de dégoût fripa les sillons de son front. « C'est un putain de boulot ingrat ce que vous nous demandez là ! Trois techniciens ont le nez là-dedans… Autant remuer la merde d'une fosse à purin !

— Plus aucune trace du système vidéo ? »

Il jeta son gobelet vide sur le sol et l'écrasa du talon. « Non.

— C'est tout ?

— Bien sûr, c'est tout ! À quoi vous attendiez-vous ? À ce qu'il nous laisse sa photo encadrée avec un petit mot de bienvenue ? On analyse le reste de l'abattoir et l'extérieur. Cet endroit me répugne. Il pue la charogne à plein nez. »

Limon disparut avec la vivacité d'une lame dans le brouillard. « Pas très en forme, les gars de la Scientifique », lâcha Sibersky sans l'ombre d'un sourire.

Je me levai en direction de la porte. « Allons rejoindre le légiste… » Nous longeâmes dans un silence de pierre la salle d'abattage, descendîmes précautionneusement l'échelle par laquelle je m'étais engagé la veille, avant de rejoindre Van de Veld au bout du tunnel. « Je ne vous ai pas exposé ce que j'ai découvert », glissa mon lieutenant avant notre entrée dans la pièce, « mais ça peut attendre… Rien de déterminant de toute façon… »

J'acquiesçai, les yeux figés sur le cadavre de la femme. Je l'avais à peine regardée, une fois recouvrés mes esprits. À présent je la découvrais, morcelée par la cruauté blanche des puissants halogènes à batterie.

Williams pénétra dans la pièce comme dans une église. J'aperçus dans ses yeux la flamme vacillante des cierges, les reflets kaléidoscopiques de vitraux ogivaux, les larmes de la Vierge. Une magie s'opérait, une fusion fantomatique et je crus voir, le temps d'un souffle, certains de ses cheveux onduler, comme caressés par la main de Dieu.

« Il n'y est pas allé de main morte cette fois », râla Van de Veld. « Vous l'avez vraiment mis en colère, commissaire. Que pensez-vous de cela, madame Williams ? »

Elle répondit à contretemps, éprouvant toutes les difficultés pour se décrocher de l'espèce de voile spirituel qui l'enveloppait. « La colère n'est peut-être pas le seul motif d'un tel acharnement sur le visage », murmura-t-elle en se rapprochant de la chose morte. Ses pupilles fondirent en tête d'épingle sous les aplats de lumière.

« Quelle autre raison, alors ? » demanda le légiste en toisant discrètement Thornton, occupé à dresser un croquis rapide de l'agencement des objets et de la position de la victime.

« Il a préféré détruire ce qu'il avait construit parce qu'il n'a pas pu aller au bout de son fantasme. Une œuvre inachevée ne l'intéresse pas, il cherche la perfection, alors il a rejeté cet objet fantasmatique en le mutilant. »

Elle se plaça face à la bouche piégée par l'appareil stéréotaxique. « Pas de pièce ce coup-ci, évidemment… Cela me conduit à penser qu'il risque de recommencer bientôt, animé, comme vous dites, par la colère, mais aussi par le désir puissant d'aller cette fois au bout, dans un endroit tout aussi insolite qu'un abattoir… Dites-moi où se trouvait la caméra, commissaire.

— Ici, juste en face du corps. Elle reposait sur un trépied.

— Comment était l'éclairage ? Quelle partie du corps illuminait-il ? Le corps tout entier, juste la tête ? »

Je pointai un doigt vers le fond de la pièce. « Il y avait une lampe, genre lampe de chevet, de chaque côté du corps. Et une troisième derrière la caméra.

— Merci, commissaire… »

En m'immisçant dans son monde sans qu'il ne s'y attende, j'avais peut-être éveillé en cet être démoniaque une rage inouïe, une volonté de répandre le mal avec une détermination plus farouche. Comme cette boule de neige que l'on pousse dans une descente, qui soudain vous échappe des mains et grossit jusqu'à tout écraser sur son passage. Williams poursuivit en monologue. « Le tueur est passé d'organisé à désorganisé. Précipitation, panique, fuite. Ce qui peut nous laisser une chance. S'il agit désormais sous le coup de la vengeance ou de la colère, il commettra des erreurs grossières. »

Sibersky se positionna dans le faisceau de la lampe, éclipsant la partie claire de nos visages et demanda d'une voix non ménagée : « Vous voulez dire que nous devons attendre de prochains meurtres pour espérer mettre la main dessus ? »

Thornton s'apprêtait à parler, mais Élisabeth le devança.

« J'espère que non ! C'est d'ailleurs mon rôle, autant que le vôtre, de tout faire pour éviter cela. Mais sachez que les tueurs en série agissent sans mobile apparent. Ils n'entretiennent aucune relation avec les victimes, contrairement aux tueurs de masse. Ils peuvent se tapir dans l'ombre des mois, voire des années, puis recommencer. Nous sommes tombés sur un arpenteur de bitume, un voyageur qui n'hésite pas à se déplacer, ce qui ne nous donne aucune indication géographique. Il travaille sur plusieurs victimes à la fois, celle-ci, Prieur, et rien ne nous permet d'affirmer, à l'heure actuelle, qu'une autre fille ne se trouve pas dans une situation similaire, quelque part au fond d'une forêt ou dans des entrepôts désaffectés, loin, très loin d'ici. A ce stade, la platitude de la vie ne l'intéresse plus. Les fantasmes prennent une telle importance que plus rien d'autre ne compte. Il est totalement voué à son obsession. » Elle orienta un regard appuyé dans ma direction. « Vous êtes intelligent, commissaire Sharko, mais si vous vous trouvez ici, c'est parce qu'il a bien voulu vous communiquer des éléments directeurs, même si, je pense, vous l'avez bluffé…

— Votre rôle consiste-t-il aussi à nous faire perdre espoir ? » répliquai-je avec froideur.

« Non, juste à vous faire prendre conscience qu'un tueur en série ne se comporte pas comme un tueur classique. Je veux vous faire réfléchir autrement. Nous devons nous efforcer de penser comme lui, non pas en termes de mobile, mais plutôt en termes de lien caché, de logique, SA logique, qui fait de ces meurtres une chaîne unique, répondant à quelque chose de concret. Si nous découvrons ce quelque chose, nous aurons un profil psychologique précis du meurtrier… »

Après avoir ôté l'appareil stéréotaxique, Van de Veld écarta d'une pince les mâchoires de la victime. Une petite dent gâtée s'effrita avant de tomber en morceaux sur le sol. « Bon, allons-y. Érosion buccale, dents très abîmées, pourrissantes. Peau du visage sèche, joues creuses, yeux enfoncés dans les orbites, chute des cheveux. » Il se décala vers le bas du corps et lui cassa un ongle. « Ongles striés, violacés, cassant net. Membres en baguettes de tambour… Nombreux œdèmes de carence sur la totalité du corps… Hanches saillantes, fesses totalement effacées, disques de la colonne visibles… Bordel, cette fille doit peser à peine quarante kilos ! À voir la taille des œdèmes, les vergetures, les plis pendants de peau et son incroyable élasticité, elle devait, à l'origine, être plutôt bien portante… »