Выбрать главу

P-S : Il faudra que tu penses à me laisser ton numéro de portable. Tu es injoignable…

Amicalement, Thomas S.

Les colères de Leclerc, mémorables, nous rappelaient, ô combien, que les murs de la Crim' manquaient d'épaisseur. Quand il piquait une crise, une onde de choc secouait les couloirs… De sombre idiot, je devins irresponsable et les années défilèrent au fur et à mesure des phrases, quand je passai de jeune incompétent à vieux con. Mais Leclerc changeait comme la marée ; à bout de mots, la gorge en feu à trop crier, il m'annonça qu'il trouvait mon action courageuse et menée avec une certaine efficacité. Il me remit un dossier d'enquête dressé par le SRPJ de Nantes avant de disparaître derrière des volutes grisâtres, une cigarette écrasée entre les lèvres.

« Ils ont de nouveaux éléments sur Gad ? » lui demandai-je en m'écartant du halo de fumée.

« Non, à part la déposition de ce type, on n'a pas l'ombre d'un pet. L'autopsie du corps n'a pas été autorisée. De toute façon, après plus de deux mois… En conclusion, absolument rien ne nous permet de rejeter la thèse de l'accident. Cette fille n'était pas une sainte, comme tu pourras le voir dans le rapport, mais la loi n'interdit pas les penchants pervers et les gâteries au goût de cuir. Elle gardait sa vie privée si secrète qu'il nous est difficile d'obtenir la moindre piste. Factures de téléphone, que dalle. Voisinage, que dalle. Amis et famille, que dalle. Aucun hôtel réservé à son nom sur Paris, les dépenses par carte bleue n'ont rien révélé de spécial, si ce n'est des retraits importants dans le distributeur d'argent de la gare Montparnasse… Les habitués du train ont été interrogés, certains se souviennent juste de son visage, sans plus. Gad était une ombre dans le brouillard. Je compte sur toi pour me clarifier ce bordel, et le plus rapidement possible…

— Je ferai de mon mieux… Dites-moi, Thornton va nous coller au train longtemps ?

— Il est là en observateur… Il évalue le travail de Williams. C'est l'une des premières fois où la police travaille avec un profiler, alors tu comprends, le juge Kelly est sceptique.

— Parce que vous croyez que Thornton est capable d'évaluer autre chose que son trou du cul ? »

Le téléphone de Leclerc sonna et je sortis, le maigre dossier sous le bras.

Je m'enfermai dans mon bureau, en chassai une pile de feuillets sur l'extrémité et, la tête entre les mains, parcourus les pages du rapport. La déposition de l'ingénieur de carrière restait, de loin, le passage le plus concret.

… Rosance Gad m'intriguait et me fascinait. Elle était assez renfermée, discrète, et je ne me souviens pas avoir souvent entendu le son de sa voix au travail. Elle aurait pu passer pour une petite fille modèle, méticuleuse, très appliquée dans ses tâches quotidiennes. Mais les Docteur Jekyll et Mister Hyde existent. Et quand vous tombez sur l'un, vous ne pouvez plus vous défaire de l'autre.

Je soulignai Docteur Jeckyll et Mister Hyde, songeant alors à l'Homme sans visage, le malin de Doudou Camélia, il est partout, il est nulle part, il te surveille… et je me remis à lire la suite.

Je tiens à rappeler que je n'ai jamais eu le moindre rapport sexuel avec cette fille…

La première fois que nous avons passé la soirée ensemble, c'est resté assez soft. Elle m'a menotté, a joué avec mon sexe, m'a infligé de petits coups de fouet sur le torse et les fesses. Bien entendu, quand je dis soft, tout est relatif à la suite. Elle m'a piégé. Je suis devenu accro, dingue de ses jeux étranges. Plus nos rapports devenaient violents, moins je pouvais me passer d'elle. Je ne sais pas, on aurait dit qu'elle était capable de contrôler mes sensations, mes perceptions, au point de me rendre esclave. Un esclave de la douleur… Nous nous voyions deux fois par semaine, en début de soirée et cela a duré plus d'un mois. Je prétextais à ma femme des réunions ou des repas d'affaires avec d'importants clients de la région.

Vous allez me prendre pour un fou, un malade sexuel, pourtant il n'en est rien. J'aime ma femme plus que tout ; je crois que Gad n'était rien d'autre que la réincarnation d'une brûlure sexuelle se nourrissant de la souffrance qu'elle provoquait.

On me force à énumérer les actes qu'elle pratiquait. Les voici. Des menottes, elle est passée au ligotage. Je ne sais pas où elle apprenait tout ça. De toute façon, elle me bâillonnait tout au long de l'acte, et j'avoue que je n'ai jamais pensé à lui poser la moindre question. J'en étais incapable… Tortures à base d'épingles à linge et de pinces crocodile. Brûlures à la cire sur la totalité du torse. Pressions plus ou moins fortes au niveau de la carotide. Parfois je partais et je revenais, à demi conscient, avec une impression de béatitude extrême… Pissing, c'est-à-dire qu'elle m'urinait dessus. Certainement l'acte que je détestais le plus…

Sur la fin, elle m'a proposé de filmer notre relation. Elle voulait me mettre une cagoule et tourner avec un caméscope les actes sadomasos. Elle me disait que je pouvais gagner beaucoup d'argent et, de toute façon, jamais on ne verrait mon visage. J'ai refusé, ça l'a mise en colère, et ce soir-là, elle m'a fait vraiment mal… Elle est morte le surlendemain…

Je posai le rapport ouvert devant moi et me plaquai contre le dossier de mon siège, la tête rejetée vers l'arrière. L'ange qui dissimule le démon chez Gad, l'homme qui cache la bête féroce chez l'assassin, le tout sur un tapis de cruauté et de vice. Un lien étroit se tissait entre ces deux êtres, leurs destinées s'étaient croisées, emmêlées, torsadées et, de cette alchimie bouillonnante, avait jailli la mort. Le fil était brisé ; l'une des extrémités pourrissait sous terre et l'autre se baladait librement, au gré d'un vent de terreur. Je composai le numéro interne de Sibersky, le priant de me rejoindre dans le bureau. Il se présenta dans la minute.

« Commissaire, je suis désolé… pour mon comportement à l'abattoir… Mes nerfs ont lâché… J'ai… j'ai pensé à ma femme, à ce moment-là… »

Je lui fis signe de s'asseoir. « Tu n'as pas de honte à avoir… Ils t'ont donné des renseignements, au commissariat de Vernon, au sujet d'HLS et du FLA ?

— Sur le Front de Libération des Animaux, surtout. Le FLA s'organise grâce au réseau Internet et par échange d'informations sur des serveurs protégés par mots de passe. De nouveaux membres, les juniors, accroissent sans cesse les effectifs, mais seuls les seniors ont accès aux données sensibles, lieux de rendez-vous, prochaines cibles, plans d'action…

— Qu'appelles-tu seniors ?

— Des anciens qui ont fait leurs preuves dans des actions antivivisection ou des interventions au profit des animaux. Genre, libérer les cigognes des zoos. Des fanatiques pacifiques, voués à une cause noble.

— Facile de devenir junior, d'adhérer au mouvement ?

— Pas vraiment. L'inscription d'un nouveau dépend d'un parrain, déjà membre du FLA, chaque parrain étant responsable de son filleul. Les taupes qui tentent de s'introduire dans le mouvement sont ainsi très rapidement détectées… Le réseau est très mobile. Les sites changent souvent de serveur. Au sein de cette organisation, se mêlent des experts en systèmes d'information, en sécurité et en techniques de piratage… Autant dire qu'ils sont insaisissables…