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« Sibersky ! Qu'est-ce qui se passe ? Parle, bon Dieu ! »

Souffle taraudé au bout du fil, puis plus rien.

Je composai le numéro du SAMU tout en me propulsant dans l'ascenseur.

Jamais, de toute ma vie, je ne mis si peu de temps pour parcourir quinze kilomètres en banlieue parisienne. J'ignorai les feux tricolores, les lignes blanches, les panneaux de signalisation. La phrase prononcée par la femme de Sibersky trottait dans ma tête et je priais, priais de tout mon saoul pour que… Prenez soin de lui, nous formons une famille… Prenez soin de lui, nous formons une famille…

Lumière éteinte dans son appartement, au second. Je chevauchai les volées de marches dans un rythme à m'éclater les artères et les poumons. L'ambulance n'était pas encore arrivée. Aucun verrou ne retenait la porte, alors j'ouvris d'un coup sec. D'un mouvement circulaire de Glock, je balayai l'entrée, me précipitai dans la cuisine, puis dans la chambre.

Je le découvris, gisant sur le sol, sa main ensanglantée repliée autour de son téléphone portable. Des bulles de salive s'écoulaient de sa bouche ouverte, ses pupilles fixaient le plafond. Je ne sus pas qui remercier lorsque je perçus la palpitation de son cœur au bout de mes doigts. Pouls régulier, respiration cadencée. Je glissai doucement une main derrière sa nuque et un filet de sang s'évada de sa narine droite. Ils l'avaient arrangé au point de rendre son visage quasi méconnaissable, mais ils l'avaient laissé en vie, de plein gré. Je retournai son armoire à pharmacie, accrochée dans les toilettes, en extraiyai de l'eau oxygénée, du Dakin, des bandages. L'odeur de l'antiseptique le fit revenir à lui.

« N'essaie pas de parler », lui ordonnai-je. « Les secours vont arriver dans quelques instants… »

Je lui passai de l'eau fraîche sur le front. « Ça va aller… »

Trois hommes, blousons siglés SAMU, se présentèrent cinq minutes après. « Il est salement amoché, leur annonçai-je, mais il est en vie. »

L'un d'entre eux posa un masque à oxygène sur le visage et ballonna. « La gorge est gonflée, mais ça passe… Pouls de quatre-vingts. TA. de 12-8. Mais qu'est-ce qui s'est passé ?

— Il s'est fait agresser. »

Sibersky m'agrippa le poignet, chassa le masque de l'autre main et souffla : « Deux… Ils m'ont surpris… dans mon sommeil… pas vu leurs visages… des cagoules noires… Donnez-moi quelque chose… J'ai mal… la mâchoire…

— En route ! » lança un urgentiste.

En sortant, j'appelai le commissariat local tout en examinant la serrure. Rien n'avait été forcé…

J'obtins la permission de m'installer à ses côtés, à l'arrière du véhicule, pour accompagner Sibersky à l'hôpital.

« Qu'est-ce que ces gars voulaient ? Pourquoi l'agression ? Des voleurs ? »

Il articulait difficilement au travers de ses lèvres boursouflées, mais les sons sortaient audibles. « Ils m'ont… demandé pourquoi… on venait mettre le nez dans… leurs affaires… C'était… un avertissement… J'ai peur… commissaire… J'ai peur pour ma femme et mon fils… »

Les pulsations cardiaques indiquèrent le nombre de cent cinquante sur l'électrocardiogramme. Le médecin me fit signe d'y aller doucement. « Que t'ont-ils dit d'autre ?

— Rien… Je… leur ai demandé s'ils savaient… que les bisons pissent sur l'herbe à vodka… » Il m'adressa un sourire empourpré du sang des gencives. « Alors… ils m'ont salement amoché…

— Tu as pu remarquer quelque chose ?

— Il faisait noir… Et ils m'envoyaient le faisceau de leur lampe… dans les yeux…

— Comment sont-ils entrés chez toi ?

— Pas fermé la porte à clé… après votre départ… »

Il me prit la main et la serra avec le peu de forces qu'il lui restait. « Ne dites rien… à ma femme… Pas cette nuit… Laissez-la dormir en paix, avec… le petit… Charlie… »

Prenez soin de lui, nous formons une famille… Prenez soin de lui, nous formons une famille…

— Je te le promets… J'irai la voir demain matin… »

Il finit par fermer les yeux, laissant les sédatifs légers l'emmener loin de ce monde pourri.

Les radiographies ne révélèrent aucune fracture. Le nez avait tenu le choc, l'os ayant déjà été brisé dans la jeunesse du lieutenant. Seule la mâchoire inférieure avait réellement morflé, avec deux dents cassées et des gencives dans un sale état. Une fois hors de la salle de suture, il fut placé dans une chambre particulière et je tuai la nuit à ses côtés, bouillonnant de haine…

La tâche d'annoncer la nouvelle à sa femme ne s'avérait pas des plus simples, mais je tenais à le faire moi-même. Quand je pénétrai dans la chambre de maternité, à sept heures du matin, elle comprit sur-le-champ. Elle s'embrasa de pleurs, envisageant le pire d'emblée.

Le bébé frémit, puis se rendormit calmement dans son petit lit à roulettes, aux côtés de sa mère. Instinctivement, il se mit à téter. « David va bien… Ne vous mettez pas dans cet état…

— Que… Que…

— Il a été agressé cette nuit, à votre domicile. On l'a emmené aux urgences et, à présent, il est réveillé. Je vous laisse le soin de vous préparer et je vous conduis à lui. Il se repose dans l'aile des soins intensifs. Vous pouvez prendre le petit avec, son père sera heureux de le voir… »

Elle ne m'adressa qu'un mot, sur un ton qui aurait fendu en deux un iceberg. « Pourquoi ?

— C'est une longue histoire… Je vous raconterai, dès que vous serez habillée… »

Chapitre onze

À présent, il me fallait des réponses. Et vite. Au 36, je fonçai dans le bureau de Delhaie, l'inspecteur à qui j'avais demandé de disséquer le listing des étudiants de l'enseignante agressée. De toute évidence, il n'avait, lui non plus, pas fermé l'œil de la nuit. Suite à ma requête, Rémi Foulon, le patron de l'OCDIP, lui avait laissé libre accès au fichier des abonnés téléphoniques. « Commissaire, j'ai fini il y a à peine une demi-heure. Quatre cent soixante-dix élèves, quatre cent soixante-dix recherches dans le fichier…

— Et alors, qu'est-ce que ça a donné ?

— Sur les quatre cent soixante-dix élèves, deux cent soixante-douze possèdent une ligne Internet classique ; cent cinq, une ligne haut débit. On aurait dû s'en douter, puisque l'école dispense les nouvelles technologies.

— Bon sang ! Si l'on ne compte que les garçons, ça nous ramène à combien ?

— Il n'y a que cinquante-quatre filles en tout et pour tout, à l'ESMP. Je n'ai pas fait la distinction, mais ça ne doit pas enlever grand-chose… Nous ne sommes pas très avancés, n'est-ce pas ?

— Tu as regardé aussi par rapport à la localisation géographique ? Quels sont ceux qui habitent dans le coin de Violaine ?

— Je n'ai pas eu le temps…

— Continue, alors ! Il faut en éliminer le plus possible, ou on ne s'en sortira pas… Après, tu passeras à la piscine de Villeneuve-Saint-Georges. Interroge le personnel, vois s'ils ont la liste de leurs abonnés stockée informatiquement quelque part. Et recoupe les informations. L'agresseur fait forcément partie de l'environnement quotidien de Violaine… Ah ! Autre chose… Tu photocopies le listing des étudiants et tu le distribues à Jumont, Picard et Flament. Tu me sors la liste des bibliothèques situées dans le quartier de l'école d'électronique et tu y envoies les inspecteurs. Qu'ils vérifient si ces étudiants n'y disposent pas de carte d'abonnement et, au cas où, qu'ils épluchent leurs lectures… Comme dit Williams, l'agresseur a forcément puisé son inspiration quelque part… Bien compris ?