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— Je risque de venir faire un petit tour cette nuit. Pas d'embrouilles, surtout. J'espère que notre ami commun sera là, parce que, dans le cas contraire, je crois que je vais vraiment m'énerver !

— Faudra que tu règles tes affaires dehors », répliqua la femme. « T'entres pas ici, on ne veut pas d'emmerdes. Alors planque-toi dans la rue, fais ce que tu veux, mais t'entres plus ici. OK, on ferme notre gueule. Le type viendra ce soir. T'as la photo, tu lui tombes dessus avant qu'il n'entre, mais tu nous mets pas le boxon ? Ça te va comme deal ?

— Ça me paraît honnête… Ne me mettez pas de bâtons dans les roues… Ou alors je reviendrai et ça pourrait faire très mal… » Je disparus en claquant la porte derrière moi.

*

Je profitai de l'heure de midi pour avaler rapidement un club-sandwich, installé dans le vieux fauteuil de cuir qui traînait dans un coin de mon bureau. Je l'avais acheté à une brocante et son état de vétusté avait provoqué les foudres de Suzanne, qui avait refusé que j'installe un laboure-fesses dans le salon. Du coup, il avait fini ici, à mes côtés, dans ce bâtiment aussi vieux que le siècle passé. Mon esprit s'apprêtait à voguer sur les flots bleus du sommeil, quand Crombez entra, les coudes calés dans des béquilles.

« Alors, tu t'habitues ? » lui demandai-je en désignant les béquilles d'un coup de tête.

« Il faut bien. Chaque fois que je me déplace, j'ai l'air d'un type qui a envie de pisser à mort mais qui ne peut pas ! » Il tendit un sourire qui s'estompa aussitôt. « Je viens au rapport…

— Tiens, prends ma place.

— Si je m'assieds là-dedans, je ne pourrai jamais me relever », constata-t-il avec justesse. « On dirait une trappe à souris en cuir. Ça va aller, je reste debout. Vous avez l'air dans un état pire que le mien. Les poches sous vos yeux ressemblent aux sacoches du vélo de ma mère… »

Il posa son fessier sur mon bureau. « Concernant Compiègne, tout a cramé, il ne reste qu'un tas de cendres. On n'a retrouvé que les os carbonisés de votre voisine… Rien n'est exploitable. Seule la cave a été épargnée, avec toutes ces bêtes empaillées… Par contre, le SEFTI est enfin sur une piste !

— Raconte !

— Les webcams étaient reliées à une ligne téléphonique. A partir de là, ils ont remonté jusqu'au fournisseur d'accès de Marival. Elle y hébergeait son site. Via la ligne téléphonique, les images des webcams étaient déposées sur Internet.

— Tu as pu aller sur le site ?

— Vous vous doutez bien ! C'est une page personnelle comp… »

Je l'interrompis et me dirigeai vers mon ordinateur portable. « Montre-moi ! »

Il tapa http ://10.56.52.14/private.

Une page se dessina à l'écran, avec des liens, des encarts de texte, de petites animations.

Crombez reprit : « Chaque lien représente l'une des pièces de sa maison. Bien entendu, cela ne fonctionne plus, puisque le courant a été coupé ; par conséquent, le flux d'images, de son domicile vers le fournisseur d'accès, a été interrompu. Le site dispose aussi d'un forum, d'un chat où les internautes peuvent dialoguer en direct et de diverses pages personnelles où Marival exposait ses idées et postait des messages. »

Je cliquai aux endroits qu'il m'indiquait.

Il poursuivit. « Marival n'était pas boulimique, comme l'avait annoncé Dead Alive, mais elle se nourrissait extrêmement mal. Que des trucs gras ou sucrés, qui font qu'elle grossissait régulièrement. Voici une photo d'elle, il y a moins d'un an… » Il me prit la souris des mains et cliqua sur une icône. Une autre fenêtre s'ouvrit. Mes yeux s'écarquillèrent. « Sainte Marie ! Mais elle devait bien peser…

— Quatre-vingt-treize kilos exactement. Elle l'a indiqué dans le texte sous la photo… Difficile à comparer avec le squelette retrouvé dans l'abattoir, à peine plus lourd qu'un sac de pommes de terre… Vous imaginez l'énergie déployée par le tueur pour la maintenir en vie plus de cinquante jours ? Pour l'amaigrir à ce point, en la nettoyant régulièrement, l'hydratant au strict minimum ?

— Sans oublier que ça ne l'a pas empêché de s'occuper de Prieur…

— Le dernier fichier transmis sur le serveur Web date exactement de cinquante-quatre jours, date probable de l'enlèvement. » Il ferma la fenêtre, tapa une autre adresse dans le navigateur principal, y saisit un identifiant et un mot de passe à l'invite. Il poursuivit : « Et maintenant, voici sa boîte aux lettres.

— Tu as l'air de t'y connaître autant que Sibersky ! Je ne suis plus dans l'air du temps ou quoi ?

— Mon frère a toujours été un mordu d'informatique. Lorsque nous étions à la maison, plus jeunes, il m'a appris pas mal de choses… Disons que je me débrouille et que je suis abonné à quelques revues… Voilà… Tous les messages qu'elle n'a pas supprimés sont là. J'en ai lu un paquet… Et devinez qui se distingue dans son carnet d'adresses ?

— Prieur ?

— Exactement ! martine.prieur@octogone.com.

— De quoi discutaient-elles ?

— A votre avis ?

— Sadomasochisme ?

— Dans le mille. Tortures sexuelles, ligotage, fétichisme, bref, toute la panoplie de la parfaite dominatrice. D'après ce que j'ai pu lire, toutes les deux entretenaient des relations purement virtuelles avec de nombreux partenaires… L'ère moderne de l'Internet… »

Il dirigea la petite flèche de la souris vers le dossier Personnel, puis contacts. Une liste sans fin de pseudonymes se déroula. « Voilà tout le beau monde avec qui elle discutait. Des relations purement fantasmagoriques. Avec ses webcams, elle rendait apparemment ces types fous, ils devaient se branler en masse devant leurs ordinateurs à chaque fois qu'elle se mettait à poil, en dépit de son poids. Les propos échangés sont obscènes… Elle parle aussi très longuement des tortures infligées à ces animaux que nous avons retrouvés à la cave. Vous aviez vu juste, commissaire…

— Sur quel point ?

— Marival n'était pas une sainte. »

Je déplaçai le curseur qui se transformait en petite main chaque fois que je survolais un message. « Tu crois que le tueur pourrait faire partie de ces types ?

— Possible. En tout cas, ce site a dû fortement l'aider pour préparer son coup. Comment mieux connaître les habitudes d'une femme qu'en l'observant jour et nuit par caméra interposée ? »

Il piégeait ses victimes en se servant de la Toile. Il connaissait les secrets de leurs vies, de leurs fréquentations, de leurs plannings.

Peut-être avait-il entretenu des relations purement virtuelles avec Gad, Prieur, Marival ? Il avait obtenu d'elles des aveux, d'intimes confessions et il les avait ensuite punies parce qu'elles vivaient dans le péché, dans la déchéance, dans un monde sali par le regard d'autrui.

L'Homme sans visage ne supportait pas le vice, alors il l'appliquait lui-même pour sanctionner son prochain, comme un justicier. Il les torturait, les tuait, puis effaçait les données de leurs ordinateurs pour gommer les traces.

Je me décrochai du fer-chaud de mes pensées et dictai à Crombez : « Il va falloir que tu m'épluches ces messages au microscope. Je vais essayer d'en lire un maximum aussi, mais j'ai quelques affaires à régler auparavant. Colle deux ou trois personnes dessus.

— Très bien. Mais le SEFTI est déjà très actif. Ils doivent récupérer le disque dur chez l'hébergeur pour analyser toutes les données qu'il contient.