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— OK. Nous avançons enfin… A-t-on relevé des marques à l'endroit où était embusquée la voiture ?

— Oui. Les empreintes ont été moulées puis remontées au labo. Dessin et largeur des pneus classiques. Aucune trace de peinture relevée dans les environs. Au fait, il y avait bien une petite route qui menait directement à la demeure… Mais nous sommes arrivés par l'autre côté, le mauvais. Désolé pour vos chaussures…

— Laisse tomber… Tu as interrogé les parents ou l'entourage de Mari val ? »

Crombez agita son bras engourdi et fit rouler sa tête pour détendre les muscles de son cou. « Elle n'avait pas beaucoup de famille. Sa mère n'a pas voulu s'occuper d'elle à la naissance et son père a fichu le camp… Alors ce sont ses grands-parents qui ont pris le relais. Mais les vieux ne la voyaient plus beaucoup. Marival était une femme très renfermée, solitaire, Petite, elle restait souvent cloîtrée dans sa chambre à disséquer des insectes, raconte le patriarche. Elle avait toujours voulu faire médecine…

— Et pourquoi n'est-elle pas allée au bout ?

— Ses résultats… Elle était incapable d'apprendre… Elle a tenu trois ans parce qu'elle obtenait de bonnes notes lors des travaux pratiques, probablement aidée par Prieur. Quand Prieur a fichu le camp, ses notes sont devenues catastrophiques… Alors son grand-père a pris sa préretraite pour lui laisser sa place dans cet endroit maudit… »

L'histoire, à présent, se fondait dans un moule logique. Élisabeth avait raison. Le tueur retrouvait, grâce à Internet, celles qui propageaient la douleur et leur infligeait le même sort, sous l'égide de Dieu. Je songeai aussi à Julie Violaine, l'enseignante, qui débarquait au milieu de ce beau merdier comme un cheveu sur la soupe. Quel rôle pouvait-elle bien tenir dans l'histoire ? Une fille à l'apparence nunuche ne disposant même pas d'un accès Internet, loin, si loin de Prieur ou de Gad…

Mon portable vibra. Je décrochai… « Tu penses à moi, mon ami ? » Je me ruai derrière mon bureau, récupérai un dictaphone dans mon tiroir et le déclenchai aussitôt, tandis que Crombez s'approchait de moi, tendant l'oreille. Je lui fis signe de déguerpir et je fermai la porte.

« Qu'est-ce que tu as fait à ma femme ? »

Voix de vieil homme défilant au ralenti. « Je vois que tu as bien reçu mon petit message dans le parking. Tu es très perspicace…

— Dis-moi si elle est toujours en vie !

— C'est moi qui donne les ordres, fils de pute ! Ne me dicte pas ce que je dois faire !

— Dis-moi juste… »

Il raccrocha. « Merde ! » L'envie me prit de projeter mon portable sur le mur mais je me retins au dernier moment. Avais-je bousillé les chances qu'il m'appelle à nouveau ? Je me mis à user le parquet d'allers et retours silencieux durant lesquels, j'en étais persuadé, ma tension nerveuse aurait explosé n'importe quel tensiomètre.

Je devais adopter une approche différente. Il souhaitait parler, mais uniquement de ce qu'il avait décidé. Il fallait lui donner cette impression de domination qu'il souhaitait ressentir. Chaque mot, chaque phrase, sa façon de communiquer, ses intonations, même au travers du truqueur de voix, constituaient des indices importants. Le temps s'écoula… un millénaire… avant que la sonnerie ne me percutât à nouveau le tympan.

« Estime-toi heureux que je te rappelle ! Encore un coup comme ça et tu n'entendras parler de moi que par cadavres interposés. Compris ?

— J'ai compris.

— Encore une fois, nos chemins, nos destins se sont croisés, avec une légère avance pour moi cependant. Comment se fait-il que tu arrives toujours derrière ?

— Je… Je ne sais pas… Il y a bien un jour où nous allons enfin nous rencontrer…

— Mais moi, je t'ai déjà rencontré ! Tu aurais déjà oublié l'abattoir ?

— Non, bien sûr que non… Je voudrais juste te voir en face de moi, en chair et en os. Découvrir ton vrai visage, découvrir qui tu es réellement, découvrir qui se cache derrière ces actes abominables. »

Sons de canard enroué. « Abominables ? Et c'est moi que tu traites de bourreau ? Qui es-tu, pour oser me dire ça, à moi ? Pour qui te prends-tu ?

— Je suis celui qui te traque, celui qui va hanter tes nuits jusqu'à la fin des temps. Je ne te lâcherai jamais !

— Je ne sais pas qui hante les nuits de l'autre, mais je dois t'avouer que je n'ai pas beaucoup pensé à toi ces derniers temps. J'étais un peu occupé, si tu vois ce que je veux dire.

— Non. Je ne vois pas. Explique-moi.

— Cesse de faire le malin ! Tu en as pensé quoi, du coup de la vieille Noire ? Pas mal, non ?

— J'ai compris pourquoi cette femme te faisait si peur. Mais cette fois, c'est toi qui es arrivé trop tard.

Percée du silence. Franges d'hésitations. Changement de voix, plus grave encore. Un pavé qui coule. « Pourquoi ? Dis-moi pourquoi ?

— Tu lui as découpé le cerveau parce que tu ne comprenais pas l'origine de sa connaissance. Qu'espérais-tu découvrir à l'intérieur de son crâne ? Une explication ?

— C'est moi qui pose les questions ! Que sais-tu que j'ignore ?

— Beaucoup de choses. Parle-moi de ma femme, et je te dirai ce que tu veux entendre. »

Silence. Puis… « Tu bluffes », bava la voix. « Crois-tu en Dieu ?

— Pas réellement. On ne peut pas dire que Dieu me soit d'un grand secours.

— Et au Diable ? Dis-moi si tu crois au Diable !

— Pas plus qu'à Dieu.

— Tu devrais, pourtant… Au fait, tu veux que je te parle de ta femme ? De ta pute de femme ? Si ça peut te rassurer, elle est en vie, mais je crois que si je te racontais ce que je lui fais, tu préférerais qu'elle soit morte… »

Je fus incapable de dire si j'éprouvais de la peine ou du soulagement. Je le savais, j'avais toujours su que Suzanne se trouvait encore en vie, mais l'annonce qu'il me fit eut le même effet qu'un poignard planté depuis longtemps dans la chair et tourné pour agrandir la plaie. La voix reprit, une octave plus basse. « Je te trouve bien silencieux d'un coup ? Tu ne veux pas savoir pour ta femme ?

— Je… Je ne suis pas sûr…

— Eh bien, je vais te raconter un peu. Je la viole tous les jours. Un peu réticente au début, mais maintenant ça va mieux, beaucoup mieux. Tu ne peux pas savoir combien les gens sont conciliants pour peu qu'on leur fasse mal…

— Espèce de fumier ! Je te tuerai ! »

Long, très long rire. « Mais la mort ne représente rien ! Crois-tu que ma mort ramènera à la vie toutes celles qui sont passées entre mes mains ? As-tu pu imaginer une seule seconde ce qu'ont enduré ces femmes ? Et tu crois que ma mort pourra rattraper tout ça ? Tu es impuissant, vous l'êtes tous ! Tu ne peux rien contre moi, absolument rien ! Et maintenant, je vais aller m'envoyer ta pute ! Après, j'aviserai… Je finirai peut-être par m'en débarrasser… Elle me monopolise un peu trop de temps… Mais ne t'inquiète pas, avant qu'elle meure, je lui pardonnerai… »

Plus rien… Je m'écrasai dans le vieux fauteuil, rembobinai le dictaphone et repassai la bande, encore, encore et encore. Suzanne vivante… survivante… Je fis tout pour penser à autre chose, pour ne pas imaginer les terribles châtiments qu'il lui infligeait quotidiennement… Je la viole tous les jours… Puis vinrent à nouveau à moi ces odeurs d'eau croupissante, ces images vertes de marécages, brouillées par les bruissements des ailes de moustiques… Ta pute de femme… J'avais l'impression que ma tête gonflait de l'intérieur, que ma cervelle allait presser les os du crâne jusqu'à tout faire exploser. Je m'imprégnais de chacune des phrases qu'il avait prononcées… je crois que si je te disais ce que je lui fais, tu préférerais qu'elle soit morte…