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— Pardon ? » lança-t-elle en revenant vers nous.

Crombez sursauta mais pas autant que moi. D'un mouvement de tête, je lui fis comprendre que notre conversation ne la concernait pas.

La surface habitable de la chambre universitaire équivalait à celle de mon appartement, si ce n'est que tout ce qui se trouvait ici, mobilier, hi-fi, vidéo, coûtait trois fois plus cher que chez moi.

Crombez admira : « Il ne s'embête pas ce type ! Vous avez vu l'écran à plasma accroché au mur ? Ça vaut dans les huit mille euros, un joujou pareil…

— Fouille la chambre et la salle de bains. Je m'occupe du salon. »

Crombez effectua une rotation complète sur une seule de ses béquilles, comme un acrobate.

« On cherche quoi ? » demanda-t-il dans la foulée.

« Tout ce qui pourrait nous rapprocher de la vérité… »

J'ouvris les portes du meuble de télévision, après m'être occupé de son verrou, et découvris une quantité incroyable de cassettes et de DVD. Des films de guerre, comme Pearl Harbor ou II faut sauver le soldat Ryan, des comédies, des films policiers et une belle pilée de films pornographiques à dominante sadomasochiste, signés Torpinelli. Au fond du salon, je bus des yeux les différentes couvertures des ouvrages qui écrasaient de leurs connaissances les planches des armoires en chêne. Mécanique quantique, thermodynamique, topologie, sciences humaines et sociales… Du baratin d'étudiant.

À gauche, dans l'angle du salon, un ordinateur dernier cri à l'écran aussi plat qu'un timbre. Je voulus l'allumer mais une grille interdisait l'accès à l'interrupteur. J'examinai la serrure, glissai la lime à ongles que j'avais l'habitude d'emporter avec moi et obtins gain de cause en quelques secondes. Je pressai le bouton, attendis, mais l'ordinateur bloqua au moment de lancer le système d'exploitation. L'écran devint bleu, une liste impressionnante défila, fichier introuvable, fichier introuvable, fichier introuvable…

Toutefois, malgré mon dépit profond, je constatai que le comportement du PC était différent de celui de Gad ou de Prieur. Cette fois, le disque dur n'avait pas été formaté, mais les fichiers avaient probablement été effacés en utilisant le système d'exploitation.

Lorsque Crombez me rejoignit, je lui demandai : « Alors, qu'as-tu découvert ?

— Côté vêtements, on joue dans le classique.

Jeans, tee-shirts, chemisettes. Par contre, j'ai dégotté pas mal de revues intéressantes dans un tiroir, Bondage Magazine, Détective magazine qui est aussi une revue sur le bondage et… il y en a plein d'autres. Commandées probablement par Internet.

— Comment le sais-tu ?

— Ces revues sont américaines. Et il y a l'adresse des sites qui les diffusent au bas de la page. Ce Manchini en connaît un rayon en matière de sadomasochisme… » Il se pencha vers l'écran. « Inutilisable ?

— On dirait que les fichiers ont été effacés. Manchini a voulu peut-être cacher quelque chose ; ou alors, il a pris peur et effacé des données sensibles dans la précipitation.

— Il existe peut-être un moyen de reconstruire ce qui a été supprimé…

— Comment ?

— Un disque dur fonctionne comme un aimant, composé de milliards de petits pôles microscopiques ; s'ils sont polarisés, ils représentent le chiffre un ; sinon, le chiffre zéro. Quand vous effacez proprement un disque dur, en le formatant comme c'était le cas chez Prieur ou Gad, tous ces pôles sont remis à zéro, l'information devient irrécupérable. Par contre, quand vous supprimez des fichiers par le système d'exploitation, vous dites juste au système de rompre le lien avec ces informations, mais les données, elles, restent bien présentes sur le disque dur. Bon nombre de malfrats se laissent berner. Ils croient qu'en effaçant simplement, ils se mettent à l'abri. C'est sans compter avec l'efficacité de nos collègues ! » Il considéra les messages d'erreur. « Le SEFTI possède le matériel et les logiciels pour récupérer une bonne partie des données. Mais il faudrait emporter le disque dur…

— Démonte-le !

— Mais on n'a pas…

— Fais, je te dis ! »

Il dévissa avec son couteau suisse les vis cruciformes, écarta le boîtier d'acier, débrancha les nappes de fils et me tendit le disque dur que je glissai sous ma veste. Il replaça tout bien en place et j'ordonnai : « Bon, continuons la fouille ! »

J'ouvris les uns après les autres les tiroirs du meuble de cuisine. « Tiens, tiens, des pinces crocodile ! »

Elles traînaient au milieu de câbles coaxiaux, de plaques de silicium, de résistances et de condensateurs.

« Normal, pour un élève en électronique » justifia Crombez. « Regardez les plans, ici… Décodeur pirate… ou alors comment obtenir les chaînes du satellite sans abonnement… Ce Manchini est loin d'avoir une vie rangée… »

« Vous êtes de la famille ? » nous demanda une voix alors que nous nous apprêtions à redescendre au rez-de-chaussée.

Dans l'entrebâillement d'une porte palière, apparut une petite tête ébouriffée aux yeux gonflés de maladie.

« Oui, nous cherchons Alfredo. Nous aurions aimé avoir de ses nouvelles.

— N'approchez pas ! » conseilla la voix. « J'ai une gastro-entérite carabinée et si vous ne voulez pas passer vos jours prochains là où vous savez… J'ai entendu pas mal de bruit cette nuit… Il était tard… Peut-être vingt-trois heures. Puis encore à trois heures du matin. Trois heures pile, je le sais, parce que j'ai regardé mon radio-réveil. Alfredo est entré puis est ressorti. Ou l'inverse… je crois… D'ordinaire, vers les six heures du matin, il allume sa saloperie de télévision plaquée contre notre mur commun et ça me réveille à chaque fois… Mais là, je n'ai rien entendu… La paix… Il a peut-être découché… Ou alors il était tellement bourré qu'il n'a pas su rentrer.

— Il boit ?

— Comme nous tous. De temps en temps, une ou deux fois par semaine…

— C'est ça que vous appelez de temps en temps ? Vous avez une drôle de notion du temps. »

Je vis son visage se chiffonner comme si un bloc de pierre lui était tombé sur le pied. « Alerte ! Pluie de météorites dans les fesses ! Je vous laisse ! Allez voir au Sombrero, rue Nationale, à l'angle. Il s'y rend souvent. »

La porte claqua, mais j'eus le temps de glisser une carte de visite dans l'embrasure.

« Pas très clair tout ça, commissaire. Vous avez vu pour combien d'argent il y en a dans l'appartement ? Ce Manchini est issu d'une famille bourgeoise, impossible autrement ! Mais… Vous retournez à la chambre ?

— Je voudrais juste vérifier un détail. »

Crombez descendit m'attendre dans le hall. Je le rejoignis une poignée de secondes plus tard. « Alors, commissaire ?

— Patience… »

Au moment de remettre la clé à Tue-l'amour, je la questionnai : « Les étudiants entretiennent-ils leurs chambres eux-mêmes ?

— Non. Une femme de chambre change les draps tous les jours et fait le ménage.

— Tous les matins ?

— En fin de matinée, plus précisément. Une fois que tous les étudiants sont en cours. » Elle jeta un œil sur sa montre. « La tournée va d'ailleurs bientôt commencer… »

« Qu'avez-vous découvert ? » s'enflamma Crombez dès que nous fumes sortis.

« Le lit de Manchini était défait… Il est rentré chez lui vers les vingt-trois heures, comme l'a signalé sa voisine de palier, puis il s'est couché. Mais quelque chose l'a fait sortir précipitamment… aux alentours de trois heures du matin. Bon… On passe à ce bar, le Sombrero, puis on retourne voir le directeur de l'école. Je crois qu'il ne nous a pas tout dit. »