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— Avec la barre, ça fait cent vingt-huit. Mais vu son gabarit, ça ne m'étonne pas trop. J'avais un maxi à cent quinze kilos.

— Appelle quand même. On ne peut pas laisser ça sur le compte du hasard. »

Alors que Crombez contactait le légiste, je jetai un œil aux autres appareils, la presse à cuisses, les deux vélos, les sets d'haltères rangés par ordre de poids croissant. Rien, apparemment, n'avait été dérangé. Pas un seul disque de chrome qui traînât sur le sol, pas une seule barre déplacée, sauf celle du développé-couché.

« Le portable de Leclerc est sur messagerie » râla Crombez en haussant les épaules. « Je lui ai laissé un bref message lui signalant de vous rappeler. De ce fait, j'ai prévenu le commissaire général Lallain. Il va nous envoyer une équipe…

— Très bien… Dis-moi, lors d'une séance normale de musculation, tu emportes toujours une bouteille d'eau, non ?

— Bien sûr. C'est essentiel ! Pour éliminer l'acide qui s'accumule dans le muscle pendant l'effort. Sans eau, impossible de s'entraîner. Surtout en muscu…

— Alors, explique-moi pourquoi Manchini n'avait pas de bouteille d'eau ! »

Crombez eut des yeux en bille de verre. « Exact ! Troublant, en effet…

— D'autant plus troublant selon le témoignage de sa voisine de chambre ; elle l'a entendu cette nuit revenir vers 23 h 00, puis partir aux alentours de 3 h 00. Je ne suis pas légiste, mais j'ai vu suffisamment de cadavres pour t'affirmer que celui-là n'est pas frais de ce matin.

— Il aurait été tué dans la nuit ?

— Il semblerait… Et une séance de musculation en pleine nuit me paraît assez improbable… Sans oublier ces données effacées de l'ordinateur. Quelqu'un avait peut-être intérêt à ce que Manchini disparaisse… »

Nous attendîmes dans le salon le temps que la police scientifique fît son ouvrage de prélèvements. L'excellent Dead Alive, treillis couleur pain brûlé et pull camionneur à fermeture lui remontant jusqu'au cou, exhibait un nez à rendre jaloux un nasique. Il grogna : « Je m'occupe de celui-là, puis je pose malade. J'en ai plus que marre de trimballer des rhumes la moitié de l'année sans avoir le temps de me soigner. Vous avez vu mon pif ? On dirait un lampion.

— C'est gentil de faire ça pour nous, docteur… »

Une fois le travail de la scientifique effectué, nous retournâmes auprès de feu Mancini. Van de Veld examina la chevelure brune du cadavre, puis les différentes parties de son corps avant de revenir sur la poitrine.

Il enclencha son dictaphone. « Aucune plaie ni lésion apparentes sur la tête, les membres ni le dos. Présence d'écoulements sanguins minimes au niveau des narines, inégalité du diamètre des pupilles, présence d'excoriations sur les pectoraux droit et gauche certainement dues au frottement de la barre métallique. »

Il coupa l'enregistrement. « Vous pouvez ôter la barre ? » Nous nous exécutâmes. Cette satanée ferraille me parut plus lourde que la femme-baleine du Piccadilly Circus.

Dead Alive pressa à nouveau le bouton marche. « Le larynx a été broyé par la barre, ce qui a causé une mort quasi immédiate par asphyxie. » Il retourna le corps. « Au vu des lividités cadavériques ainsi que de la rigidité du corps bien en place, il ne semble pas que le corps ait été déplacé après la mort. Le thermomètre rectal indique… 25 °C. La pièce est chauffée à 18 °C, donc, en supposant une baisse d'un degré par heure depuis le dernier souffle, cela nous donne une mort qui remonterait aux alentours des… une heure ou deux heures du matin grand maximum… »

Il coupa une nouvelle fois son enregistrement. « Drôle de moment pour lever de la fonte…

— Deux heures ? Vous êtes sûr ? »

Son regard s'obscurcit. « Ai-je déjà avancé des propos sans être certain ?

— Quelque chose de concret pourrait-il différencier l'accident du meurtre ?

— Il n'y a pas de traces de coups ou de contusions autres que celles causées par la barre, rien d'évident, quoi. Par contre, l'autopsie nous révélera la présence ou non d'acide lactique dans les muscles, ce qui nous donnera une indication sur l'intensité de son entraînement. Dites, c'est qui ce type ?

— L'un des neveux de Torpinelli.

— Le roi du sexe ? Wouah !

— Sonnez-moi dès que vous aurez du nouveau… Tu me suis Crombez ? Allons jeter un œil dans l'Audi… »

Mon lieutenant me questionna dans le hall d'entrée. « Si Manchini est mort entre une heure et deux heures du matin, comment aurait-il pu sortir ou entrer chez lui à trois heures, comme l'affirme sa voisine ?

— Difficile pour un mort, en effet ! Seule possibilité, quelqu'un d'autre est venu à sa place effacer les données de son disque dur avant de mettre les voiles. Ce que contient cette saloperie de boîte de métal est peut-être la réponse à toutes nos questions… »

Les loquets de la voiture sportive étaient abaissés. Courbé au niveau des vitres, je demandai à Crombez : « Manchini portait juste un tee-shirt dans la salle de musculation. Il devait bien avoir une veste ou un blouson, non ? Retourne à l'intérieur et essaie de me le retrouver… »

Je le vis peiner avec ses béquilles dans les gravillons. « Non, reste plutôt ici. J'y vais. »

Je requis deux inspecteurs pour m'aider ; l'un d'eux finit par me présenter une veste de cuir. « Je l'ai prise sur le lit de l'une des chambres à l'étage.

— Continuez de fouiller. Si vous mettez la main sur un téléphone portable, apportez-le-moi ! »

Tout en palpant le vêtement, je retournai auprès de Crombez. Les poches de la veste ne révélèrent qu'un jeu de clés ainsi que des papiers d'identité. Ni téléphone portable, ni organiseur électronique, ni portefeuille. Juste les clés et les papiers.

Dans la boîte à gants, s'entassaient pêle-mêle des CD, deux paquets de cigarettes et une paire de gants en cuir. Le cendrier débordait de mégots. Crombez alluma l'autoradio et le caisson de basses incrusté dans la plage arrière faillit pulvériser les vitres du véhicule.

« Éteins ça, bordel ! » hurlai-je, les mains plaquées sur les oreilles.

Le tremblement de terre cessa.

Je constatai : « Aucune trace de portable, ni ici, ni dans la villa, ni dans la chambre de sa résidence.

— Il n'en possédait peut-être pas ?

— Il n'y avait pas de ligne fixe à la résidence Saint-Michel. Manchini est parti précipitamment de chez lui hier soir, pour une raison X ou Y. À supposer qu'il dormait, puisque le lit était défait, qu'est-ce qui aurait pu le contraindre à sortir brusquement à onze heures du soir ?

— Un coup de fil ?

— Exactement. Je pense que celui qui a visité la chambre vers trois heures du matin, a aussi fait disparaître ce fameux portable… Nous allons être rapidement fixés. »

Une nouvelle fois, je mis à contribution cette bonne pâte de Rémi Foulon.

« Après ça, tu pourras me faire livrer une caisse de bouteilles de Champagne ! Du Dom Perignon et rien d'autre ! Allez… Donne-moi les coordonnées de ton type et rappelle dans une demi-heure… Mais tu sais que tu pourrais me mettre dans l'embarras ? Chaque accès au fichier est tracé.

— Oui, mais c'est bien toi qui contrôles ces traces, non ?

— Je vois qu'on ne te la fait pas… »

Je le sonnai au bout de vingt minutes.

« Je t'avais dit une demi-heure ! » grogna-t-il. « Ça va… Je l'ai… Son numéro de portable est 06 14 12 20 15. Il a en effet reçu un appel à 22 h 50, provenant d'une cabine publique, au Plessis-Robinson. Je te faxe l'historique de ses appels à ton bureau, mais sache déjà qu'il a coulé deux bonnes semaines cet été au Touquet, dans le nord de la France.