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Je me pris la tête dans les mains, recroquevillé dans mon coin comme sous l'emprise de puissantes drogues.

« Seigneur… Qu'a-t-il voulu dire ?

— Le père Michaélis a torturé et mené au bûcher un nombre incalculable de femmes au nom de l'hérésie et de l'Inquisition. Des actions toujours justifiées, les soupçons émis par l'Inquisiteur n'étant jamais remis en cause. Ses fidèles le surnommaient l'Ange rouge.

— L'Ange rouge ?

— Oui. Un messager qui appliquait la parole de Dieu par la voie du sang…

— Seigneur ! » Les palpitations de mon cœur remontaient jusqu'à ma tempe. « Et cette phrase, la fille ne naîtra pas, que signifie-t-elle ?

— L'Ange rouge raconte avoir été éclairé par Dieu sur la naissance d'un enfant qui serait possédé par six cent soixante-six démons. Une fille chargée de propager le péché originel, de répandre le mal sur Terre. La naissance de l'enfant était prévue pour le vingt-cinq décembre…

— Le jour de Noël ?

— Le jour de la naissance du Christ. Il a décrit la femme, la mère de cette enfant diabolique, au travers des pages de son autobiographie. Beaucoup de choses coïncident avec votre épouse…

— Donnez-moi ces pages !

— Je… Je ne les ai pas… Le livre est une copie ancienne… On ne peut pas le sortir de la bibliothèque.

— Faites-moi voir votre sacoche !

— Je…

— Je vous en prie… Je veux lire… »

Elle me tendit des photocopies, la bouche serrée. J'en décortiquai les mots à voix haute. « … J'ai coupé ses longs cheveux blonds auxquels elle tenait beaucoup. Ses yeux azur reflétaient l'étrange lueur de celles qui commercent avec le Diable. Pour la faire avouer, j'ai enfermé Suzanne un moment, un bon moment, dans un caveau où pourrissaient des corps d'animaux en décomposition. Elle a fini par parler. Le sacrifice de l'enfant après sa naissance sera une immense victoire sur le Mal. »

Je lus la suite comme si je lisais mon propre acte de décès. J'étais mort intérieurement. Je n'éprouvais que des sentiments de colère, d'impuissance, de douleur morale extrême. Le monde s'écroulait autour de moi…

Un enfant… Suzanne allait donner naissance à un enfant… Notre bébé tant attendu. Des étoiles, des sphères argentées se mirent à papilloter dans ma tête. Le volcan de mes pensées explosa… Passage à vide, sorte d'évanouissement conscient…

Cet enfant, je voulais l'accompagner, j'aurais donné corps et âme pour coller mon oreille sur les courbes douces du ventre de sa mère, pour poser une main légère et sentir le tout premier coup de pied. Ces moments-là m'avaient été volés, pour toujours, pour l'éternité…

« Comment… cela… s'est-il terminé ? » soufflai-je, terrassé par un chagrin sans nom.

Élisabeth arpenta nerveusement la chambre. « L'enfant voulait sortir avant le vingt-cinq décembre… Le père Michaélis a tout fait pour retarder l'accouchement, persuadé que sa victoire sur le Malin serait un échec s'il ne tuait pas l'enfant le jour de Noël. II… Je ne peux pas vous dire… Elles sont mortes toutes les deux, c'est tout !

— Que… que lui a-t-il fait ?

— C'est écrit dans ces pages.

— Dites-moi !!! » hurlai-je.

« Il lui a cousu les lèvres génitales… »

Les photocopies que je lâchai virevoltèrent un instant avant de se poser avec une délicatesse outrageante sur le sol. Ma voix se cassa : « Mais… Pourquoi s'en est-il pris à ma femme ? Pourquoi Suzanne ?

— Pour la ressemblance, le prénom, le fait qu'elle était enceinte à ce moment-là… Des raisons que l'on ne pourra peut-être jamais expliquer…

— Mais… Comment aurait-il pu le savoir ? Je… J'ignorais moi-même que nous attendions un enfant ! II… L'Homme sans visage… II… a deviné… »

Élisabeth porta une main à la bouche, tourna dans la pièce, leva Poupette, la manipula pour fuir mon regard et la reposa sur ses rails. « Il doit forcément y avoir une explication logique !

— Je… Qui est-il ? Qui est-il ? II… est trop fort… Que… quels autres terribles secrets révèle encore ce livre ? Où… Où la retenait-il ?

— Les lieux ne peuvent pas coïncider avec ceux de notre époque, j'ai déjà vérifié. Nous savons maintenant ce qui le pousse à agir. Il se calque sur l'itinéraire sanglant de l'Ange rouge. Le père Michaélis a encore tué beaucoup, beaucoup d'innocents avant d'être découvert et de se donner la mort dans un monastère. Il avait confié ses écrits à des fidèles avant de mourir… Notre tueur ne s'arrêtera pas de lui-même. Vous devez vous mettre au travers de son chemin, Franck !

— Comment se mettre au travers du chemin d'un fantôme ?

— Raccrochez-vous à ce qu'il a fait, je vous l'ai déjà dit ! Ces meurtres sont bien réels. S'il veut que l'enfant sorte à terme, il traitera votre épouse correctement. Vu les produits qu'il a utilisés sur la fille de l'abattoir, ou la kétamine qu'il vous a administrée, il doit s'y connaître en médication. Il fera au mieux pour que l'accouchement se passe bien…

— Pour qu'il puisse tuer le bébé en toute tranquillité ensuite ?

— Il nous reste deux bons mois, Franck. Une soixantaine de jours pour mettre la main dessus…

— Quelle est la chronologie des meurtres du Père ? Que représente la fille de l'abattoir dans son itinéraire de sang ?

— Le père Michaélis avait enlevé puis torturé des jours durant Madeleine Demandolx, qu'il tenait enfermée dans l'un des donjons du couvent. Le tout, sous le secret le plus strict et avec l'aide de quelques fidèles. Accusée, elle aussi, de commerce avec le Malin, simplement parce qu'elle entretenait des relations avec des hommes différents…

— Comme Marival avec son site Internet… Ces correspondances qu'elle nourrissait avec tous ces rebuts… De quelle façon Madeleine Demandolx estelle morte ?

— Sous le coup des supplices endurés… L'assassin prend modèle sur l'Ange rouge en ajoutant sa touche personnelle avec des tortures plus longues. Quant aux victimes, leurs péchés sont plus graves ; vie adonnée au vice pour Gad ; mutilations sur des cadavres, pour Prieur ; amoralité et maltraitance d'animaux dévoilées aux yeux du monde, pour Marival… Sans oublier votre voisine, qu'il considérait peut-être comme une sorcière, avec son don de voyance ou de prédiction… Il les a toutes punies parce que au travers de leurs actes, elles n'avaient pas la crainte de Dieu ! Elles outrepassaient les droits des mortels fixés par le Seigneur ! »

Élisabeth sortit de sa sacoche un restant de photocopies qu'elle posa sur le lit.

« Voici l'autobiographie dans sa totalité. Presque deux cents pages de monstruosités… Tout y est clairement expliqué… »

Elle s'installa à mes côtés. « Il a encore commis un meurtre entre la mort de Madeleine Demandolx et celle de Suzanne Gauffridy, la mère censée engendrer l'enfant aux six cent soixante-six démons.

— Décrivez-le-moi.

— Une femme qui avait avoué au confessionnal ses penchants homosexuels… » elle toussota nerveusement. « II… lui a brûlé les organes génitaux et les seins… Vous savez, il a été montré que le père Michaélis a rédigé ses écrits sous l'emprise de la folie. Aucun autre ouvrage de l'époque ne retrace ces meurtres et tout porte effectivement à penser que cette autobiographie n'est qu'un ramassis de mensonges. Voilà pourquoi elle n'est mentionnée nulle part, sinon, le père Michaélis aurait été considéré comme le plus grand meurtrier en série de tous les temps…