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— Je vais renforcer la sécurité chez vous. Possible que vous soyez en danger.

— Ce n'est pas la peine.

— J'insiste… » Je pensai à la vidéo visualisée dans la matinée au SETFI. L'idée que le tueur filmait pour réaliser des snuff movies m'avait semblé cohérente, rationalisant un tant soit peu le monde d'horreur dans lequel il évoluait. Mais, avec les dires d'Élisabeth, je me rendais compte à quel point je m'étais trompé.

L'Homme sans visage, l'Ange rouge, n'avait rien d'humain. Une question me taraudait. « Six cent soixante-six, cela représente bien le chiffre du Démon ?

— De la Bête, de Lucifer. Cinq démons puissants plus Lucifer donnent le premier six. Ensuite, les six jours de terribles souffrances du châtiment. Enfin, les six seront punis, Lucifer et ses hordes d'ogres, pour leurs atrocités sur les hommes. Cela donne six cent soixante-six.

— À quelle date exacte devait naître cette enfant ? Cette fille aux six cent soixante-six démons ?

— Le 25 décembre 1336.

— Il y a… six cent soixante-six années… »

Élisabeth remua les lèvres, comme pour construire une parade, mais les mots se bloquèrent sur le bout de sa langue. Le calme qui, jusqu'à présent, l'avait soutenue, l'abandonna ; ses longues mains tremblèrent lorsqu'elle les posa en croix sur sa poitrine. Je murmurai : « Nous poursuivons quelque chose, Élisabeth, quelque chose de pas humain et Doudou Camélia le savait…

— II… Il y a un détail que j'ai omis de vous signaler, Franck…

— Allez-y…

— Je… Je ne peux pas y croire…

— Dites-moi ! »

Le chuintement soudain d'un jet de vapeur faillit stopper définitivement les battements de mon cœur.

Élisabeth se plaqua par réflexe contre un mur, terrorisée. Poupette bouillonnait, vibrait, parée à affronter le rail. Je me précipitai sur elle et baissai une manette. « Vous… vous avez certainement déclenché la mise en pression en la manipulant. Je… la pensais en panne… Dites-moi, maintenant ! »

Elle se décolla du mur, prudemment. « Avant de mourir, le père Michaélis rajoute une dernière phrase, qui clôt son autobiographie : Je reviendrai sauver le monde… quand le Mal descendra à nouveau sur Terre…

— Six cent soixante-six années après la naissance prévue de cette enfant… Seigneur ! »

Le grand verre de vodka qu'Élisabeth but sec sembla lui donner un coup de fouet. Je l'accompagnai avec un verre de Four Roses dont je n'appréciai même pas la saveur. J'étais prêt, une nouvelle fois, à me laisser emporter par les flots ténébreux de l'alcool, mais une petite voix m'enjoignit de continuer à me battre pour Suzanne et le bébé.

« Je dois me raccrocher à quelque chose ou je vais péter les plombs », confiai-je à Élisabeth. « Diable ou pas, j'irai au bout… J'ai une petite piste… Le gars qui a agressé Julie Violaine, ce Manchini, a été assassiné pour éviter qu'il dévoile quelque chose de primordial. Il s'était filmé en train de l'agresser.

— Vous rigolez ?

— Ai-je l'air de plaisanter ? Je pense qu'à un moment donné, le grain de sable nommé Manchini, s'est introduit dans la mécanique parfaitement éprouvée d'une terrible machine assassine… Alors, on l'a fait disparaître discrètement en simulant un accident. En marge de notre… Ange rouge, bien entendu… Son ou ses assassins ne devaient pas se douter qu'on le retrouverait si vite et donc, dater l'heure du décès avec précision, pour en déduire qu'il ne s'agissait pas d'un accident. Je ne vois encore aucun lien avec notre affaire, mais ce lien existe, j'en suis persuadé.

— Une idée sur les auteurs du meurtre ?

— Manchini s'est déplacé précipitamment en pleine nuit, je suppose donc qu'il connaissait fort bien celui qui l'a appelé. Son portable a été subtilisé, les données de son ordinateur effacées… Je pars pour le Touquet. Je vais aller rendre une petite visite à Torpinelli père et fils.

— Ces gens-là ? Risqué, non ?

— Je veux comprendre, Élisabeth, vous saisissez ? Je… Je ne veux pas mourir sans savoir… »

Elle posa son verre vide à l'envers sur la table, comme les Russes, annonçant d'une voix réchauffée par l'alcool : « Je serai vos yeux et vos oreilles sur l'affaire. Tous les dossiers remontent jusqu'à moi. Je vous tiendrai au courant.

— Vous risquez votre place, vous le savez ?

— Vous êtes le seul qui ayez vraiment cru en moi… Et je ne peux plus vous laisser tomber, désormais…

Nous le combattrons à deux… Qui que ce soit… »

*

Au moment où je m'apprêtais à embarquer pour le Touquet, mon téléphone sonna.

« Commissaire… Sharko ? » Voix fébrile et hésitante à l'autre bout. « Lui-même.

— Je suis la voisine d'Alfredo Manchini. Vous vous souvenez ? La fille avec… la gastro-entérite…

— Bien sûr. Je vous avais laissé ma carte.

— J'ai… longtemps hésité avant d'appeler… » Sanglots. « J'ai appris… qu'il avait eu… un accident… Mais je n'y crois pas vraiment…

— Pour quelle raison ?

— Passez… Je vous expliquerai… »

Son état ne s'était guère amélioré. En forme, ce devait être une belle fille, mais, pour le moment, ses yeux éraillés d'éclairs de sang et son teint cireux lui donnaient l'air d'une zombie version mauvais film des années soixante.

Elle garda ses distances. « Restez loin de moi si vous…

— Ne vous inquiétez pas. Les microbes ont plus peur de ma présence que moi, de la leur ! Racontez-moi. »

La chambre ressemblait étrangement à celle de Manchini. A croire que le bâtiment dans sa totalité servait de refuge à la populace riche du Tout-Paris. Elle s'humecta le bout de la langue dans un verre où dansait une aspirine, grimaça et avala le tout.

« Alfredo m'a confié une clé, il y a trois jours, me demandant de la garder avec moi et de la donner à la police s'il lui arrivait quelque chose. Mais… »

Elle me tendit la petite clé.

« Vous avez une idée de ce qu'elle ouvre ?

— Il m'a parlé d'un coffre dissimulé dans un bureau de la villa de ses parents… Ce sont des CD ROM… importants…

— Vous savez ce qu'ils contiennent ?

— Non. »

Je serrai les poings. « Vous auriez dû nous en parler la première fois !

— Il voulait que je la donne uniquement s'il lui arrivait un malheur ! Il avait confiance en moi ! »

Elle se mit de nouveau à pleurer. Je m'enquis doucement : « Vous m'avez dit au téléphone, tout à l'heure, que vous ne croyiez pas à l'accident…

— En effet… L'histoire de la clé, déjà… Puis les bruits, cette nuit-là… Alfredo n'était plus le même, ces derniers temps. On aurait dit que quelque chose le tracassait, qu'il avait peur…

— De quoi, à votre avis ?

— Difficile à dire. Nous dînions assez souvent ensemble et je l'ai senti distant, plus silencieux. Il ne mangeait plus beaucoup, ne sortait plus non plus…

— Vous étiez proches ? »

Elle hésita une fraction de seconde. « Amis, uniquement.

— Vous n'étiez pas attirée par lui, ni lui par vous ? »

Nouvelle hésitation, plus franche. « Alfredo n'était pas mon genre de mec…

— Et vous n'étiez pas son genre de fille ?

— Exactement. »

Je m'approchai d'elle et lui pris la main. « Vous me dites la vérité, maintenant ? Alfredo est mort et, tout comme vous, j'ai la conviction qu'il a été assassiné. Si nous voulons punir les auteurs du crime, vous devez tout me raconter. »