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Elle se laissa choir dans un fauteuil à oreillettes, la tête rejetée vers l'arrière. « D'accord. J'étais accro à Alfredo. Un beau gosse, Rital et balèze, par-dessus tout. Mais… Il a toujours refusé… Je ne sais pas pourquoi… »

Ses yeux se noyèrent dans les brumes. Je pensai au film de Manchini, à ces scènes sordides de l'agression de Violaine. Je lui tendis un mouchoir de papier avec lequel elle essuya son front ruisselant de sueur et de maladie.

Je l'interrogeai : « Alfredo était-il fortiche en informatique ?

— Vous plaisantez ? C'était un dieu ! Capable de pirater n'importe quel serveur en moins d'une heure. Il tuait son temps à hacker des sites pornos, récupérer des listes de mots de passe et les mettre à disposition gratuitement sur des forums…

— Vous avez fait ce qu'il fallait, avec la clé. Vous savez, je crois que Manchini refusait de coucher avec vous parce qu'il voulait vous protéger de lui-même, de ce qu'il était réellement.

— Vous savez des choses que j'ignore ? Dites-moi ce que vous avez découvert ! »

Je me levai et pris la direction de la porte. « Manchini était malade, à deux doigts de sombrer dans la folie meurtrière. Il aurait pu faire du mal à énormément de personnes, vous y compris… »

Deux plantons tuaient le temps aux abords de la villa de Manchini en grillant une cigarette, dos collés contre la tôle d'un véhicule de fonction.

« Commissaire ! Qu'est-ce que vous faites là ? Vous savez que vous n'avez…

— Que je n'ai pas quoi ?

— C'est… c'est le divisionnaire… Il nous a interdit de…

— Je dois juste vérifier quelque chose… De très, très important… cela ne prendra que quelques minutes. »

Le planton adressa un regard perdu à son collègue qui fit mine de ne rien entendre. « Vous… Vous êtes sûr que vous n'allez pas nous mettre dans l'embarras, commissaire ? Uniquement quelques minutes ?

— Oui. J'entre et je ressors, comme le vent ! »

Je pénétrai et montai directement à l'étage.

Après avoir jeté un rapide coup d'œil dans les différentes chambres, je découvris un vaste bureau d'affaires. La pièce restait sombre malgré la fenêtre par laquelle brillait le soleil timide d'automne. Pas de trace de coffre. Je me dirigeai vers la massive bibliothèque plaquée contre un mur, face au bureau. Livres d'économie, de marketing, d'informatique, probablement jamais ouverts, parfaitement alignés et rangés alphabétiquement par thèmes.

Le meuble en chêne était bien trop imposant pour espérer le déplacer et, même en glissant un regard entre la bibliothèque et le mur, je ne décelai aucun relief laissant présager la présence d'un coffre. Passant une main sur le contour du meuble, puis entre les étagères, je sentis, sous le panneau qui soutenait la deuxième rangée de livres, un petit interrupteur sur lequel je m'empressai d'appuyer.

Bruit de piston, un système mécanique éventra l'étagère en deux. Le pan gauche se désolidarisa du pan droit et le coffre, un AL-KO AMC, apparut, encastré dans une partie du mur dissimulée par la bibliothèque.

Je n'eus pas besoin d'utiliser la clé. Quelqu'un était passé ici avant moi. La serrure avait été percée et la porte s'entrebâillait légèrement.

Bien entendu, l'intérieur du coffre était vide.

Une bourrasque de rage me fit serrer les deux poings. Mes prédécesseurs n'avaient pas fait le travail à moitié. Plus aucune trace de poussière d'acier laissée par le perçage, que ce fut sur les livres, le sol ou le mur…

La chance de me rapprocher de la vérité venait de me passer sous le nez. Mais, à présent, je savais que je ne me déplacerais pas pour rien au Touquet…

Chapitre quatorze

Alphonso Torpinelli Junior. Un serpent échappé des Enfers, une bête maléfique, curieuse et affamée, qui écrasait à coups de sabots les microbes qui osaient se dresser devant lui. Un homme puissant, très puissant ; un esprit malin qui brassait des milliards d'euros sur le marché le plus prolifique de tous les temps, le sexe.

Il avait su évincer du circuit son vieux père, un homme plutôt respectable. Le patriarche, atteint d'une tumeur au cerveau, avait été opéré une première fois avec succès ; mais le gliome s'était redéveloppé et sa position beaucoup trop risquée en interdisait l'ablation. Les spécialistes lui laissaient au maximum quatre mois à vivre.

On soupçonnait Alphonso Torpinelli de toutes les corruptions possibles et imaginables. Traite des Blanches, réseaux de prostituées dans les pays de l'Est, pédophilie et tout ce que le vice pouvait engendrer en ce bas-monde. Mais les malheureux qui avaient tenté l'expérience de fourrer le nez dans ses affaires, devaient, à l'heure actuelle, avoir nourri une bonne cinquantaine de grands requins blancs de l'océan Pacifique.

Sur l'esplanade du Touquet, la lune déjà bien en place jouait avec les vagues, les faisant scintiller au moment où elles se brisaient sur la plage déserte. Plus proche de Stella-Plage, au bout d'une jetée où s'accrochaient des paquets de moules, je devinai le bruissement d'ailes des dernières mouettes occupées à récolter les têtes coupées des maquereaux, laissées à l'abandon par les pêcheurs sur le gros dos de la mer. Un petit vent de terre soulevait des tourbillons de sable, déposant les grains sur les cabines fermées des vacanciers avant de les emmener à nouveau vers le large.

Dans la chambre de l'hôtel, je lus, page après page, horreur après horreur, l'ouvrage photocopié du père Michaélis et la grande main crochue de l'amertume s'abattit sur mes épaules comme une vague géante. Je priai Dieu pour que ce récit ne fût que le fruit de son imagination, mais je ne pus m'empêcher de penser que ce sanglant itinéraire avait sans doute réellement existé et que… l'Ange rouge était peut-être de retour…

Je priai pour ces victimes que je ne connaissais pas, je priai pour celles qui avaient croisé le chemin de l'Homme sans visage, je priai pour ma femme et mon futur bébé. Si un génie avait pu jaillir d'une lampe que j'aurais frottée un peu trop fort pour exaucer un seul de mes souhaits, je lui aurais demandé de nous emmener tous trois loin d'ici, de nous déposer sur une île déserte où il n'y aurait ni téléphone, ni radio. Juste nous trois, loin de l'haleine fétide de ce monde, loin de ces routes de sang et de ces visages horribles à regarder…

J'essayai à nouveau de tresser les brins de corde, de rapprocher les morceaux pour constituer un assemblage solide, mais je n'y arrivai pas. Manchini, l'Ange rouge, BDSM4Y… Liés par le vice, évoluant dans l'univers secret de ce qu'il ne faut pas voir, de ce qu'il vaut mieux ignorer si l'on veut vieillir en paix.

Je songeai à la découverte d'Élisabeth, à la façon dont son enquête littéraire l'avait conduite dans les bras du père Michaélis. Cherchant un parallèle avec les indices. Le cadre du phare accroché au mur. La photo du fermier, puis la lettre qui nous avaient orientés vers la piste religieuse. La scène du crime, cette expression du visage de Martine Prieur nous permettant de faire le rapprochement avec le buste sculpté par Juan de Juni. Nous en avions déduit un rapport entre les victimes, cette volonté de punir la douleur par la douleur. Le tueur m'avait ensuite dévoilé, au moyen de la pince à cheveux, qu'il détenait ma femme. Puis cette phrase, trop flagrante, où il reprenait mot pour mot les propos d'un Père meurtrier…

Il nous manipulait ; il traçait lui-même le fil de l'enquête, nous orientant dans les directions qu'il avait choisies pour nous. Nous étions entrés dans son plan diabolique sans même nous en rendre compte… Il jouait avec nos esprits et tendait les fils de nos âmes à sa guise… Il possédait d'évidents talents de psychologie, de machiavélisme…