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L'affront de la chute devant son acolyte dut l'exaspérer. Il se rua dans ma direction, l'épée brandie derrière la tête et je n'eus qu'à basculer sur le côté pour éviter son attaque. Il me tournait le dos, j'en profitai pour lui allonger un coup précis et sec au niveau de l'omoplate gauche. Il grimaça. Le double échec chassa sa confiance. Il me toucha encore une fois ou deux, mais je dominais à présent le combat et il capitula dix minutes plus tard, au moment où je lui abattis le sabre sur le dessus du casque, dans un coup sourd qui le sonna comme une cloche de Pâques.

Je ressentis une sensation de béatitude extrême après le combat, comme si, le temps d'un affrontement, toutes les pensées noires qui m'oppressaient depuis des mois avaient fui la terreur de mon propre corps. Le grog qui chasse le bon rhume…

Le gladiateur déchu claqua des doigts et Crâne-d'Ébène se volatilisa dans une autre pièce.

« Qu'est-ce que vous voulez ?

— La mort de votre cousin n'a pas l'air de vous perturber…

— Il faut savoir faire face à la mort. La mort, je la vois tous les jours rien qu'en regardant mon vieux père. Et ce n'est pas pour ça que je pleure. Répondez à ma question. Que voulez-vous ?

— Enquête de routine. Disons que j'essaie de comprendre pourquoi votre cousin a soudain eu l'envie de faire une séance de musculation à deux heures du matin. »

Il se dirigea vers le vestiaire et je lui emboîtai le pas. Ma chemise suintait de sueur et mes vêtements de rechange étaient à l'hôtel. Je me sentais… gras.

« Accompagnez-moi dans le sauna », proposa-t-il. « Je vais vous faire apporter un change… »

Quitte à me sacrifier, sacrifice rentable, je jouai le jeu jusqu'au bout. Il me tendit une serviette en éponge que je nouai autour de ma taille après m'être déshabillé. « Vous êtes plutôt bien bâti », ironisa-t-il. « Pas une once de gras.

— Parce que vous pensez qu'à quarante-cinq ans on est foutu ?

— Disons qu'on traîne parfois un peu la patte… »

Lorsque je pénétrai dans la petite pièce tapissée de lambris, une vapeur de marmite bouillante me sauta à la gorge, j'eus sur le coup l'impression d'avoir avalé un flambeau. Torpinelli versa une casserole d'eau sur des pierres volcaniques. Un nuage opaque se répandit autour de nous, accroissant sensiblement la température de quelques degrés supplémentaires. Des rouleaux de feu semblaient pénétrer mes poumons.

« J'ai appris que l'on avait autopsié mon cousin. À quoi jouez-vous ?

— Je vois que vous avez vos sources.

— J'ai des yeux partout. Métier oblige.

— La procédure d'autopsie est obligatoire dans le cadre d'une enquête criminelle. »

Ses yeux brillèrent au travers des écharpes grises de vapeur. « Quelle enquête criminelle ?

— Quelqu'un s'en est pris à votre cousin et a cherché à dissimuler l'acte en accident. »

Torpinelli versa cette fois juste un verre d'eau sur les pierres. Je ne distinguais même plus mes pieds, ni les murs qui nous entouraient. J'entendais seulement sa voix caverneuse : « Alfredo était un gars sans histoire. Pour quelle raison l'aurait-on assassiné ?

— J'aurais aimé avoir votre avis là-dessus.

— J'en sais fichtre rien. »

La chaleur devenait insupportable. J'ouvris la porte, me gorgeai de l'air des vestiaires et restai dans l'embrasure.

« Vous le voyiez souvent, votre cousin ?

— Je n'ai pas beaucoup le temps, vous savez, avec les affaires…

— Quand l'avez-vous rencontré pour la dernière fois ?

— Cet été. En août. Il est venu deux semaines ici.

— Quoi faire ?

— Ça vous regarde ? » Éclipse de silence, puis : « Je lui ai demandé d'installer un système de webcams dans le studio et dans nos donjons de tournage. Vous voulez l'adresse du site ? Vous pourriez vous rincer l'œil moyennant un abonnement au coût très raisonnable. Mais puisque vous m'avez battu, je vous ferai une fleur… »

J'ignorai son sourire de coin. « Pas trop mon style, merci. Vous embauchez beaucoup de hardeuses ?

— Une vingtaine.

— Vous les logez ?

— Dans l'aile ouest. C'est mieux d'avoir les filles à proximité pour… travailler…

— Je vois… La vue quotidienne de ces filles par caméra interposée et même en direct ne rendait-elle pas Alfredo… comment dire… dingue ? »

Le coulis de vapeur gagnait à présent la totalité du vestiaire. Torpinelli se rinça sous une douche froide et s'écrasa sur un banc en pin massif. « Vous connaissez les chauves-souris vampires, commissaire ? Ces animaux me fascinent. Elles pendent aux arbres tout le jour, au point que ceux qui les ont vues en parlent comme de noix ou de cosses géantes. Mais quand arrive la nuit, elles se transforment en de redoutables prédateurs. Capables de vous vider un bœuf comme ça » — il claqua des doigts — « des hommes, des femmes, ne se sont jamais réveillés suite à leur baiser mortel.

— Alfredo Manchini était une chauve-souris vampire ?

— La pire de toutes. Vous savez, il avait un réel problème avec les femmes.

— C'est-à-dire ?

— Je le voyais à son air de vicieux face à l'écran quand il matait mes hardeuses. Le type calme et frustré qui cache un volcan en lui. Je lui ai souvent proposé de s'envoyer une des filles, voire plusieurs, mais il a toujours refusé. Alors une nuit, pendant qu'il dormait, j'ai demandé à l'une d'entre elles d'aller lui faire… une petite surprise… Je voulais voir sa réaction… II… m'intriguait vraiment.

— Et ?

— La chauve-souris vampire s'est réveillée…

— Mais encore ?

— Il l'a ligotée pendant plusieurs heures puis l'a baisée jusqu'au petit matin. Il avait la queue en flammes et on a dû la fourrer dans un gant de toilette rempli de glaçons. Intéressant comme les gens changent quand ils pensent avec la queue, non ? » Il coiffa ses cheveux vers l'arrière et les plaqua avec une couche de gomina. Le peigne pliable finit dans la poche intérieure de sa veste.

« Votre cousin avait peur de quelque chose ou de quelqu'un. Vous en avait-il parlé ?

— Non. Ce n'était pas son genre d'exposer ses soucis. Nous avons tous les nôtres. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de personnes qui veulent me faire la peau.

— Si, j'imagine… »

Il se leva et se rhabilla. Je fis de même avec mes propres vêtements, laissant ceux que l'on m'avait apporté sur le banc.

« Votre cousin a agressé l'une de ses professeurs. Nous l'avons retrouvée ligotée et torturée, nue sur son lit. »

Il jeta sa serviette avec violence sur le sol. « Le sale enfoiré ! Ça ne m'étonne pas de lui ! Frustré de mes deux !

— Vous ne le portez pas dans votre cœur, me semble-t-il.

— Pas spécialement… Cet abruti était plein aux as. Et tout ce qu'il a trouvé à faire, c'est d'aller perdre son temps dans une école d'ingénieurs de merde ! Une honte pour notre famille !

— Apparemment, avant de mourir, il s'est bien rattrapé ! Et faisait aussi preuve d'un certain talent pour la vidéo, je crois que son petit film se serait très bien vendu…

— Qu'est-ce que vous me racontez ?

— Votre cousin s'est filmé en train de torturer cette enseignante. »

L'annonce l'immobilisa un instant. « Vous avez découvert ce film où ?

— En quoi cela vous intéresse-t-il ?

— Je veux juste savoir.

— Sur son ordinateur… Le ou les crétins qui ont essayé d'effacer les données de son PC devraient aller se… rhabiller… »

Il me démolit du regard. Je recadrai : « Cette hardeuse qu'il s'est envoyée, elle ne s'est pas plainte des tendances sadomasos de votre cousin ? Elle s'est laissé faire ?