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— C'est son quotidien. Elles aiment ça, les salopes. C'est ce qui rapporte, le bizarre, le SM, le bondage. De nos jours, le public attend autre chose que la simple pornographie brute de fonderie.

— Comme le viol filmé en direct ?

— Ouais. Un bon filon. Mais je suppose que vous n'êtes pas idiot, vous savez qu'il s'agit de faux ?

— Moi, oui. Mais les malades qui visionnent ces films le savent-ils vraiment ?

— C'est pas mes oignons. »

J'enfournai ma cravate dans ma poche et laissai mon col de chemise ouvert. « Il me semble que votre père n'apprécie pas vraiment ce que vous faites. »

J'eus l'impression que des flammes allaient jaillir de ses narines. « Ne parlez pas de mon père ! Il n'a plus les capacités de diriger les opérations ! Et je ne fais que m'adapter à la demande ! Attention à ce que vous dites, commissaire ! »

Je scrutai chaque trait de son visage. « BDSM4Y, vous connaissez ? »

Aucune réaction. S'il cachait son jeu, il le cachait bien. « Ce sigle ne me dit rien.

— Jusqu'où vont les demandes de vos clients en matière de bizarrerie ?

— Si vous saviez comme ils sont imaginatifs ! Mais je ne crois pas nécessaire de vous décrire ce genre de choses. Vous commencer à m'irriter sérieusement avec vos questions. Abrégez, ou je vous fais raccompagner !

— Vous n'avez jamais eu des demandes de snuff movie ?

— Qu'est-ce que vous dites ?

— Snuff movie, vous connaissez ? »

Il tira la porte du vestiaire. « Victor ! Victor !

— Répondez ! »

Il me tira par le col de veste et me plaqua contre le mur humide de vapeur. « Ne répète plus jamais ce mot devant moi, fils de pute ! Maintenant, tu vas ouvrir grand tes oreilles, commissaire ! Tu mets encore un pied ici, t'es mort ! C'est très dangereux de venir seul, on ne sait jamais ce qui peut arriver ! Alors, si t'oses te pointer, viens bien accompagné ! »

Je me dégageai de son étreinte en le poussant avec violence, me retenant de le démolir. Si je levais le bras sur lui, j'étais cuit. J'osai quand même. « Toi, tu vas m'écouter ! Je ne vais pas te rater ! Si je découvre la moindre entourloupe à ton sujet, si tu pètes ailleurs que dans ton froc, je serai là pour te coincer. Je ne sais pas ce que tu caches, ni pourquoi toi ou l'un de tes affreux avez éliminé Manchini, mais je le découvrirai. »

Crâne-d'Ébène se mit en travers de mon chemin, bras croisés. « Fous-moi ça dehors !!! » hurla Torpinelli. « T'es un homme mort ! »

Je prévins Crâne-d'Ébène. « Tu me touches, je t'explose ta sale cervelle ! »

Il me laissa circuler, un sourire d'Oncle Ben's aux lèvres. Au sortir de l'atrium, au sommet de l'escalier en marbre, peinait à se déplacer le vieux Torpinelli, courbé sur une canne. Je crus lire sur ses lèvres EN-TER-RE-MENT avant qu'il ne disparût dans le couloir, voûté comme un pape.

Crâne-d'Ébène me colla jusqu'à la sortie, où Gueule-d'amour, le lion déchu, me décocha un sourire narquois. « T'espérais quoi, monsieur le P-O-L–I-C–I-E-R ?

— Tu as déjà pensé à te présenter aux élections pour le Front National ? » rétorquai-je. « Tu me fais penser à quelqu'un, mais je ne me rappelle plus qui. »

Il lança mon Smith & Wesson sur le siège conducteur de ma voiture. « Tire-toi ! Tire-toi loin, très loin d'ici !

— Je ne serai jamais bien loin… Et quand je reviendrai, tu seras le premier à le savoir.

— Surveille bien tes arrières, alors… » Enterrement… Le vieux Torpinelli venait de me fixer un rendez-vous.

*

Je me voyais mal débarquer au milieu de la cérémonie funéraire et m'approcher du vieux en lui demandant un truc du genre : Alors monsieur, racontez-moi ce que votre fils a fait de mal ! A l'évidence, mieux valait jouer la prudence. Par un moyen ou un autre, s'il le désirait vraiment, le patriarche tenterait de prendre contact avec moi.

L'enterrement d'Alfredo Manchini devait se dérouler dans l'après-midi au cimetière du Touquet. Une pluie horriblement cinglante, chargée de l'air du nord, se déversait du ciel noir depuis la fin de matinée. Je fis plusieurs fois le tour du cimetière. D'abord en voiture, en longeant les palissades pour constater, à regret, que je n'avais aucun point de vue sur l'intérieur. Puis à pied, afin d'essayer de me dénicher une planque pour observer la cérémonie sans risque. La fosse avait été creusée au bout de la dixième allée, sous un if, protégée par une bâche bleue. Mon analyse fut brève. Si je voulais dégoter une place de choix aux réjouissantes festivités, il fallait absolument me trouver au cœur du brasier, dans le cimetière.

À 15 h 00 tapantes, le cortège funéraire assombrit la rue alors qu'au loin, les cloches de l'église tintaient encore. De longues berlines noires, des vitres teintées, des regards derrière des lunettes de circonstance, se suivaient dans un silence à peine perturbé par le soupir de la pluie. J'avais garé mon véhicule dans un parking résidentiel à presque un kilomètre du cimetière. Je me terrai dans le hall d'un immeuble, bien au sec, ma paire de Zweiss à la main.

Il n'y avait qu'une vingtaine de personnes. Je supposai que les Torpinelli avaient préféré un enterrement sans éclat médiatique. Vite passé, vite oublié… Le vieux sortit en dernier, accompagné par deux porte-parapluies qui le collaient comme son ombre.

La pluie m'arrangeait, elle n'aurait pas pu mieux tomber. Déployant un vaste parapluie, une dizaine de minutes après le début de la cérémonie, je pénétrai discrètement dans le cimetière, me dirigeant vers l'extrémité opposée à celle où s'amassaient vestes et cravates noires. Je portais un bouquet de chrysanthèmes, pour me disculper de tout soupçon. Le vieux se tenait plus en retrait, installé sur une chaise pliante, ses jambes semblant à présent incapables de soutenir le poids de son corps. De temps en temps, il scrutait l'ensemble des tombes, derrière lui. Je m'arrangeai, en me décalant de deux allées, pour me situer dans son champ de vision. Lorsqu'il tourna un regard dans ma direction, je levai mon parapluie pour qu'il distingue mon visage, puis le rabaissai aussitôt lorsque Gueule-d'amour jeta une œillade perçante vers moi. Je fis mine de nettoyer la tombe. Le lion déchu enfonça la main sous sa veste, avança dans ma direction, mais le vieux le rappela à l'ordre et lui murmura quelque chose à l'oreille. Il venait d'éviter ce qui, dans un sens comme dans un autre, aurait conduit à un incident inévitable.

Un corbeau se posa à côté de moi et, les ailes déployées telles deux capes, le cou tendu, se glissa entre deux sépultures pour y picorer des vers de terre. La pluie drue me dévorait les épaules et le froid pénétrait en moi sous l'effet des violentes bourrasques. Mon parapluie faillit se retourner mais tint bon. Gueule-d'amour m'avait à l'œil. Il m'avait reconnu. De temps en temps, il posait sa main devant son imperméable et mimait, deux doigts tendus et le pouce replié sur l'index, la forme d'un revolver. Il n'attendait qu'une chose, que je m'avance.

Cependant, je pris soin de rester à l'écart et de patienter. Je cherchais déjà comment j'allais pouvoir fuir du cimetière sans passer par l'entrée principale et, surtout, sans me retrouver le corps criblé de balles…

L'inhumation dura à peine un quart d'heure et je me demandai, au départ des premiers participants, de quelle façon allait procéder le vieux pour se mettre en contact avec moi. Je le vis insister auprès de son fils pour se recueillir encore un instant. Il se leva de sa chaise, passa les mains dans le dos. Il serrait une pochette de plastique pliée. Réalisant le signe de la croix devant la tombe, il arrangea ensuite une couronne mortuaire et déposa, j'en avais la quasi-certitude, l'enveloppe plastifiée sous l'un des pots de fleurs, au bord du couvercle de marbre.