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Au niveau de l'entrée des Torpinelli, je tirai le frein à main, provoquant le pivotement de la voiture à angle droit. Je m'attendais à l'accueil de Gueule-d'amour et de ses acolytes, mais ils repeignaient le sol, têtes explosées de plusieurs balles.

Une colonne de fumée noir corbeau tourbillonnait devant moi. Et, au bout de l'allée, je distinguai la Porsche en flammes encastrée dans le mur de la façade. Les boiseries extérieures et les branches des arbustes commençaient aussi à prendre feu.

À proximité de la maison, j'écrasai la pédale de frein. Le pare-brise était constellé d'impacts de balles. Dulac gisait, la tête éclatée contre la vitre. Je me ruai à l'intérieur alors que les sirènes se manifestaient. J'entendis des cris, des coups de feu, le ronflement caractéristique d'une Kalashnikov, puis plus rien, plus un bruit, à part le doux crépitement des flammes qui devenait colère.

Le vieux Torpinelli se tenait couché sur le sol, au bas de l'escalier, la mitraillette entre les jambes. Son fils, criblé de balles, ouvrait la bouche au ciel, les yeux curieux, abandonnés à la mort. Je me dirigeai vers l'homme, lui tendis la main. « Venez, il faut sortir d'ici, et vite ! »

Un jet de sang gicla par l'orifice béant de sa poitrine. Il trouva la force de me tendre une disquette, l'âme sur les lèvres. « J'ai… j'ai tout… découvert… Mon fils…

— Qui réalise ces films ? Dites-moi qui réalise ces films ! » Je le secouai par le col de sa chemise. Sa santé, sa vie m'importaient peu. Je voulais qu'il me livre, dans un dernier soupir, les horribles secrets détenus par son fils. « Dites-le-moi ! Dites-le-moi ! » Un dernier souffle l'arracha à la vie. Je me mis à hurler « Noooon ! »

L'épaisse fumée qui, à présent, s'engouffrait par l'entrée, me fit prendre conscience que je parlais à un mort. Je saisis la disquette de la main repliée de Torpinelli, la fourrai dans la poche intérieure de ma veste et me propulsai à l'extérieur, le visage enfoui dans mon col.

Trois véhicules de police barraient l'entrée de la grille. On me somma de poser mon arme sur le sol. « Je suis de la police ! » hurlai-je.

« Posez votre arme ! » envoya un mégaphone. « Posez votre arme, ou on tire ! »

J'obtempérai, alors que, devant moi, la maison partait en fumée.

*

Le divisionnaire Leclerc ainsi que le lieutenant Sibersky débarquèrent au commissariat du Touquet trois heures après ma course-poursuite spectaculaire. On me laissa mijoter un quart d'heure supplémentaire dans la salle d'interrogatoire. J'avais affaire à une batterie d'incompétents. Pas un col bleu ne comprenant le moindre mot de ce que je racontais, j'avais donc demandé à ce qu'on me laissât dans mon coin jusqu'à l'arrivée de mes collègues.

À l'heure de la délivrance, des brigadiers entrèrent dans la salle et m'accompagnèrent jusqu'au bureau du capitaine Mahieu.

« En route ! » lança Leclerc en claquant une main qui se voulait chaleureuse sur mon épaule en feu. J'émis un cri strident, genre chien à qui l'on écrase une patte sans le faire exprès. « Oh ! Désolé ! » dit-il en portant la main devant la bouche.

Sibersky s'approcha de moi. Son visage avait désenflé.

« Heureux de vous voir en vie, commissaire. J'espère que vous allez pouvoir nous éclairer sur ce merdier.

— Il y a des survivants chez les Torpinelli ?

— Quelques employés et porte-flingues. La quasi-totalité de la maison a cramé. »

Leclerc me précisa. « Nous avons gardé le motus sur le fait que tu n'étais plus en fonction. Je ne l'ai jamais officiellement signalé à nos supérieurs… Je me doutais que tu ne lâcherais pas l'affaire. Je voulais juste te sortir de là… De toute évidence, j'ai échoué. »

Je lui serrai la main. « Merci, Alain… Ils m'ont pris une disquette tout à l'heure. »

Il la sortit de sa poche. « Je l'ai.

— Et alors, que contient-elle ?

— Des noms… Une cinquantaine de noms de personnes importantes. Des hommes d'affaires américains, anglais, français, riches à millions. Que représente-t-elle, Shark ? Pourquoi ces gens se bousculent-ils sur une disquette que t'a fournie Torpinelli ? Qu'avait à voir Dulac dans l'histoire ?

— Allons chez Dulac. J'y ai découvert des CD ROM. Je vous raconterai tout là-bas.

— Attends… Ton épaule… Sibersky va prendre le volant de ton véhicule. Je vous suis. »

« Comment va ta femme, David ? » demandai-je au lieutenant d'un ton soucieux.

« Elle va bien… »

Mon regard glissa sur son visage. « Dis-moi la vérité.

— Elle pète les plombs ! Je pète les plombs ! Elle en a assez de vivre avec un homme qui n'est même pas sûr de rentrer le soir. On… s'est disputés. Elle dort chez sa mère, avec le petit…

— Tout ceci est de ma faute, David.

— Vous n'y êtes pour rien, commissaire… La faute au métier, c'est tout… »

Il alluma une cigarette.

« Tu fumes maintenant ! » lui lançai-je d'un ton réprobateur.

« Il faut un début à tout.

— Tu as peut-être mal choisi le moment, avec un nourrisson à la maison.

— Il n'y a pas de nourrisson à la maison… Pas plus qu'il n'y a de femme… » Il changea de sujet. « Racontez-moi ce qui s'est passé ! Comment êtes-vous remonté jusqu'à ce Dulac ? Que contiennent ces CD ROM ?

— Parlons d'autre chose… Je t'expliquerai une fois arrivés… »

Madame Dulac se pelotonnait dans les bras de sa fille, toutes deux submergées de larmes. Elle m'agrippa par la veste au moment où je montais. « Promettez-moi de tout me dire, commissaire. J'ai le droit de savoir… C'était mon mari…

— Vous saurez la vérité. »

Je déverrouillai le coffre-fort et en sortis les CD ROM. J'interrogeai Leclerc : « Avez-vous avancé avec BDSM4Y ? Des traces ?

— Nos agents infiltrés n'ont rien décelé pour le moment. Une bonne partie des effectifs s'occupe à interroger des prostituées, des clochards, fait le tour des hôpitaux pour essayer de retrouver des patients qui auraient présenté des signes de torture. Cette putain d'organisation nous monopolise les deux tiers de nos ressources ; j'espère que ça nous mènera quelque part.

— Et l'avocat pourri au faux permis de conduire ?

— On le suit à la trace, mais apparemment ils ne prennent plus contact avec lui… On dirait qu'ils ont disparu dans la nature. Vachement futés… Mais on les aura… Alors maintenant, explique-nous et reprends depuis le début. Je suis autant paumé qu'une poule dans le désert. Tu t'es douté que Manchini avait été assassiné. Et après ?

— Il a reçu un coup de fil dans la nuit du meurtre qui l'a précipité dans un piège. Quelqu'un qu'il connaissait bien, puisqu'il s'est déplacé très tard, alors qu'il dormait. J'ai ensuite découvert que son coffre camouflé dans la villa familiale avait été percé et son contenu, vidé. Manchini avait passé plus de deux semaines chez son cousin cet été et, d'après un listing récent de ses numéros de téléphone, il l'appelait souvent. J'ai donc creusé la piste Torpinelli, la seule viable de toute façon. »

Leclerc se déplaça dans le bureau, mains derrière le dos, scrutant les papillons.