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« Et au Touquet, qu'as-tu découvert ?

— J'ai eu un entretien avec le fils Torpinelli, qui ne m'a pas appris grand-chose. Par contre, coup de chance, le vieux m'a fourni en cachette une liste de transactions bancaires entre son fils et Dulac. Des sommes extrêmement importantes, régulièrement étalées dans le temps, pour un montant total de plus de cinq millions d'euros.

— La vache !

— Comme vous dites… Et ici, chez Dulac, je suis tombé sur ces CD ROM… Jamais, de toute ma vie, je n'avais visionné une ignominie pareille. Je n'en ai regardé que deux. Les tortures, les souffrances, les meurtres filmés de Catherine Prieur et de Doudou Camélia.

— Grand Dieu ! » lança Sibersky. « Mais… Qu'est-ce que cela signifie ? »

Je me levai et frappai des deux poings contre le mur, la tête baissée entre les épaules. « Que Dulac, tout comme les cinquante pourris sur cette disquette, s'offraient des meurtres ! »

Leclerc me serra le coude. « Comment ça ?

— À quel type de loisirs originaux pourraient bien s'adonner des hommes qui ont le pouvoir, l'argent, l'influence ? Qui ont les moyens de tout se payer ? Quel fantasme suprême pourrait bien assouvir l'argent ?

— Le meurtre…

— Pire que le meurtre. Des heures et des heures de furieuse souffrance pour soi, rien que pour soi. Le plaisir d'arracher une vie par le seul pouvoir du fric. Des images à faire vomir le plus salopard des criminels. »

Je brandis un cadre de papillons et le pulvérisai contre le sol. Les ailes des phalènes, bombyx et autres machaons, se froissèrent comme des feuillets d'aluminium. Je criai, écumant de colère : « Ces types se payaient la mort en direct ! Et Torpinelli en a fait un commerce juteux !

— Mais… à quoi rime l'agression commise par Manchini ? Et pourquoi a-t-il été assassiné par la suite ? »

J'essayai de contenir la bonbonne de rage qui implosait en moi. « Manchini possédait une double personnalité. Celle du type discret, moyennement brillant en classe. Et celle du malade sexuel frustré, incapable d'entretenir une relation normale avec une femme. Ses sentiments refoulés se libéraient dans des accès de violence et de décadence prononcés. Il a probablement mis la main sur ces vidéos pendant ses vacances d'été…

— De quelle façon ? Torpinelli devait être extrêmement prudent…

— Manchini, une bête en informatique, pouvait facilement surveiller les activités de son cousin. Il a certainement découvert cet ignoble trafic en fourrant le nez dans le PC de Torpinelli alors qu'il installait un système de webcams. Mais, au lieu de prévenir la police ou qui que ce soit, il a préféré subtiliser ces CD pour les mater en toute tranquillité depuis son ordinateur personnel. Là où nous sommes incapables de regarder, lui a très certainement pris un pied comme pas possible. Alors, cette incroyable machine assassine lui est montée à la tête. Place à l'acte, comme le démontrait si bien le tueur sur ses images. Les pulsions ont franchi la barrière de la conscience, Manchini a donc opéré mais sans pousser jusqu'au meurtre. Peut-être n'était-ce pas son but, peut-être la torture lui suffisait-elle ?

— Quelle espèce de taré ! » intervint Sibersky. « Ce type n'avait pas vingt-cinq ans…

— Avec ses contacts, Torpinelli a immédiatement été informé de cette agression et a dû faire le rapprochement avec son cousin. Il a pris peur. Sa mécanique huilée, son commerce diabolique, risquaient de prendre l'eau. Il a appelé Manchini en pleine nuit, l'a fait avouer et l'a supprimé avant d'effacer les données de son ordinateur et de récupérer les CD ROM cachés dans le coffre-fort.

— Et que contenaient ces CD ROM ?

— Peut-être des copies de ces vidéos. Imaginez le risque de laisser ça à la portée de tous… Manchini était extrêmement prudent, quoi qu'on en pense.

— Torpinelli était notre tueur, alors ?

— Non, malheureusement. Le tueur se présente comme un as en informatique, en électronique, en piratage. Torpinelli n'a pas le profil. Et puis, la façon dont ont été choisies les victimes, demande de l'observation, de la préparation, une connaissance de l'entourage… Torpinelli n'aurait pas pu effectuer les allers et retours journaliers du Touquet jusqu'à l'abattoir, surveiller Prieur comme il a dû le faire. Notre tueur vit dans la proximité parisienne, dans notre proximité…

— Qui, alors ?

— Je n'en sais rien… Je n'en sais fichtre rien !… Nous devons éplucher les activités, les comptes de Torpinelli. Il faut interpeller ces fumiers qui s'entassent sur la disquette et les foutre en tôle jusqu'à la fin de leurs jours ! »

Je plaquai mon front sur le mur. Sibersky troua le silence.

« Que contiennent les autres CD ROM ?

— Je n'ai pas regardé… Le supplice de la femme de l'abattoir sur plusieurs CD ROM ? Comme un horrible feuilleton où chaque épisode s'enfonce dans l'horreur et se monnaye de plus en plus cher… »

Leclerc s'empara d'un CD ROM au hasard et le glissa dans le lecteur de l'ordinateur. Alors que le film démarrait, je ne me retournai pas, toujours face au mur, face à ces papillons cloués sur leurs supports de bois. Ces images étaient trop, beaucoup trop insupportables.

Les enceintes du téléviseur renvoyèrent des bruits de chaînes qui se percutaient entre elles, puis des sons semblables à des râles, à peine audibles.

Sibersky émit un gargouillis étouffé et Leclerc se jeta sur la souris pour interrompre la lecture. Lorsque je leur fis face, tous deux me dévisageaient, l'air ravagé.

« Qu'est-ce qui vous prend ? » interrogeai-je en me décollant du mur. « Qu'est-ce que vous avez à me regarder comme ça ? »

Même silence, mêmes visages plombés.

« Répondez, bon sang ! »

Leclerc s'empressa d'éjecter le CD ROM pour l'empocher dans sa veste.

« Allons-y ! » ordonna-t-il. « Rentrons sur Paris ! Nous visionnerons ceci plus tard !

— Dites-moi ce qui se trouve sur ce CD ROM !

— Shark, tu devrais…

— Dites-le-moi ! Remettez le CD dans le lecteur ! Remettez-le ! »

Sibersky empoigna fermement la manche de ma veste.

« Vous n'avez pas besoin de voir ça, commissaire. Pas maintenant…

— Le CD ! » m'écriai-je en me dégageant brusquement de son étreinte. « Il faut que je sache ! »

Leclerc me le tendit, tête baissée. Je l'insérai avec hâte dans l'appareil.

Je découvris alors ce que jamais je n'aurais pu imaginer et, si Leclerc n'avait pas pris la précaution de me reprendre mon arme, je me serais tiré une balle dans la tête…

Chapitre quinze

Je me demande si parfois la mort ne serait pas préférable à la vie. Le Grand Voyage facilite tellement les choses. Qu'il eût été simple de fermer les yeux, de donner dans un dernier effort un petit coup d'index sur une gâchette et de se jeter dans le grand tunnel blanc…

Allongé sur mon lit, le soleil, voilé par la dentelle des cirrus, déclinait dans un panache de rouges annonciateurs des froides journées automnales. Poupette gisait sur le sol, dans une flaque d'huile. On aurait dit qu'elle souffrait, pleurait, se mourait lentement, comme moi. Ce soir-là, je sus que le sommeil ne m'accueillerait plus, que mes nuits allaient porter le visage blême de mes atroces journées.

J'avais peur.

Les images qui défilaient sur l'écran de mes yeux, ouverts ou clos, allaient et venaient jusqu'à me décrocher de la réalité. Sans cesse, il débarquait sur sa monture, l'épée brandie au-dessus de sa tête. L'Ange rouge… Le père Michaélis… Je voyais cette soutane noire vibrer dans l'air, cette capuche abaissée autour d'une forme creuse, comme je visionnais mon propre reflet dans le miroir. Son souffle fétide me taraudait les épaules, ce rire comme vomi de ses entrailles me persécutait au point de me poser les mains sur les oreilles.