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Il glissa le montage dans un lecteur de CD ROM, puis désigna l'ordinateur.

« Les images vont apparaître sur l'écran de l'ordinateur et non pas sur le téléviseur. Installez-vous face à l'écran. »

Je m'exécutai. Le CD diffusa une première séquence. Suzanne, assise sur une chaise, les mains ligotées dans le dos et les chevilles attachées aux pieds de bois… La porcelaine fragile de son corps se décrochait de l'arrière-plan très sombre. Une lumière aveuglante lui éclairait le visage et la forçait presque à fermer les yeux. Ces images firent couler dans mes veines la sève de l'impuissance, de la désolation et il me prit l'envie de me lever et de m'enfuir. Mais une voix intérieure m'ordonna de rester assis.

Le technicien cala l'appareil sur pause. Il ouvrit un fichier, une reconstitution qu'il avait préalablement enregistrée sur l'ordinateur. « Sur le premier CD, votre femme a été filmée sous plusieurs angles distincts. Nous disposons d'un logiciel d'extrapolation très puissant. À partir des différentes images, d'un algorithme de prédiction et en retravaillant le contraste, la luminosité et d'autres paramètres, nous pouvons reconstruire quasiment la totalité de l'endroit où elle est enfermée. Regardez… »

Il lança l'animation. La salle apparut comme en plein jour. Une sorte de caméra virtuelle donnait un rendu tel que l'on avait l'impression de se retrouver à l'intérieur de la cavité.

« On dirait une espèce de tunnel aménagé », remarquai-je.

« En effet. Au vu des poutres soutenant les parois, de la terre sur le sol et de l'humidité parfois sur l'objectif, on dirait qu'elle se trouve sous terre. Une grotte… »

L'animation tournait toujours sur elle-même, inlassablement, dévoilant un lit, un pot de chambre, une table, une chaise et un petit crucifix accroché au-dessus du lit. Une solide porte de métal cloisonnait l'entrée de la pièce. L'enfer sous terre, le Tartare… « Autre scène », dit Artemis. « … Assez insupportable… Ça va aller ? »

J'opinai de la tête et il cliqua sur un bouton. Suzanne apparut encore une fois les mains entravées, debout dans un coin. Une balle en plastique transpercée par une sangle de cuir empêchait de remuer les lèvres. Son corps croqué par les morsures du froid, fragilisé par les coups répétés, racontait l'histoire écrite de son calvaire. Ses cheveux étaient pourtant propres, les draps de son lit aussi. Une puissante torche l'éclairait et, contrairement à la scène précédente, l'image tremblotait, il devait tenir la caméra en main. De sa voix trafiquée, métallique et froide, il lui ordonna d'avancer. « Avance ! Avance ! Pute ! » Elle obéit, pantelée d'une telle terreur qu'elle s'étouffait derrière son bâillon. Ils franchirent la porte et un boyau sombre à la gueule dévorée par l'obscurité se déploya devant eux. Ils évoluèrent dans le dédale, elle devant, lui derrière à filmer le martyre de mon épouse. L'ingénieur, de la même façon que précédemment, appela une image stockée sur ordinateur qui révéla des détails invisibles à l'œil nu. « Ça va aller, commissaire ?

— Oui. Continuez.

— Bien. Voyez-vous ces encoches le long de la paroi ? Selon d'autres images, elles sont espacées d'environ cinq mètres. Elles servaient probablement, dans l'ancien temps, à fixer des flambeaux afin d'éclairer les voûtes. L'expert en géologie nous affirme que les parois ne sont pas en craie, mais d'une roche d'un étage immédiatement supérieur à la craie, appartenant probablement aux couches des coquilles pétrifiées ou nummulitiques. Sur certains plans où l'éclairage est plus fort, il est presque catégorique. Il se souvient d'un fait intéressant, relaté dans des archives de topographie. Dans le village de Droizelle, pas très loin de Paris, une cave s'est affaissée, provoquant un trou de six mètres de profondeur. Le même jour, une poissonnerie et une maison voisine se fissuraient également. On crut que des nappes souterraines en étaient la cause. Un ingénieur des travaux publics entreprit des fouilles. Les sondes ne donnèrent rien, alors il fut décidé de creuser un puits profond, étayé, cloisonné et, après des semaines, on découvrit, à quatorze mètres de profondeur, un vaste souterrain composé de caves voûtées. Creusées au XIIe siècle, révèlent certains écrits. Par des communautés juives pour y stocker leurs objets précieux, parce qu'elles étaient soumises à des restrictions très sévères des pouvoirs publics et qu'il leur était interdit de commercer. Ces souterrains présentent les mêmes caractéristiques que celui où est enfermée votre femme. » D'un coup de reins, je fis rouler ma chaise vers l'arrière de la pièce. « Combien a-t-on recensé de réseaux de galeries ?

— Plus d'une vingtaine éparpillés dans le Bassin parisien. On en découvre de nouveaux tous les ans. Votre divisionnaire a déjà lancé une opération de fouilles en coordination avec les différents services de police. Mais il est fort probable que celui-ci soit encore inconnu, car les galeries recensées sont gardées et protégées.

— Bon sang… Ma femme sous terre… »

Je me remémorai les visions de Doudou Camélia, cette humidité, ce lieu pourrissant où il retenait Suzanne. Depuis le début, les pressentiments de la Guyanaise se vérifiaient…

« Commissaire ?

— Oui.

— Je vais continuer, si vous le permettez. L'analyse phonique n'a rien révélé. Aucun son ou bruit nous permettant de localiser l'endroit. Ce qui confirme la profondeur et l'isolation des galeries. »

Il but un verre d'eau et m'en proposa un que je refusai. Il plia ensuite le gobelet et le jeta dans une corbeille. « Chacun des films dure une demi-heure. D'après les dates au bas de l'écran, les prises de vues sont espacées d'environ un mois, ce, à partir d'avril 2002. Normalement, vous auriez dû découvrir six films, votre femme ayant été enlevée voilà plus de six mois. Soit ce Dulac les dissimulait ailleurs, soit, pour une raison ou une autre, les derniers épisodes ne lui sont pas parvenus.

— Nous les retrouverons chez les autres salauds… Ces hommes respectables… aux noms inscrits sur la disquette…

— Heu… En fait, d'autres images indiquent, à en juger par les marques sur les bras de votre femme, qu'il la drogue régulièrement. Sur la plupart des scènes, elle est bâillonnée et attachée, ce qui l'empêche d'émettre le moindre signe. Cependant, nous avons remarqué deux faits particulièrement troublants. Premier point, voyez-vous ce petit crucifix, situé au-dessus du lit ? »

J'acquiesçai. Artemis changea de photo. « Et maintenant, que constatez-vous ?

— On dirait qu'il a été retourné… On ne voit plus la gravure du Christ, contrairement à l'image précédente. La gravure se trouve désormais côté mur.

— Exact. Et ça continue de cette façon sur une bonne partie du premier film. Sur les autres vidéos, cette croix a disparu, ce qui tend à prouver que le tueur s'en est aperçu.

— Qu'est-ce que cela signifie ?

— Nous l'ignorons… C'est pour cette raison que nous comptions sur votre présence. Cherchait-elle, par ces inversions, à représenter un symbole, une certaine dualité ? Nuit et jour ? Lune et soleil ? Noir et blanc ?

— Je ne comprends pas, désolé… Vous aviez dit qu'il y avait un deuxième point ? »

Il se leva et s'empara du premier épisode. « Sur ce CD, le regard de votre femme, de temps en temps, devient fuyant.

— Comment ça ?

— Ses pupilles partent d'un coup sur la gauche et se remettent en place, un peu comme une maladie des muscles oculaires que l'on appelle nystagmus. »

Je me levai de ma chaise et lui arrachai le CD ROM des mains avant de l'enfoncer dans le lecteur. « Montrez-moi ! »

Il cliqua sur avance rapide avec la souris, fit marche arrière et se cala sur une scène où la caméra, posée sur un pied, filmait ma femme en train d'uriner dans un pot métallique. Le tressaillement de l'œil fut très bref, presque imperceptible. L'ingénieur accéléra… Lecture… Nouveau mouvement des yeux.