Выбрать главу

Parmi un échantillon de cinq mille individus déjà particulièrement laids, vous prenez celui qui a un nez comme un brise-glace, un autre avec des chicots à donner à son dentiste l’envie de se suicider et finalement, un dernier aux yeux de merlan frit. Vous fusionnez les trois, vous obtenez une espèce de tête à laquelle vous ôtez les cheveux, vous la déposez sur un corps chétif et cela vous donne Fripette. Une tronche à effrayer un calamar géant…

Lorsqu’il m’aperçut, ses petits yeux de jais brillants semblèrent s’échapper de leurs orbites sous l’effet de la surprise. Il se terrait derrière son guichet, recroquevillé comme un rat, à trier des cassettes de pornographie. L’inlandsis de son crâne luisait sous la lumière bleue d’un néon.

« Salut, Fripette ! Je vois que tu ne chômes pas. Une reconversion digne de ta personne, tout en finesse. »

Il disparut derrière une pile de cassettes. « Qu’est-ce que tu veux, commissaire ? Alors qu’est-ce que j’ai pour toi… Un coffret de six doigts chinois ? Un kit orgasmique duo ? Attends… Du Bois-bandé, ta femme devrait apprécier ! »

J’ignorai la remarque… ou plutôt la mis de côté. Encore une comme ça et je lui enfilerais un godemiché au travers de la bouche. Je demandai d’une voix dure : « Tu fréquentes encore les milieux SM ?

— Non. »

Je saisis le manche d’un fouet et le claquai contre le guichet. La bouteille de stimulant sexuel se brisa sur le sol alors que de petits sexes mécaniques se mettaient à bondir et à avancer tout seuls, comme des pingouins sur une banquise. Fripette pesta : « Putain, tu vas payer mec ! Tu sais combien ça coûte, le Bois-bandé ?

— Je réitère ma question, tête de nœud. Tu fréquentes encore les milieux SM ? »

Il glissa sur le côté et s’engagea dans une allée sans me répondre, des DVD encore emballés dans les mains. Le sang me monta aux tempes. J’arrachai l’insecte chauve du sol, le plaquai contre une étagère qui bascula lourdement.

« Arrête ! » hurla-t-il. « Tu vas tout me saccager. Je vais…

— Tu vas quoi ? » Je renforçai mon étreinte et obtins en retour un gargouillis aigu.

« Lâche-moi, c’est bon ! » Il se dégagea d’un geste sec comme s’il avait eu le dessus. « Oui, je fréquente ! Et tu sais quoi ? Plus que jamais ! Je m’éclate comme un fou !

— Tu connais le Bar-Bar, le Pleasure & Pain ?

— Pas trop mon style. C’est du hard de chez hard. J’y suis allé une fois ou deux. Je suis plutôt branché latex et bondage.

— Qu’est-ce que tu appelles du hard de chez hard ?

— Bondage avec torture des seins ou du pénis. Ventes aux enchères pour fessées. Domination extrême, avec esclavagisme poussé, pissing, caning. Un beau petit monde.

— Qui fréquente ces milieux ?

— Tu trouves de tout. Ça va de l’avocat au sadique pur et dur qui passe ses journées de chômage à se branler.

— Il y a des femmes ?

— Je veux, mon neveu ! Et je pourrais même te dire qu’elles sont carrément plus cruelles que les hommes. De belles chiennes ! La dernière fois que je suis allé au Pleasure & Pain, une salope s’est amusée à presser les testicules d’un type avec un casse-noisettes. Le gars est reparti avec les couilles enflées comme des œufs de poule. »

Un type trempé entra et fit demi-tour immédiatement. La peur d’être reconnu, dévisagé…

« BDSM4Y, ça te dit quelque chose ? »

D’un coup, son teint bleuit. « D’où tiens-tu ce nom ?

— Peu importe. Dis-moi ce que tu sais d’eux. »

Il se cala entre des ensembles de latex et de vinyle noir.

« C’est une légende urbaine, une rumeur. Un fantasme de sado, comme il en existe tant dans le milieu. Ce groupe n’a jamais existé.

— J’ai retrouvé une fille avec ce tatouage sur le corps.

— Et alors ? Il y en a bien qui ont des tatouages de Jésus sur la fesse, qu’est-ce que ça prouve ? Qu’ils en sont la réincarnation ?

— Ils existent. J’en ai la preuve. Crache ! Qu’est-ce qui se dit sur eux ? »

Mon poing serré à deux doigts de son nez le fit parler.

« Il paraîtrait que le groupe est constitué d’intellos mêlés aux pires espèces de malades. Les intellos organisent, les malades exécutent les actes obscènes. Ils sont puissants, influents, vifs et furtifs comme le vent. On dit qu’ils jouent avec la mort, ils en approchent les frontières du plus près qu’ils peuvent. Mais toujours des on-dit. Personne ne sait s’ils existent.

— Explique ! Qu’entends-tu par jouer avec la mort ?

— Ils feraient des expériences sur des animaux… Il paraîtrait aussi qu’ils ou elles recueillent des clochards ou des prostituées dans différentes villes de France, pour les emmener avec leur consentement dans des endroits isolés. Ils leur offrent de grosses sommes d’argent en échange de leur silence et de leur totale soumission le temps d’une soirée. Apparemment, ces types inspirent confiance, puisque les victimes, si on peut parler de victimes, les suivent sans broncher.

— Et après ?

— Ils disposent de tout ce qui peut exister en matériel de torture, en gadgets sexuels, ils sont équipés de médicaments pour calmer leurs victimes, sédatifs, drogues, anesthésiques. Une véritable organisation, disent les rumeurs. Ensuite, ils vont au bout de la douleur, ils se régalent de la souffrance de leurs cobayes. Il paraît que certains n’en sont jamais revenus.

— Et les autres ? Ceux qui survivent ?

— Ils se taisent. S’ils parlent, ils sont morts. Et puis, l’argent leur est réellement versé.

— Tu as l’air d’en connaître un rayon.

— Je te répète juste ce qu’on m’a raconté.

— Qui t’a raconté ça ?

— Quelqu’un à qui on a raconté la même chose… Et ainsi de suite… »

La porte grinça. Un couple entra.

Une femme d’une centaine de kilos, cintrée dans un ensemble de cuir comme si elle avait gonflé à l’intérieur, et un type aussi petit qu’elle était large, au regard de fouine.

Fripette les chassa en un tour de main. « Privé ! Je suis fermé. Revenez plus tard ! »

Je m’approchai de lui avec un visage de glace. Il gardait ses distances, de peur que mes doigts agiles lui caressent la joue.

« Ce soir, tu vas m’accompagner au Pleasure & Pain. »

Dans un brusque mouvement de recul, il renversa une pile de revues. « T’es un givré, mec ! Je mets pas les pieds là-dedans, encore moins avec un flic !

— N’oublie pas que tu es en conditionnelle. On peut venir fourrer le nez dans tes petites affaires, si tu veux. »

Je m’avançai dans le rayon hard des cassettes vidéo. « Gang-band, sodomies, intéressant… Tu vends ça combien ? Cinquante euros ? Faut pas se gêner ! Les inspecteurs risquent de s’y retrouver difficilement dans tes comptes. On peut éplucher ça aussi, si tu veux. D’ordinaire, le petit recel n’est pas bien grave, mais, pour un gars en conditionnelle…

— Tu ne ferais pas ça quand même ? Je suis clean, je n’ai rien à me reprocher ! C’est pas de ma faute s’il y a des tarés qui mettent des fortunes pour ces cochonneries ! »

Mon œil glissa sur un mot qui me gifla l’esprit, VIOL. « Bon sang ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ? » Je m’emparai du DVD intitulé Viol pour quatre. Un seul nom au bas de la cassette, Torpinelli. Le magnat du sexe. Au dos de la pochette, des scènes d’une extrême cruauté m’éclaboussèrent les rétines.

Fripette me l’arracha des mains. Il cracha : « Ce n’est pas pour de vrai, il n’y a que des acteurs là-dedans ! L’une des dernières nouveautés de Torpinelli. Une espèce de viol filmé en direct dans des conditions qui rappellent la réalité. Ça plaît énormément, tu sais ? J’en ai déjà maté et c’est extrêmement troublant. On dirait carrément du réel… Y a pas mal de types qui se branlent là-dessus… Ça leur évite de passer à l’acte, tu vois ce que je veux dire ?