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Élisabeth me fit penser à la double face du Jocker dans Batman une moitié du visage rouge, l’autre blanche, les marques de doigts encore imprimées sur sa peau.

En ouvrant la portière de la voiture de fonction, je m’inquiétai : « Comment allez-vous ? Elle n’y est pas allée de main morte.

— Je m’en remettrai. J’aurais dû être plus prudente. Et vous, pas trop mal à la barbe ?

— Non, ça va. Décidément, ce bouc ne m’apporte que des soucis. Il y a deux ans, j’ai voulu cracher du feu pour impressionner mon neveu, le soir de la Saint-Jean. Plus jeune, j’avais appris cet art, mais, à l’époque, j’étais imberbe et très certainement plus doué pour ce genre de bêtises. Bref, ce soir-là, de l’alcool à brûler a coulé sur les poils de mon bouc. Je vous laisse deviner la suite… »

Elle se pencha vers moi, se barrant le torse avec sa ceinture de sécurité. « Je ne vous savais pas comme ça, Shark, téméraire et bagarreur.

— Shark ?

— C’est bien ainsi que vos collègues vous appellent, non ? Le requin ? Parfait diminutif de Sharko ?

— J’ai été élevé à l’école de la rue. Et, dans la rue comme dans l’océan, seul le plus fort gagne. » Je mis le contact ; les vitres vibrèrent sous les regards mitrailleurs des jeunes rassemblés au bas d’un immeuble. L’ambiance s’enflammait, il était plus que temps de mettre les voiles.

Je la relançai, un regard dans mon rétroviseur.

« Nous n’avions pas terminé notre conversation. Si vous êtes persuadée qu’il ne s’agit pas de notre tueur, comment pourrait-il utiliser les mêmes techniques de ligotage et de torture ? On ne peut tout de même pas laisser tout cela sur le dos de la coïncidence ?

— Non, en effet. Mais les techniques de torture diffèrent, plus légères dans ce cas-ci, sans effusion de sang, même si la douleur était bien présente. L’agresseur semble au courant des méthodes de notre tueur. Très difficile de savoir comment, si ce n’est que la presse commence à faire des vagues avec cette affaire. Nous avons été interrompus avant que je vous en parle ; mais, de mon entretien avec Julie, il ressort que le type se comporte comme un frustré sexuellement, qui a peur de s’affirmer.

— Comment ça ?

— Il n’y a eu ni viol, ni blessure profonde, ni meurtre. L’agresseur est venu assouvir un fantasme sexuel qu’il aurait très bien pu satisfaire dans tous ces milieux sadomasos, sur lesquels j’ai un peu enquêté, moi aussi. Les adeptes de la douleur existent, ce genre de tortures se pratique avec des femmes consentantes qui ne trouvent le plaisir et l’orgasme que dans la souffrance, justement. Je pense que l’agresseur se sent incapable d’affirmer ses penchants sadomasos. La peur d’être reconnu, démasqué, montré du doigt peut-être… Continuez à creuser la piste des bibliothèques, des vendeurs de cassettes et de revues pornographiques. D’après ce qu’elle m’a décrit, il a utilisé la technique extrêmement complexe du Shibari pour l’attacher, à l’identique de Prieur. Il s’est forcément instruit quelque part et Internet ne suffit pas toujours…

— OK, je mets des gars là-dessus dès que possible. En parlant d’Internet, Julie Violaine possède-t-elle une ligne ?

— Non, pas même un ordinateur personnel.

— Sort-elle souvent ? Bars, discothèques ?

— Pas d’après ce qu’elle m’a dit. Elle vivait encore chez sa mère il n’y a pas si longtemps que cela. Elle m’a tout l’air d’une vieille fille. »

Nous traversâmes le flux incandescent des bouchons sur la nationale, prîmes la direction de Villeneuve-Saint-Georges et parvînmes au pavillon de Julie Violaine.

Deux gendarmes de faction, un chef et un brigadier, devant la façade, mangeaient des sandwiches, la radio branchée sur un sketch de Jean-Marie Bigard. L’un d’entre eux, Thon-Mayonnaise, le chef, nous barra le passage. Une tache de sauce illuminait son col de chemise, provoquant le fou rire d’Élisabeth sans qu’il en comprît la raison. Je lui présentai ma carte tricolore qui généra un rictus de kapo sur ses lèvres.

« On n’entre pas là, commissaire. Et je crois que vous en êtes parfaitement conscient. Qu’est-ce que vous faites ici ? »

Élisabeth explosa à nouveau et dut se retirer au bout de l’allée pour apaiser son entrain.

Je me mordis les joues pour éviter de succomber à mon tour. Le chef lâcha son sandwich dans une poubelle. Je tentai : « Vous pouvez au moins répondre à quelques-unes de mes questions ?

— Pour quelle raison je le ferais ?

— Le lâcher de salopes… »

Le rire d’Élisabeth s’arrêta net.

« Qu’est-ce que vous dites ?! » hallucina Thon-Mayonnaise.

« “Le lâcher de salopes” ! C’est mon sketch de Bigard préféré. J’adore quand il parle des méthodes de chasse. Criant de vérité ! » Je lui glissai un clin d’œil.

Il troqua son sale rictus pour un sourire et répliqua : « C’est vrai qu’il me poile bien, celui-là… Posez donc vos questions…

— Quels indices a-t-on relevés ?

— Un seul type d’empreintes dans la chambre de la fille. Plusieurs dans la cuisine. On a retrouvé un chiffon imprégné d’éther sur le sol. Le type a voulu essuyer ses pas dans le hall d’entrée avec une serviette de table, retrouvée dans une poubelle, couverte de boue. Mais on n’a pas eu de mal à identifier sa pointure, notamment avec les empreintes de ses chaussures laissées sur les marches extérieures. Du quarante et un ou quarante-deux.

— Des traces de pneus à l’extérieur ?

— Non, aucune récente. Avec les fortes pluies de la veille, nous aurions dû découvrir à proximité des marques fraîches, mais rien. Apparemment, le type n’est pas venu en voiture, ou alors il s’est garé extrêmement loin.

— Oui, probable. Il a déjà dû regarder quelques séries policières à la télévision. »

Thon-Mayonnaise tendit un sourire étoilé de miettes de pain. L’envie d’exploser de rire me chauffait de plus en plus et il dut le déchiffrer dans mes yeux. « L’enseignante attaquée dispense la chimie à l’École supérieure de microélectronique de Paris. Nous allons orienter nos recherches au sein de l’établissement. Cette femme sortait peu, si ce n’est pour faire son footing, aller à la piscine ou rendre visite à sa mère.

— Vous avez interrogé les voisins ? Les gens du patelin proche ?

— On commence seulement. Mais l’enquête n’est pas facilitée par l’isolement de la maison…

— Rien d’autre ?

— Non…

— Qui dirige les opérations ?

— Le capitaine Foulquier, de la gendarmerie de Valenton, à dix minutes d’ici.

— Combien d’hommes sur le coup ?

— Une dizaine… »

Élisabeth me glissa un coup de coude, alors que nous retournions vers mon véhicule. Elle moralisa : « Pas très subtil, le coup du lâcher de salopes ! Je vous croyais plus fin que cela.

— Je le suis. Mais il faut savoir s’adapter à l’interlocuteur… Dites, je vais vous déposer, je dois passer à l’école où enseigne Violaine.

— Que comptez-vous faire ?

— Récupérer la liste des étudiants et faire relever par mes inspecteurs ceux qui possèdent une liaison Internet ou une ligne haut débit… »

Chapitre dix

Thomas Serpetti me passa un coup de fil au moment où je m’apprêtais à me rendre chez Sibersky. Il m’annonça fièrement qu’il avait retrouvé la trace de BDSM4Y sur Internet et que mon coup d’éclat au Pleasure & Pain embrasait leurs conversations. Il ne me cacha pas que les esprits agités de cette bande de tarés étaient désormais braqués vers moi et que des actions allaient être entreprises sous peu. Involontairement, j’avais peut-être trouvé le meilleur moyen – certes risqué – de les approcher…