Выбрать главу

— Prieur ?

— Exactement ! martine.prieur@octogone.com.

— De quoi discutaient-elles ?

— À votre avis ?

— Sadomasochisme ?

— Dans le mille. Tortures sexuelles, ligotage, fétichisme, bref, toute la panoplie de la parfaite dominatrice. D’après ce que j’ai pu lire, toutes les deux entretenaient des relations purement virtuelles avec de nombreux partenaires… L’ère moderne de l’Internet… »

Il dirigea la petite flèche de la souris vers le dossier Personnel puis contacts. Une liste sans fin de pseudonymes se déroula. « Voilà tout le beau monde avec qui elle discutait. Des relations purement fantasmagoriques. Avec ses webcams, elle rendait apparemment ces types fous, ils devaient se branler en masse devant leurs ordinateurs à chaque fois qu’elle se mettait à poil, en dépit de son poids. Les propos échangés sont obscènes… Elle parle aussi très longuement des tortures infligées à ces animaux que nous avons retrouvés à la cave. Vous aviez vu juste, commissaire…

— Sur quel point ?

— Marival n’était pas une sainte. »

Je déplaçai le curseur qui se transformait en petite main chaque fois que je survolais un message. « Tu crois que le tueur pourrait faire partie de ces types ?

— Possible. En tout cas, ce site a dû fortement l’aider pour préparer son coup. Comment mieux connaître les habitudes d’une femme qu’en l’observant jour et nuit par caméra interposée ? »

Il piégeait ses victimes en se servant de la Toile. Il connaissait les secrets de leurs vies, de leurs fréquentations, de leurs plannings.

Peut-être avait-il entretenu des relations purement virtuelles avec Gad, Prieur, Marival ? Il avait obtenu d’elles des aveux, d’intimes confessions et il les avait ensuite punies parce qu’elles vivaient dans le péché, dans la déchéance, dans un monde sali par le regard d’autrui.

L’Homme sans visage ne supportait pas le vice, alors il l’appliquait lui-même pour sanctionner son prochain, comme un justicier. Il les torturait, les tuait, puis effaçait les données de leurs ordinateurs pour gommer les traces.

Je me décrochai du fer-chaud de mes pensées et dictai à Crombez : « Il va falloir que tu m’épluches ces messages au microscope. Je vais essayer d’en lire un maximum aussi, mais j’ai quelques affaires à régler auparavant. Colle deux ou trois personnes dessus.

— Très bien. Mais le SEFTI est déjà très actif. Ils doivent récupérer le disque dur chez l’hébergeur pour analyser toutes les données qu’il contient.

— OK. Nous avançons enfin… A-t-on relevé des marques à l’endroit où était embusquée la voiture ?

— Oui. Les empreintes ont été moulées puis remontées au labo. Dessin et largeur des pneus classiques. Aucune trace de peinture relevée dans les environs. Au fait, il y avait bien une petite route qui menait directement à la demeure… Mais nous sommes arrivés par l’autre côté, le mauvais. Désolé pour vos chaussures…

— Laisse tomber… Tu as interrogé les parents ou l’entourage de Marival ? »

Crombez agita son bras engourdi et fit rouler sa tête pour détendre les muscles de son cou. « Elle n’avait pas beaucoup de famille. Sa mère n’a pas voulu s’occuper d’elle à la naissance et son père a fichu le camp… Alors ce sont ses grands-parents qui ont pris le relais. Mais les vieux ne la voyaient plus beaucoup. Marival était une femme très renfermée, solitaire, Petite, elle restait souvent cloîtrée dans sa chambre à disséquer des insectes, raconte le patriarche. Elle avait toujours voulu faire médecine…

— Et pourquoi n’est-elle pas allée au bout ?

— Ses résultats… Elle était incapable d’apprendre… Elle a tenu trois ans parce qu’elle obtenait de bonnes notes lors des travaux pratiques, probablement aidée par Prieur. Quand Prieur a fichu le camp, ses notes sont devenues catastrophiques… Alors son grand-père a pris sa préretraite pour lui laisser sa place dans cet endroit maudit… »

L’histoire, à présent, se fondait dans un moule logique. Élisabeth avait raison. Le tueur retrouvait, grâce à Internet, celles qui propageaient la douleur et leur infligeait le même sort, sous l’égide de Dieu. Je songeai aussi à Julie Violaine, l’enseignante, qui débarquait au milieu de ce beau merdier comme un cheveu sur la soupe. Quel rôle pouvait-elle bien tenir dans l’histoire ? Une fille à l’apparence nunuche ne disposant même pas d’un accès Internet, loin, si loin de Prieur ou de Gad…

Mon portable vibra. Je décrochai… « Tu penses à moi, mon ami ? » Je me ruai derrière mon bureau, récupérai un dictaphone dans mon tiroir et le déclenchai aussitôt, tandis que Crombez s’approchait de moi, tendant l’oreille. Je lui fis signe de déguerpir et je fermai la porte.

« Qu’est-ce que tu as fait à ma femme ? »

Voix de vieil homme défilant au ralenti. « Je vois que tu as bien reçu mon petit message dans le parking. Tu es très perspicace…

— Dis-moi si elle est toujours en vie !

— C’est moi qui donne les ordres, fils de pute ! Ne me dicte pas ce que je dois faire !

— Dis-moi juste… »

Il raccrocha. « Merde ! » L’envie me prit de projeter mon portable sur le mur mais je me retins au dernier moment. Avais-je bousillé les chances qu’il m’appelle à nouveau ? Je me mis à user le parquet d’allers et retours silencieux durant lesquels, j’en étais persuadé, ma tension nerveuse aurait explosé n’importe quel tensiomètre.

Je devais adopter une approche différente. Il souhaitait parler, mais uniquement de ce qu’il avait décidé. Il fallait lui donner cette impression de domination qu’il souhaitait ressentir. Chaque mot, chaque phrase, sa façon de communiquer, ses intonations, même au travers du truqueur de voix, constituaient des indices importants. Le temps s’écoula… un millénaire… avant que la sonnerie ne me percutât à nouveau le tympan.

« Estime-toi heureux que je te rappelle ! Encore un coup comme ça et tu n’entendras parler de moi que par cadavres interposés. Compris ?

— J’ai compris.

— Encore une fois, nos chemins, nos destins se sont croisés, avec une légère avance pour moi cependant. Comment se fait-il que tu arrives toujours derrière ?

— Je… Je ne sais pas… Il y a bien un jour où nous allons enfin nous rencontrer…

— Mais moi, je t’ai déjà rencontré ! Tu aurais déjà oublié l’abattoir ?

— Non, bien sûr que non… Je voudrais juste te voir en face de moi, en chair et en os. Découvrir ton vrai visage, découvrir qui tu es réellement, découvrir qui se cache derrière ces actes abominables. »

Sons de canard enroué. « Abominables ? Et c’est moi que tu traites de bourreau ? Qui es-tu, pour oser me dire ça, à moi ? Pour qui te prends-tu ?

— Je suis celui qui te traque, celui qui va hanter tes nuits jusqu’à la fin des temps. Je ne te lâcherai jamais !

— Je ne sais pas qui hante les nuits de l’autre, mais je dois t’avouer que je n’ai pas beaucoup pensé à toi ces derniers temps. J’étais un peu occupé, si tu vois ce que je veux dire.

— Non. Je ne vois pas. Explique-moi.

— Cesse de faire le malin ! Tu en as pensé quoi, du coup de la vieille Noire ? Pas mal, non ?

— J’ai compris pourquoi cette femme te faisait si peur. Mais cette fois, c’est toi qui es arrivé trop tard. »

Percée du silence. Franges d’hésitations. Changement de voix, plus grave encore. Un pavé qui coule. « Pourquoi ? dis-moi pourquoi ?

— Tu lui as découpé le cerveau parce que tu ne comprenais pas l’origine de sa connaissance. Qu’espérais-tu découvrir à l’intérieur de son crâne ? Une explication ?

— C’est moi qui pose les questions ! Que sais-tu que j’ignore ?