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— Et tu as joui, espèce d’enculé ! Hein, raconte-moi ! Tu t’es branlé pendant que ce type se faisait torturer !

— No… Non… »

Je lui envoyai un coup de semelle dans le thorax. Sa respiration se bloqua longtemps – une messe de Pâques – et il finit par bleuir de façon inquiétante. Je le décollai de terre et lui frappai dans le dos du plat de la main. Son torse se gonfla soudain, comme si, d’un coup, il avait aspiré l’atmosphère tout entière. Il cracha à s’arracher des morceaux de larynx avant de reprendre un teint de circonstance.

« Vous… Vous… êtes… un… taré… » s’étrangla-t-il.

« Pourquoi ? Pourquoi tu fais ça ? J’ai besoin de comprendre ! Explique !

— Vous… allez encore me frapper si je vous dis la vérité…

— Si tu mens, ce sera pire… Sois sincère et j’aviserai. »

Il ouvrait ses mains sur sa poitrine comme s’il venait de disputer un cent mètres et cherchait à récupérer.

« Vous voulez la vérité ? L’être humain… a besoin de zones d’ombre… pour développer sa vie intérieure… C’est comme ça… Toutes les sociétés, quelle que soit l’époque… ont sécrété dans leurs franges… des confréries, des ordres, des associations… Nous… », haleta-t-il, « … cherchons tous le Diable… Nous éprouvons tous… une attirance pour le mystère, le surnaturel… bien au-delà des raisons… ou de la matière… Vous croyez que je pourrais me satisfaire… de ma robe de pauvre avocat minable ? Métro, boulot, dodo ? Non, non… Bien sûr que non… Nous vivons dans un monde de faux-semblants, tout n’est qu’illusion… Oui, je prends mon pied à infliger la douleur à mes semblables… Oui, je ne vis que quand je me tiens au sein de la confrérie… Oui, j’aime le vice, le mal, tout ce qui peut blesser, heurter le commun des mortels… Et rien ni personne ne pourra bouleverser l’ordre des choses… »

Je perdis les forces qui m’animaient, qui entretenaient ma soif de vengeance, ma hargne, mon envie de sauver ce qui pouvait l’être. Combien étaient-ils, tapis derrière les apparences de monsieur Tout-le-Monde, à prôner le mal, à encourager la déchéance ? « Comment te contactent-ils ?

— Je reçois dans ma boîte aux lettres électronique des adresses de sites, sur lesquels je me connecte avec un identifiant et un mot de passe qu’ils me donnent. Là, ils me disent ce que je dois faire, et quand. Ils fixent les rendez-vous, dirigent tout, ils sont hors d’atteinte. Lorsqu’il y a des soirées, nous sommes toujours en comité restreint, une quinzaine de personnes maximum… C’est par mail qu’ils m’ont ordonné de vous suivre, de vous surveiller… C’est tout. Je leur renvoyais les informations par Internet, sur une boîte aux lettres qui change d’adresse presque tous les jours… Mon rôle vous concernant s’arrêtait là… Je devais vous suivre… juste vous suivre…

— Et les deux types qui ont agressé mon collègue ? »

Ses yeux s’écarquillèrent. « Personne n’a agressé votre collègue !

— Ne te fous pas de ma gueule !

— Je… Je vous le jure… Je n’étais pas au courant ! »

Je me penchai sur lui et chiffonnai son col de pull-over.

« Maintenant tu vas m’écouter, avocat de mes deux ! Je vais te laisser rentrer chez toi, bien tranquillement. Si je te vois encore traîner dans les parages, je te tue. »

Je fouillai dans la poche arrière de son pantalon et m’emparai de sa carte d’identité. « J’ai ton adresse. S’ils essaient de te contacter, tu as intérêt à me prévenir. Je pense que tu sais où j’habite… Si je n’ai pas de tes nouvelles sous dix jours, je viendrai te rendre une petite visite que tu ne risqueras pas d’oublier. Continue à faire ce qu’ils t’ordonnent, mais tiens-moi informé. Si tu bluffes, si tu essaies de m’arnaquer, t’es mort… J’ai déjà trop perdu dans l’histoire et je ne suis plus à un cadavre près. As-tu bien compris le message ou faut-il que je répète ?

— Non… Je vous raconterai tout… Tout… Tout ce que vous voudrez…

— Casse-toi. »

Il disparut plus vite qu’une étoile filante. Je notai intérieurement qu’il faudrait dès le lendemain placer une équipe de surveillance sur lui…

Je remontai d’un pas de pénitent jusqu’à mon appartement. Devant la porte fermée de Doudou Camélia, l’odeur des acras de morue avait fini par s’estomper et je sentis, comme pour la première fois, une immense vague de vide et de solitude se briser sur mon âme.

Je piochai une bouteille de whisky – du Chivas quinze ans d’âge – derrière le petit bar en rotin et m’expédiai un premier verre bien serré sans même réellement apprécier le goût antique des terres vieillies. Je renouvelai l’opération plusieurs fois, jusqu’à ce que mes pensées prissent envol autour de moi, comme des mouettes qui chahuteraient au vent.

D’étranges formes s’esquissaient dans ma tête, des ombres indéfinissables, des silhouettes difformes, diaboliques, recroquevillées sur elles-mêmes dans un coin de mon esprit. J’essayais de songer à des choses belles, mais n’y arrivais pas, comme si la beauté elle-même avait revêtu le visage de la mort. Je voyais ces filles qui déclenchaient le vice en s’exhibant sur Internet, je me rappelais la cassette des Torpinelli chez Fripette, Viol pour quatre et ces listes infinies de sites pédophiles crachées par les imprimantes de Serpetti. Je savais que le Mal se déployait sur le monde dans une gigantesque marée noire.

Poupette la capricieuse refusa sa promenade nocturne. Ce soir plus que jamais, il me fallait son réconfort, son doux chant enjoué, l’alchimie secrète de son parfum. J’eus beau m’acharner sur la manette, les essieux ne bronchèrent pas.

Nouvelles gorgées d’alcool, plus généreuses. Non, je refusai la solitude, cette nuit. J’appelai Élisabeth, tombai sur le répondeur et téléphonai ensuite chez Thomas. Encore un répondeur. Sûrement était-il occupé avec son amie Yennia…

Je finis par m’endormir, ivre, loin, très loin de ce que j’avais un jour été, un commissaire de police respectable qui aimait son métier…

Chapitre douze

Il est des jours où la chance, disons plutôt un hasard provoqué, se décide à frapper à votre porte. Ce matin-là, la chance s’appelait Vincent Crombez. « Pas terrible de laisser votre portable fermé, commissaire…

— J’ai oublié de le recharger. Je n’étais pas très en forme hier.

— Vous avez la tête des mauvais jours… Bonne nouvelle, très bonne nouvelle ! Delhaie a fait un travail prodigieux avec le listing des étudiants. Mais ça n’a rien donné…

— Annonce ! Joue pas au con, je ne suis pas d’humeur. Tu n’es pas venu pour me dire ça ?

— Vous avez eu une sacrée bonne intuition avec le coup des bibliothèques et je dois dire que l’inspecteur Germonprez a un flair d’épagneul. Sans sortir de son bureau !

— Comment ça ?

— Presque toutes les bibliothèques disposent de sites Internet. Avec un compte spécial, on peut accéder au backoffice, l’interface qui permet de gérer la bibliothèque et ses abonnés de n’importe où dans le monde. Comme les bibliothécaires sont tenus de collaborer avec la police, ils lui ont fourni sans trop de difficultés les accès nécessaires pour interroger la base de données. À force de fouiner, Germonprez a relevé une liste de bouquins très intéressants, empruntés à la bibliothèque René-Descartes, par un certain Manchini, étudiant de troisième année à l’école de la prof agressée, Violaine. Les titres ne vous diront certainement rien et paraissent anodins. Des trucs du genre, La Sainte Inquisition : la chasse aux sorcières, Les Ficelles du métier, La France interdite. C’est ce dernier titre qui lui a mis la puce à l’oreille, parce que Germonprez avait déjà loué la cassette vidéo traitant du même sujet, une sorte d’enquête sur les milieux sadomasos en France. L’ouvrage Les Ficelles du métier traite de l’art du bondage au Japon ; quant au livre sur l’Inquisition, il décrit très précisément les moyens de torture utilisés à l’époque. Sur la quantité énorme de bouquins empruntés par Manchini, tous ont plus ou moins un rapport avec le sexe, la torture et la douleur.