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— Tu le connais bien, Manchini ?

— Assez… Mais en cours, ce n’est pas un type du genre expansif.

— Scolairement parlant, il donne quoi ?

— Élève moyen. Un peu même à la traîne, parfois.

— Il a des cours avec Julie Violaine ?

— Nous en avons tous.

— Et son comportement ?

— Classique… Discret, même… Pas le genre de gars à aller de l’avant. On peut le laisser dans un coin et le récupérer un an après qu’il ne bougerait pas.

— En matière sexuelle, quelles sont ses tendances ?

— Mais je n’en sais rien, moi ! Comment voulez-vous… ?

— Vous ne parlez jamais de ça entre mecs ?

— Si, mais…

— Mais quoi ?

— Manchini a l’air un peu… hors du coup. À chaque fois que nous parlons de sexe entre nous, il se défile. On dirait… que ça ne l’intéresse pas…

— Où pouvons-nous le rencontrer ?

— À la résidence universitaire Saint-Michel, deux boulevards plus haut… Si vous le voyez, dites-lui de se radiner ! »

Des veines de lierre infectaient la résidence sur la totalité de sa surface comme un cancer de la pierre. La grille de fer forgé de l’entrée ouvrait sur une allée de vieux pavés, bordée sur les flancs de parterres de fleurs entretenus.

Pour nous mener à la chambre d’Alfredo Manchini, nous engageâmes la concierge, qui ressemblait au majordome Nestor des albums de Tintin, en plus féminin. À condition que le mot féminin puisse s’appliquer à ce genre de personnage ; un potager de points noirs lui persillait le nez et un duvet de poils à faire pâlir un poussin lui couvrait le menton. Un tue-l’amour d’une efficacité redoutable.

Après avoir frappé à la porte de Manchini plusieurs fois sans succès, je lui demandai de nous ouvrir avec son double de clés. Elle hésita, les yeux fixés sur ma veste comme si elle cherchait à y deviner la forme de mon arme.

« Je ne sais pas si je peux… Je regarde les séries policières… Vous ne devriez pas avoir un mandat, ou quelque chose du genre ? »

Je la baratinai en beauté pour la convaincre. Elle lança une œillade dans le couloir et inclina le menton. « Dites… Je peux toucher votre flingue ?

— Lequel ? » envoya Crombez avec un sourire peu ménagé. « Oh ! Vous ! » s’exclama-t-elle en marquant son indignation. « Cochon !!! »

Je lui montrai mon feu et elle finit par nous ouvrir.

« Merci madame… Laissez-nous la clé. Nous fermerons et vous préviendrons quand nous aurons inspecté. »

Crombez se pencha à mon oreille alors que Tue-l’amour s’éloignait. « Vache ! Je suis persuadé qu’elle perdrait deux kilos si on lui perçait les points noirs qui se bataillent sur son pif. Elle a une tronche, on dirait la surface de Mars !

— Pardon ? » lança-t-elle en revenant vers nous. Crombez sursauta mais pas autant que moi. D’un mouvement de tête, je lui fis comprendre que notre conversation ne la concernait pas.

La surface habitable de la chambre universitaire équivalait à celle de mon appartement, si ce n’est que tout ce qui se trouvait ici, mobilier, hi-fi, vidéo, coûtait trois fois plus cher que chez moi.

Crombez admira : « Il ne s’embête pas ce type ! Vous avez vu l’écran à plasma accroché au mur ? Ça vaut dans les huit mille euros, un joujou pareil…

— Fouille la chambre et la salle de bains. Je m’occupe du salon. »

Crombez effectua une rotation complète sur une seule de ses béquilles, comme un acrobate.

« On cherche quoi ? » demanda-t-il dans la foulée.

« Tout ce qui pourrait nous rapprocher de la vérité… »

J’ouvris les portes du meuble de télévision, après m’être occupé de son verrou, et découvris une quantité incroyable de cassettes et de DVD. Des films de guerre, comme Pearl Harbor ou Il faut sauver le soldat Ryan des comédies, des films policiers et une belle pilée de films pornographiques à dominante sadomasochiste, signés Torpinelli. Au fond du salon, je bus des yeux les différentes couvertures des ouvrages qui écrasaient de leurs connaissances les planches des armoires en chêne. Mécanique quantique, thermodynamique, topologie, sciences humaines et sociales… Du baratin d’étudiant.

À gauche, dans l’angle du salon, un ordinateur dernier cri à l’écran aussi plat qu’un timbre. Je voulus l’allumer mais une grille interdisait l’accès à l’interrupteur. J’examinai la serrure, glissai la lime à ongles que j’avais l’habitude d’emporter avec moi et obtins gain de cause en quelques secondes. Je pressai le bouton, attendis, mais l’ordinateur bloqua au moment de lancer le système d’exploitation. L’écran devint bleu, une liste impressionnante défila, fichier introuvable, fichier introuvable, fichier introuvable…

Toutefois, malgré mon dépit profond, je constatai que le comportement du PC était différent de celui de Gad ou de Prieur. Cette fois, le disque dur n’avait pas été formaté, mais les fichiers avaient probablement été effacés en utilisant le système d’exploitation.

Lorsque Crombez me rejoignit, je lui demandai : « Alors, qu’as-tu découvert ?

— Côté vêtements, on joue dans le classique.

Jeans, tee-shirts, chemisettes. Par contre, j’ai dégotté pas mal de revues intéressantes dans un tiroir, Sondage Magazine, Détective magazine qui est aussi une revue sur le bondage et… il y en a plein d’autres. Commandées probablement par Internet.

— Comment le sais-tu ?

— Ces revues sont américaines. Et il y a l’adresse des sites qui les diffusent au bas de la page. Ce Manchini en connaît un rayon en matière de sadomasochisme… » Il se pencha vers l’écran. « Inutilisable ?

— On dirait que les fichiers ont été effacés. Manchini a voulu peut-être cacher quelque chose ; ou alors, il a pris peur et effacé des données sensibles dans la précipitation.

— Il existe peut-être un moyen de reconstruire ce qui a été supprimé…

— Comment ?

— Un disque dur fonctionne comme un aimant, composé de milliards de petits pôles microscopiques ; s’ils sont polarisés, ils représentent le chiffre un ; sinon, le chiffre zéro. Quand vous effacez proprement un disque dur, en le formatant comme c’était le cas chez Prieur ou Gad, tous ces pôles sont remis à zéro, l’information devient irrécupérable. Par contre, quand vous supprimez des fichiers par le système d’exploitation, vous dites juste au système de rompre le lien avec ces informations, mais les données, elles, restent bien présentes sur le disque dur. Bon nombre de malfrats se laissent berner. Ils croient qu’en effaçant simplement, ils se mettent à l’abri. C’est sans compter avec l’efficacité de nos collègues ! » Il considéra les messages d’erreur. « Le SEFTI possède le matériel et les logiciels pour récupérer une bonne partie des données. Mais il faudrait emporter le disque dur…

— Démonte-le !

— Mais on n’a pas…

— Fais, je te dis ! »

Il dévissa avec son couteau suisse les vis cruciformes, écarta le boîtier d’acier, débrancha les nappes de fils et me tendit le disque dur que je glissai sous ma veste. Il replaça tout bien en place et j’ordonnai : « Bon, continuons la fouille ! »

J’ouvris les uns après les autres les tiroirs du meuble de cuisine. « Tiens, tiens, des pinces crocodile ! »

Elles traînaient au milieu de câbles coaxiaux, de plaques de silicium, de résistances et de condensateurs.

« Normal, pour un élève en électronique » justifia Crombez. « Regardez les plans, ici… Décodeur pirate… ou alors comment obtenir les chaînes du satellite sans abonnement… Ce Manchini est loin d’avoir une vie rangée… »

« Vous êtes de la famille ? » nous demanda une voix alors que nous nous apprêtions à redescendre au rez-de-chaussée.